Entre le Mali et la Mauritanie, un nouvel épisode de turbulences diplomatiques

Des exactions répétées de l’armée malienne et les mercenaires russes de Wagner sur des citoyens mauritaniens ont généré un climat délétère entre Nouakchott et Bamako.

Le Monde – Ce n’est ni la première protestation officielle, ni une déclaration de guerre, mais la traduction d’une exaspération grandissante de la Mauritanie vis-à-vis du Mali, son voisin. Samedi 20 avril, son ministre de la défense Hanana Ould Sidi s’est rendu à Bamako pour rencontrer le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, afin de protester contre la multiplication des exactions commises par l’armée malienne et les mercenaires du groupe de sécurité privé russe Wagner sur des citoyens mauritaniens, le long des 2 000 kilomètres de frontière commune entre les deux pays.

Incursion de Wagner en territoire mauritanien au cours de laquelle trois civils ont été blessés par balles, mises à sac d’habitations, bétail tué, destruction de plusieurs points d’eau essentiels à la survie des éleveurs mauritaniens qui transhument au Mali.

Début avril, les opérations antiterroristes menées par l’armée malienne et les paramilitaires russes dans des villages de cette zone frontalière largement contrôlée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, la filiale d’Al-Qaida au Sahel) ont provoqué la colère de Nouakchott.

Les forces mauritaniennes « porteront un coup sévère à quiconque tentera d’entrer intentionnellement dans nos frontières », avait déjà prévenu le 9 avril Nani Ould Chrougha, le porte-parole du gouvernement mauritanien, lors d’une conférence de presse. Six jours plus tard, le ministre malien des affaires étrangères, Abdoulaye Diop, accompagné du ministre de la défense, le colonel Sadio Camara, étaient à Nouakchott pour tenter d’apaiser la situation.

« Actes criminels récurrents »

En vain. Car le même jour, selon plusieurs sources sécuritaires au Sahel, sept civils mauritaniens étaient tués par l’armée malienne à Falou, à une centaine de kilomètres de la frontière mauritanienne.

Le chef de la diplomatie mauritanienne Mohamed Salem Ould Merzoug a alors immédiatement convoqué l’ambassadeur malien à Nouakchott, le 19 avril, pour protester contre ces « attaques répétées contre des citoyens mauritaniens innocents. Cette situation inacceptable perdure malgré les avertissements que notre pays a lancés à l’occasion d’incidents similaires ».

Au moins 43 civils mauritaniens ont été tués par les Forces armées maliennes (FAMa) et Wagner le long de la frontière depuis le déploiement des mercenaires russes au Mali début 2022, selon l’ONG Acled. La mort en mars 2022 de 29 Mauritaniens aux abords de la forêt de Wagadou, une zone aux mains des djihadistes, à une cinquantaine de kilomètres du territoire mauritanien, avait marqué le début du refroidissement des relations diplomatiques entre les deux pays voisins.

Le chef de la diplomatie mauritanienne avait alors haussé le ton, convoquant l’ambassadeur malien pour lui faire part de sa « vive protestation contre les récents actes criminels récurrents », commis par l’armée et Wagner à l’encontre de citoyens de son pays.

« Etouffer ces incidents »

Pour tenter, selon le ministère des affaires étrangères, « de contenir ce comportement hostile envers nos concitoyens », une délégation officielle s’était rendue à Bamako rencontrer la junte au pouvoir. Mais « malgré les engagements donnés à cet égard, le niveau de réponse des responsables maliens est demeuré en deçà des attentes ».

La création d’une commission d’enquête mixte chargée de faire la lumière sur ces incidents répétés avait été annoncée. Plus de deux ans plus tard, les résultats de ces travaux restent pour l’heure inconnus. A Nouakchott, une manifestation avait aussi éclaté pour protester contre la multiplication de ces exactions commises par les FAMa.

Un nombre encore indéterminé de Mauritaniens, arrêtés lors d’opérations antiterroristes, restent ainsi portés disparus. L’un d’entre eux, après sa libération, a raconté dans une vidéo publiée sur le réseau social X le 22 avril avoir été « bastonné, accroché à un arbre par les pieds, subi des chocs électriques et le supplice de la tête plongée dans un seau d’eau et menacé d’exécution » par des soldats maliens.

A l’issue de son entretien avec le colonel Goïta à Bamako le 20 avril, le ministre Hanana Ould Sidi Hanana a rappelé, très diplomatiquement, que la préservation des « relations fraternelles, séculaires qui unissent nos deux pays frères (…) est une responsabilité collective qui se doit d’être renforcée et approfondie ». Une manière d’« étouffer ces incidents », juge un diplomate occidental en poste à Bamako, à deux mois de l’élection présidentielle qui doit se tenir fin juin et à laquelle l’actuel président Mohamed Ould Ghazouani briguera un second mandat.

« Une trahison de la Mauritanie »

« Ghazouani n’a pas envie que cela devienne un sujet dont l’opinion publique pourrait s’emparer pour exprimer son mécontentement, souligne-t-il. Il joue donc la carte de l’apaisement lors de ses prises de parole, tout en envoyant en privé un message ferme aux autorités maliennes, pour qu’un incident similaire ne se reproduise pas. »

Selon des sources concordantes, l’armée mauritanienne a renforcé ses troupes le long de la frontière et le ministère de l’intérieur a fixé des points de passage obligatoires entre les deux pays. La junte malienne, elle, ajoute une nouvelle brouille de voisinage à son compteur.

 

En juillet 2022, ses relations avec la Côte d’Ivoire s’étaient détériorées après l’arrestation au Mali de 46 soldats ivoiriens, accusés de vouloir déstabiliser le pouvoir. Déployés dans le cadre de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), les militaires étaient restés prisonniers du régime pendant six mois avant de pouvoir regagner leur pays.

Puis, fin 2023, ce fut au tour de l’Algérie, pourtant loin d’être hostile, de voir son ambassadeur convoqué pour se voir reprocher des « actes inamicaux », ainsi qu’une « ingérence » dans « les affaires intérieures du Mali ». En cause : la réception à Alger, par les autorités, de plusieurs cadres des groupes rebelles touareg et arabes du septentrion malien à qui la junte avait déclaré la guerre en août.

Selon nos informations, des cadres de ces mêmes mouvements ont trouvé refuge en Mauritanie après la perte de Kidal, leur fief historique, face à l’armée malienne et Wagner en novembre 2023. Une hospitalité que Bamako n’a pas commentée. En septembre 2023, une polémique avait en revanche éclaté dans les journaux maliens après que des rebelles touareg étaient allés se faire soigner en Mauritanie suite à une confrontation avec des soldats maliens.

Si le Mali n’avait émis aucune protestation officielle, il avait toutefois « considéré cela comme une trahison de la part de la Mauritanie », souligne la source diplomatique précédemment citée. Contactées, les autorités mauritaniennes et maliennes n’ont pas donné suite aux sollicitations du Monde Afrique.

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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