Sans esprit polémique, je veux juste apporter quelques éclaircissements sur des faits historiques irréfutables sur les premières dénonciations des exactions du régime de terreur de Ould Taya.
Certains veulent apparemment réécrire l´histoire récente de notre résistance et nous faire croire que les dénonciations des crimes du régime militaire ont commencé avec la période des lettres ouvertes d´avril 1990 ou de la « démocratisation » bridée du colonel despote ould Bothaya. Que nenni !
A la vérité historique ces lettres ouvertes de quelques personnalités mauritaniennes au CMSN n´ont pas été les premières à dénoncer les exactions commises contre les Négro-mauritaniens pendant ces années de braise. En tant qu´un des membres et principaux responsables du département de la presse et à l’information des FLAM à l´époque avec mon ami et camarade Ciré Ba qui dirigeait le département, je peux dire, des archives de presse à l´appui, que les FLAM, principale force d´opposition ouverte au Système pendant ces années de braise, furent les premières à dénoncer l´épuration ethnique au sein de l´armée, la terreur dans la vallée du fleuve et les violations des droits humains en Mauritanie.
C´est suite à notre déclaration reprise par la presse internationale que le ministre mauritanien de l´information de l´époque feu Mohamed Lemine Ould Ahmed (ancien militant du mouvement ablitionniste d´El Horr) fut obligé de reconnaitre les faits et d´annoncer la découverte d´un soit-disant « complot » fomenté par des militaires et des civils noirs dont des anciens prisonniers Flamistes et rescapés la prison mouroir de Oualata. Nous avons été les premiers à saisir Amnesty International par son responsable de la zone Afrique de l´Ouest de l’époque notre frère Tiébilé Dramé devenu ministre des affaires étrangère du Mali avec le régime de ATT et Rakia OMAR de Human Rights watch.
C´est d´ailleurs l´annonce, à partir de Londres, par Amnesty International de la mort de plus de 200 militaires négro-africains et la confirmation de ces atrocités par différents témoignages qui ont provoqué un véritable choc dans l´opinion publique. Comme sonnés par la révélation de ces horreurs, différentes personnalités et organisations ont tenu à exprimer leur stupeur et leur indignation. L´UTM, syndicat proche du pouvoir, parlait d´un véritable génocide et estime que « les traitements inhumains et dégradants infligés à la majorité des citoyens arrêtés constituent une menace pour tous et pour chacun et peuvent conduire le pays à la dérive ».
Le groupe des « 50 » et qui avait comme porte-parole sur RFI le cinéaste feu Med Hondo, réclamait la constitution d´une commission d´enquête sur ces massacres dans leur déclaration signée le 10 avril 1991. Sans oublier la lettre ouverte des 125 du 17 mai, la lettre ouverte des femmes des disparus. Jeune Afrique, la voix de Taya, sous la plume de François Soudan, qualifiera ces lettres ouvertes « d´excessives et diffamatoires » voire malsaines dans son numero du 19 au 25 juin 1991. En France, même le P.S s´est vigoureusement élevé contre ces exactions. Cependant les citoyens mauritaniens se mobilisaient pour dire leur dégoût, comme en témoigne l´historique manifestation organisée à Paris le 13 avril 1991 par les FLAM, le FRUIDEM, Le CSMD entre autres.
Pour la petite histoire nous avons été derrière la courageuse déclaration de notre frère « déserteur » Cheikh Fall dans les colonnes de Libération et sur les ondes de RFI et cette sortie avait sauvé plus d´un prisonnier dans les geôles d´horreur de Ould Taya. Mon ami et frère Mahamadou Sy rescapé et l´auteur de « L´Enfer d´Inal » peut le confirmer aussi. Ce sont nos camarades de la section FLAM-Europe qui ont accompagné Cheikh Fall dans les différentes rédactions de la presse hexagone pour alerter l´opinion internationale sur les crimes contre l´humanité qui s´opéraient dans les geôles du régime sanguinaire du colonel Ould Taya.
Les lecteurs de BILAL (devenu le Flambeau), notre organe d´information de l´époque, ont certainement toujours en mémoire son émouvante interview avec les détails de tous les massacres, les circonstances d´exécution de nombreux détenus, impliqués arbitrairement dans la prétendue tentative de coup d´état de décembre 1990. Dans toutes nos déclarations et notamment dans celle du 8 mai 1989 consécutive à ce qu´on appelle pudiquement « les évènements », nous n´avons eu de cesse dénoncer le racisme d´Etat et de réclamer l´avènement d´une réelle démocratie en Mauritanie. En 1986 déjà, nous avions dénoncé, dans « Le manifeste du négro-mauritankien opprimé », l´existence d´une discrimination raciale dont la poursuite et l´aggravation ne pouvaient qu´hypothéquer l´existence de notre pays.
