Mauritanie – El Hassen Salihi : victime expiatoire de la « Loi portant protection des symboles nationaux et incrimination des atteintes à l’autorité de l’Etat et à l’honneur du citoyen »

Le Quotidien de Nouakchott – Depuis quasiment deux ans , El Hassen Salihi, homme de lettres, généalogiste et spécialiste des tribus arabo-berbères, est derrière les barreaux. Son crime ? Avoir osé remettre en question le statut traditionnel chérifien de certaines familles et autres tribus de la sous région.

L’affaire qui a conduit à l’incarcération d’El Hassen Salihi est le résultat d’un procès inique, où il a été confronté seul à une machine judiciaire bien rodée, dominée par des magistrats conservateurs. Condamné à quatre années de prison, dont deux fermes, suite à une plainte en diffamation déposée par Mohamed Salem Dah, ancien président du syndicat des journalistes mauritaniens, Salihi est en train de purger, avec dignité, ses derniers jours en prison.

Pourtant, cet homme a tout simplement tenté d’apporter, à travers ses recherches, médiatisées via les réseaux sociaux, un éclairage nouveau sur l’histoire complexe de la Mauritanie. Salihi a, d’un côté, mis en lumière l’origine chérifienne de certaines tribus guerrières maures et de certaines ethnies négro-africaines, telles que les Kane, les Moudi Nalla et les Moudi Maleck, qui font partie du grand ensemble des Béni Saleh, bâtisseurs de Koumbi Saleh.

D’un autre côté, il a révélé que la majorité des tribus mauritaniennes ont des origines amazigh, une découverte qui, loin d’être une insulte, devrait être perçue comme une contribution à la richesse et à la diversité culturelle du pays. Les Amazighs sont en effet l’un des peuples les plus anciens du continent africain, et leur présence en Afrique du Nord remonte à la plus haute antiquité.

Dans sa dure épreuve, Salihi  a bénéficié du soutien d’une kyrielle d’intellectuels dont on peut citer le Docteur Mohamed Abdoulah, Professeur dans les universités saoudiennes, qui témoigne de la rigueur et de la piété de Salihi en ces termes « Salihi est un homme de lettres, un homme pieux maitrisant le Coran, et un véritable savant de « Ilm El Ensab » (Science de la généalogie). Il a apporté une chaîne manquante grâce à ses recherches méthodiques et scientifiques dans un pays où l’histoire a souvent été galvaudée au gré des intérêts de uns et des autres. »

Ayant quasiment purgé la totalité de sa peine, El Hassen Salihi aurait pourtant pu sortir de prison à la faveur des remises de peine et autres grâce présidentielles qui ont permis la libération de centaines de prisonniers. Mais c’était sans compter avec l’acharnement des juges qui l’ont exclu de cette opportunité en invoquant  la « Loi portant protection des symboles nationaux et incrimination des atteintes à l’autorité de l’Etat et à l’honneur du citoyen » qui prévoit des peines de deux à cinq ans d’emprisonnement (10 ans en cas de récidive) pour les personnes incriminées.

Cette loi, dénoncée par des organisations de la société civile mauritanienne, régionale et internationale, est critiquée pour son caractère vague et son potentiel à restreindre la liberté d’expression. En effet, le quatrième article de cette loi criminalise tout contenu jugé comme une atteinte à la paix civile et à la cohésion sociale, sans clarifier quelles composantes de la société sont concernées.

S’agit-il de composantes ethniques, confessionnelles, socio-professionnelles, de genre ou de statut ? Les dites organisations de la société civile se posent encore cette question.

« Dans son arrêt Federation of African Journalists and Others v The Gambia, la Cour de la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a estimé que les lois pénales sur la diffamation et la calomnie, devaient être abrogées au motif qu’elles interfèrent de manière disproportionnée avec les droits des journalistes.

Comme l’a rappelé le Plan d’action de Rabat sur l’interdiction de tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, plus l’incitation à la haine est définie de manière générale, comme c’est le cas ici, plus cela ouvre la voie à une application arbitraire de la loi. »

Ce sont là une partie des griefs soulevés par les organisations de la société civiles susmentionnées contre cette loi qui risque encore de faire de nombreuses autres victimes.

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Source : groupe de soutien Benou Saleh

 

 

 

 

Source : Le Quotidien de Nouakchott (Mauritanie) – Le 21 avril 2024

 

 

 

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