En Syrie comme ailleurs, la guerre doit demeurer illégale

Si certains sont partisans d’une intervention militaire de la communauté internationale à tout prix en Syrie, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), rappelle qu’une telle démarche ne peut s’inscrire que dans un cadre légal précis. L’outrepasser reviendrait à tirer un trait sur les leçons du XXè siècle.

Dans un article publié dans « Le Figaro » le 15 février 2012, Bruno Tertrais propose d’abandonner l’idée selon laquelle l’approbation explicite du Conseil de sécurité serait l’alpha et l’oméga de la légitimité internationale.

Il appuie cette audacieuse proposition sur le blocage constaté au sein du Conseil de sécurité à propos de la dramatique situation syrienne du fait du veto russe et chinois. Deux pays non démocratiques, voire l’un « dominé par une oligarchie mafieuse et des services de renseignement tout-puissant » et l’autre « par une élite politico-militaire corrompue ».

L’ampleur de la répression en Syrie qui a déjà fait plus de 6.000 morts suscite légitimement l’émotion. Faut-il pour autant aller vers des mesures aussi radicales, dont les conséquences méritent d’être analysées avec précision ?

 

Rendre la guerre légale, un bond en arrière 

Au-delà de l’apparent bon sens, cette proposition revient tout simplement à rendre de nouveau la guerre légale. Cela serait malheureusement plus un formidable retour en arrière qu’un bond en avant. Cela serait revenir à la situation d’avant 1945 (ou 1929 et le pacte Briand Kellog) où la guerre était considérée comme moyen légitime de l’action internationale, une modalité parmi d’autres des relations interétatiques.

Le XXe siècle, au prix de deux guerres mondiales a été celui de l’interdiction de la guerre. Celle-ci n’est bien sûr pas universellement respectée. Mais la levée de son interdiction ne risque guère de faire progresser la cause de la paix. Un monde où chacun, au nom de causes qu’il estimerait justes, pourrait se lancer dans une guerre devrait plutôt faire froid dans le dos.

Le reproche selon lequel les Nations Unies sont une assemblée de dictateurs qui n’ont donc aucune légitimité à édicter des normes internationales est un motif récurrent des néoconservateurs américains. L’idée de créer une « ligue des démocraties » qui pourrait agir librement sur la scène internationale n’est pas tout à fait nouvelle. La Société des Nations (SDN) suivait déjà cette inspiration avec le succès que l’on connaît.

 

Qui déciderait qu’une guerre est juste ?

Le problème de rendre la guerre légale alors qu’elle est aujourd’hui interdite, sauf cas de légitime défense ou de décision du Conseil de sécurité, pourrait certes donner des marges de manœuvre nouvelle aux pays occidentaux. Mais ils ne seraient certainement pas les seuls à en profiter. Préconiser le recours à des guerres aujourd’hui illégales au nom de la justice pose un problème : qui déciderait de ce qui est juste ou non ? Seulement les Occidentaux ? Nous ne vivons plus dans un monde où ces derniers disposant du monopole de la puissance, pourraient agir librement, pour le meilleur ou pour le pire.

L’auteur recommandait récemment au président de la République d’user de son droit de veto pour s’opposer à l’admission de la Palestine à l’ONU. Pourquoi le dénoncer aujourd’hui ? De façon paradoxale, il rejoint aujourd’hui finalement le point de vue d’Eva Joly qui proposait de supprimer le droit de veto de la France. 

Affirmer que le droit de veto que les États-Unis ont utilisé pour le Proche-Orient ne relève pas d’une situation d’urgence humanitaire paraît curieux. Cela ne semblait peut-être pas tout à fait le cas lors de la guerre de Gaza.

 

De l’Irak à l’Iran, en passant par la Syrie

En fait, la volonté de porter secours aux Syriens cache mal une conception occidentaliste des relations internationales, basée sur la croyance de sa supériorité qui lui donnerait des droits niés aux autres.

Une des dernières grandes opérations militaires qui s’est faite contre l’avis du Conseil de sécurité de l’ONU fut la guerre d’Irak. Cela n’a franchement pas été une grande réussite.

On voit que se met en place la bataille idéologique à propos de l’Iran. Les mêmes qui ont soutenu la guerre d’Irak, faut-il le rappeler, au nom de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, vont soutenir le principe de frappes contre l’Iran et ceci bien sûr en dehors de tout vote de Conseil de sécurité.

Si la Russie et la Chine opposent leur veto, c’est pour défendre ce qu’elles considèrent être leurs intérêts, mais aussi parce que la résolution 1973, qui montrait que le droit de veto n’empêchait pas le Conseil de sécurité d’agir, a été détournée de son sens puisqu’on est passé de la responsabilité de protéger – acceptée tacitement par tous – à la cobelligérance.

La solution à la crise syrienne ne réside pas dans le démantèlement de l’ONU mais dans le renforcement des pressions multilatérales sur le régime syrien, et de faire comprendre à la Russie qu’elle compromet ses intérêts à long terme dans la région. Quant à ceux qui préconisent des bombardements sur l’Iran pour résoudre la question du nucléaire, disons simplement : « Vous avez aimé la guerre d’Irak, vous allez adorer la guerre d’Iran. »

Pascal Boniface

Source  :  Le Nouvel Observateur le 02/03/2012

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