Le crépuscule de ce qui fut

J'étais assis à l'arrière de la puissante land rover militaire. L'homme devant moi n'était pas n'importe qui. Un brave fils du pays que les circonstances heureuses avaient propulsé au devant de la scène. Il tenait une kalachnikov flambant neuf et savait s'en servir. Un subalterne, la main en visière scrutait l'horizon.

 

Ses sens, en alerte, concentrés à l'extrême, enregistraient le moindre mouvement à des dizaines de mètres.

Cela faisait longtemps déjà que nous avions quitté la route. Pourquoi diable étais-je au fond de ce véhicule, balloté au gré des montées et des descentes d'un relief capricieux et inconfortable et dangereux? à chaque saut dans le vide effectué par ce jeune chauffeur militaire rompu aux aventures dangereuses de la guerre du Sahara occidentale, je risquais la mort. Je savais seulement que nous allions à une "partie de chasse".

J'avais vaguement entendu parler de gazelles, mais je n'en ai jamais vu.

Soudain et sans préalable, les portes de l'Enfer s'ouvrirent. Un déluge de feu parti de l'arme jusque là fixée entre les genoux de l'homme. Des balles crépitaient et soulevaient au loin des mottes de sable. Un sol, sans doute retourné pour la première fois. Un peu comme un jeu d'enfant de mauvais goût, la mort réveillait ces espaces cachés qui semblaient fuir par la distance les carnages des hommes.

Comme dans un rêve, je vis loin très loin, des formes irréelles et dérisoires qui semblaient plutôt voler que courir. Des spectres de rêve qui volaient comme des étincelles.

Grisé par la perspective du sang des bêtes, le chauffeur poussa les chevaux de sa puissante Land Rover à leur extrême puissance. Je n'étais plus qu'un vulgaire ballot cramponné de toute mes faibles forces à un anneau de fer pour ne pas être propulsé dans le vide par les virages brusques et les sauts périlleux et imprévisibles de cet attelage de la mort.

Au milieu de l'un des multiples demi sauts en l'air ou je n'étais plus lié au siège que par mes mains accrochées désespérément a ce maigre fils de vie, je pu voir deux petites gazelles fauchées par les rafales, baignant dans le sang. Elles se démenait dans un ultime effort pour se décrocher des atroces douleurs de la vie. Et tantôt,  mues par une dernière volonté de rester, elles essayaient de se relever, clouées au sol par les griffes de la mort. Une mort sournoise, qui s'est glissée traitreusement dans ces lieux lointain. Une paix dérangée brutalement par un combat inégal entre ceux qui sont nés pour fuir et ceux qui ne peuvent exister que par tuer et charrier les catastrophes.

Plusieurs autres petits cadavres jonchaient le sol. Misérablement blottis sur ces terrains du silence, elles tournaient définitivement le dos a ce monde lugubre et lâche.

Au détour d'une dune, la gazelle, chef de file tomba enfin.

Son apparition surprit le chauffeur et l'homme important du même coup.

Les deux jambes fracassées par les plombs de la civilisation humaine. Elle était là. Ses plaies étendues devant elle, elle fixait les agresseur de ses yeux énormes et pétillants de tristesse.

Son rôle prend fin au creux de cette dune. Elle a déployé toute son énergie pour mener son troupeau vers un lieu sur. Comme ses ancêtres l'avaient fait devant les lions et les tigres.

Mais cette hyène qui les poursuivait aujourd'hui ne s'essoufflait pas. Son bruit est effrayant, affolant et de ses yeux qui ne clignotent pas, se dégageait une lumière, plus forte que le soleil. Une lumière qui balayait les ténèbres. Mais surtout ces projectiles…ces éclairs fulgurants qui fauchaient ses petites sœurs comme une malédiction. le monde a changé.

Le silence va régner sur ces espaces à jamais.