A l´époque cependant, il ne s´était pas trouvé suffisamment de bonnes volontés dans les mouvements politiques concurrents pour formuler avec autant d´exigence que nous, la revendication d´une réelle égalité entre tous les citoyens mauritaniens. Le livre Blanc que nous avions publié en octobre 1989- sous le titre » Radioscopie d’un Apartheïd méconnu » et qui a été largement repris par la presse internationale revenait sur la terreur dans la vallée et les assassinats de nos camarades dans les geôles de Oualata. Nous étions seuls dans la dénonciation. C´est encore sous notre pression et de certaines ONG que Ould TAYA fut contraint de transférer nos camarades de la prison mouroir de Walata à celle d’Aïoun avant de les libérer.
Que les évènements, plus douloureux, les uns que les autres, qui se sont succédés dans notre pays depuis cette date, aient cruellement confirmés nos analyses, ne saurait être pour nous l´occasion d´une quelconque délectation. L´important est ailleurs : il est dans la reconnaissance par tous de la nature raciste de la politique conduite par l´ETAT mauritanien. Pendant ces années de braise ( 1986- 1991) les FLAM qui étaient relativement au début seules sur ce terrain de la dénociation du régime raciste et militaire, avec l´arrestation et la détention de nos camarades à Oualata et l´exil forcé des autres, n´ont pas manqué d´apprécier à sa juste valeur le document des jeunes Maures mauritaniens appelés « Mouvement des démocrates indépendants » d´avril 1989, sous le titre « Plus jamais ça » qui dénoncait les tueries en Mauritanie et au Sénégal et rappelait le processus de répression ethnique en vigueur dans notre pays depuis 1986. Pour la petite histoire le tract a été rédigé Rue des Écoles à Paris puis expédié, à Nouakchott, sous pli fermé, avec mention « dossier d´inscription Sorbonne ».
A l´époque nous avions loué le courage de ces jeunes compatriotes maures, comme nos amis Jemal Ould El Yessa, Béchir El Hacen et Abdallah Ould Kebd qui, émergeant du troupeau ont eu l´audace de reconnaitre et les posant, les graves problèmes de cohabitation que connait toujours notre pays et nous avions exprimé notre disponibilité à travailler avec eux pour le triomphe de nos justes positions. Cette preuve palpable de disponibilité à travailler avec ces compatriotes arabo-berbères ne nous a pourtant pas dispensé des critiques malveillantes des vieux chevaux chauvins du Système. Notre lutte a été détérminante pour acculer le pouvoir à des concessions, force nous est de reconnaitre que celui-ci, cruellement isolé au plan diplomatique avec la défaite de leur mentor Sadolf Hussein de l’Irak, a subi de fortes pressions internationales qui l´ont amené à lâcher du lest.
Les observateurs n´avaient pas manqué de faire le rapprochement entre les visites à Nouakchott du ministre francais des affaires étrangères Mr Roland Dumas et de Mr Michel Vauzelle, président de la commission des affaires étrangères de l´assemblée nationale française et sur le discours du 15 avril 1991 du colonel Ould Taya dans lequel il annoncait une série de mesures visant entre autres, à l´instauration d´un multipartisme et l´adoption d´une constitution qui serait soumise au peuple par un référendum dont la date avait été fixée au 12 juillet 1991. Rappelons que Mr Vauzelle a été saisi directement par des Flamistes lors d´une rencontre à Paris le 27 mars 1991 où il nous avouait avoir mis en garde la Mauritanie et lié l´aide de la France à certaines conditions.
Il nous avait aussi exprimé son émotion devant les exactions et humiliations dont les Noirs de Mauritanie sont victimes. Face à notre pression permanente et celle des ONG des droits humains (Amnesty International, Human Right Watch, FIDH, entre autres..), de personnalités, de partis politiques, de l’engagement à notre côté de certains grands décideurs politiques, le régime ethnogénocidaire, totalement discrédité, et parfois privé de financements d’institutions internationales, fut contraint et ne pouvait que céder. C´est alors que dans l´affolement, « le syndrome malien », aidant, il se mit à annoncer des mesures vite interprétées à l´époque comme un tournant démocratique en Mauritanie.
Heureusement que chaque jour qui se lève apporte son lot d´éclairage au drame mauritanien, permettant ainsi le recentrage des débats autour des vrais problèmes que les mentors du régime, leurs porte-faix et autres chauvins panarabistes ont essayé de brouiller tant bien que mal. La vérité par delà les passions, les errements et aveuglements qui peuvent la brouiller momentanément, finit toujours par s´imposer en se frayant son chemin. Demain il fera jour et la lutte continue !
Kaaw Touré
(Reçu à Kassataya 16 avril 2024)
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