L’edito de la tribune, par Mohamed Fall Ould Oumeir

On nous fait souvent le procès de ne pas proposer, de nous contenter de critiquer, de dire n’importe quoi et parfois son contraire, de nous répéter continuellement, de refuser les confrontations avec les autorités, d’être indulgent avec l’opposition…

Pour ma part, je n’ai jamais voulu satisfaire mes lecteurs… au contraire… ma réussite dans une analyse, je la mesure à l’aune de la violence de la réaction, de la mise à mal du lecteur… mon objectif étant de l’amener à se remettre en cause, à le mettre à mal avec ses plus profondes croyances, avec ses vérités les mieux établies. La convergence d’idées ne m’a jamais préoccupé.

Je suis issu d’une école qui a échoué dans ses batailles pour le changement. A force de vouloir modeler le monde dans lequel nous vivons, le retravailler et lui imposer une marque de progrès, nous avons fini esquintés, vidés même… en désespoir de cause, nous nous contentons aujourd’hui de décrire ce monde qui nous a échappé. Une manière de ne pas baisser les bras, de comprendre ce monde en attendant de pouvoir le changer.

Ici, ce qui peut être demandé au journaliste, c’est d’être l’interprète de la société, le support de ses aspirations, le soutien de ses projets porteurs… de valeurs d’équité, de justice (ce n’est pas la même chose), d’égalité, d’épanouissement moral et matériel de ses citoyens, de rationalité dans la gestion de ses affaires…

Ici, le journaliste se doit d’aider à l’établissement d’un dialogue, d’œuvrer pour que la politique ne reste pas un simple moyen d’accès au pouvoir, pour que la démocratie ne reste pas une simple bataille électorale pour avoir le pouvoir et pour que l’accès au pouvoir ne continue pas à simplement signifier l’opportunité de prendre sa part de la richesse nationale.

Nous sommes un pays qui avance par blocages successifs. Sans ligne conductrice. Parce que notre encadrement national refuse de se prendre en charge et d’affronter le monstre du statu quo. Et c’est comme cela que nous répétons le même schéma : pouvoir personnel et totalitaire, arbitraire tu, blocages politiques, fractures sociales, échecs économiques… coup d’Etat… sortie dans les rues pour soutenir les nouveaux maîtres… légitimation de l’acte par l’ancienne opposition… le temps pour le nouveau pouvoir de s’installer et de tenir les fils… puis retour à la case départ… avec sensiblement les mêmes outils, voire les mêmes personnes… en tout cas les mêmes promesses d’une Mauritanie libérée du clientélisme, du népotisme, du tribalisme, de l’affairisme, de l’ethnisme… et de tous les maux en «isme» ayant fait les affaires des pouvoirs déchus.

La grande tendance chez chacun de nous est malheureusement le repli sur soi dès les prémisses d’un goulot d’étranglement… tendance individuelle, tendance sociale qui est devenu l’un des caractères fondamentaux du pays qui se referme facilement sur lui-même. Régulièrement.

L’explication «intellectuelle» consiste à dire en pareil cas que nous sommes un pays «unique», une culture «spécifique», un esprit «exceptionnel»… plus on avance dans cette logique, plus nous prenons l’allure et la forme d’un ghetto… l’un de nos rares producteurs de réflexions disait que «plus le temps avance, plus l’espace se rétrécit»… et comme nous avons horreur de la promiscuité, s’en suivent tous les dérèglements qui ont marqué jusque-là notre vie.

Pour en finir, il va falloir faire le constat, le bilan du parcours. Pour cela, il faut décrire pour comprendre pourquoi nous en sommes (encore) là. Eviter de se poser la question en ces termes : comment en est-on arrivé là ? parce que cela suppose un mouvement qui n’a, peut-être, pas été effectué. Alors, pourquoi en sommes-nous encore là après cinquante ans d’existence ?

Le refus de répondre aux questions, d’apporter les solutions aux problèmes qui se posent, de faire face aux insuffisances qui empêchent de voir… mais aussi l’excès dans les mots, les positions, les visions… et enfin les égoïsmes qui enferment l’esprit et l’aveuglent.

Le 8 juin 2003 a été au 3 août 2005, ce que le 16 mars 1981 a été pour le 12 décembre 1984, une sorte de tonnerre annonciateur. Nous n’avons pas voulu voir que l’ordre chancelait, qu’il devait nécessairement s’écrouler. Les égoïsmes ont empêché de préparer la succession. La nature ayant horreur du vide, l’ordre a produit sa propre mue. Les égoïsmes ont dicté à l’encadrement national – opposants, soutiens, esprits indépendants…- de croire que cette mue était autre chose qu’un lifting de saison. Ou de raison.

Devant les velléités de l’ordre ante, la résistance et la vigilance ont été au niveau zéro. C’est donc sans difficulté que l’ordre ancien s’est vite rétabli. Livrée à elle-même, la scène a produit un chao déstructurant dont le coup d’Etat du 6 août n’est qu’une manifestation…

 

(Suite la semaine prochaine)

La Tribune N°495 du 05 avril 2009

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