La verdure en liesse pendant les hivernages pourra verdir, du moins tant que l'arme des homme ne tuera pas les nuages du ciel, mais on n'entendra probablement bientôt, plus jamais une biche qui brame.

Ce seront des contes. Simplement des contes. Des contes abstraits et secs, qu'ils raconteront à leurs enfants. Des épopées vaniteuses, vidées de leur sens.

Je sautai du véhicule. J'avais la nausée et la vision cauchemardesque de cette belle bête, qui mourrait stoïquement, nous bravant de son intense et magnifique regard, me donnait une folle envie de pleurer.

Je venais juste, poussé par ma curiosité et l'insouciance de ma jeunesse d'être le complice d'un crime. Un crime horrible. Le pauvre élève-passager que j'étais ne pouvais se dérober de la responsabilité. Ne serait ce que le crime de présence.

Le soleil qui se couchait colorait cette scène d'un fond sanglant et effroyable. Les grandes paupières de l'animal, tout en nous fixant d'un reproche douloureux et navré, se refermaient au fur et a mesure que le grand astre glissait derrière le rideau de l'horizon.

Comme j'aimerais pouvoir pénétrer dans son champs d'intelligence pour te dire combien je me désolidarise de ceux qui t'ont réduit à cet état et à quel point tes grands yeux ont fendu mon âme à jamais.

Je sentait des larmes douloureuses couler dans mon cœur, mais au milieu de cet enthousiasme immoral, je me sentais profondément seul…terriblement seul et triste.

Cette bête de nationalité mauritanienne, non recensée par les services du ministère de l'intérieur et de l'état civil mauritanien, venait de clôturer l'existence de son espèce. Elle venait d'être éradiquée par les mains et la force de frappe de ceux qui devait assurer sa protection et garantir sa continuité pour casser la monotonie à la surface de cette terre aride et désolée.

 

Je ne pouvais imaginer cependant que cette randonnée macabre, ne fut que le début de chasses de plus en plus sophistiquées et de mieux en mieux organisées.

Les kalachnikov seront suppléées par d'autres armes plus destructrices et l'éradication sera beaucoup plus nationale.

Tout le pays devint une cible pour tous espèces de chasseurs.

Les armes du nom de politiques, de religion, de tribu, d'ethnie, d'hypocrisie, de mensonges, d'injustice, de crime, d'interventionnisme, de l'accaparement des ressources du peuple, de mépris du faible, de blanchissement du faux et de transgression de ce qui se doit, vont cribler toutes la Mauritanie de projectiles traitres et meurtriers.

Le crépuscule de la morale et de la droiture. Un crépuscule menaçant de ce qui fut, de notre condition d'existence.

Avons-nous mérité un seul jour d'être les propriétaires de cette grande terre, de cette terre généreuse et noble qu'est la Mauritanie?

Avons-nous été les hommes qu'il faut a cette belle épousée; cette princesse au grand yeux qui se meurt par la petitesse de nos calculs et l'indignité de notre pensée et de nos actions?

Peut être n'avons-nous été qu'une erreur en cet endroit. Une erreur dont les erreurs ont dépassé les limites et agacé la patience du Seigneur de la Mauritanie et des mondes.

Une erreur que l'œil de Caen de ce pays est en train de fixer d'un regard qui donne froid dans le dos.

La peur a peur de la peur des cerveaux qui fonctionnent mal.

Allah a dit : "Dis : "Voulez-vous que Nous vous apprenions lesquels sont les plus grands perdants en œuvres?

Ceux dont l'effort dans la vie présente, s'est égaré, alors qu'ils s'imaginent bien faire." Al Kahf.103-104

"قل هل ننبئكم بالأخسرين أعمالا الذين ضل سعيهم في الحياة الدنيا وهم يحسبون أنهم يحسنون صنعا  ".

 

Mohamed Hanefi

Koweït

 

(Reçu à Kassataya le 26 févrrier 2015)

 

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