Terrorisme : Attaques préventives ou guerre par procuration ?

Pour la deuxième fois, la Mauritanie passe à l’offensive, en attaquant des bases avancées d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). Le raid mené vendredi dernier avec le soutien de la France a fait plusieurs morts dans le camp des terroristes et permis de tester l’efficacité du dispositif mis par l’Armée mauritanienne pour contrecarrer la nébuleuse terroriste qui a essaimé dans le vaste désert compris entre la Mauritanie, le Mali et l’Algérie.

Mais au-delà de l’attaque elle-même qui traduit un nouvel engagement de la Mauritanie sur le front de guerre contre le terrorisme dans la sous région, ce sont les implications qu’il faut tenter d’analyser aujourd’hui. Et, aussi, les véritables raisons d’une opération militaire qui certes à la bénédiction de la France, des USA et de la Grande Bretagne, mais ne doit pas être bien perçu par certains milieux maliens et suscitent des craintes en Espagne pour la vie des deux otages toujours détenus par AQMI.

Quatre jours après l’attaque menée par un commando de l’Armée mauritanienne, avec ou sans le soutien effectif de soldats français, l’opération continue à soulever une multitude de questions restées sans réponses. Son unique titre semble être : beaucoup de zones d’ombre !
Un mystère qui commence à soulever également un tollé de protestations, de craintes et de mises en causes. Réagissant à cette escalade, la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) a souligné le caractère incongru d’une opération menée, sans déclaration de guerre, sur un territoire étranger et mettant en péril la vie des soldats impliqués ainsi que, dans l’avenir, celle des populations. Une manière de dire que les suites imprévisibles de ce raid peuvent être surtout une exposition, de plus en plus accrue, au « péril » terroriste. Inscrivant ses prises de position contre le pouvoir dans la crise qui l’oppose à Ould Abdel Aziz et à ses soutiens, la COD n’hésite pas à évoquer les récriminations qu’un pays comme le Mali peut formuler à l’encontre de Nouakchott qui, sans avertir, à engager ses troupes dans une opération militaire à l’intérieur de ses frontières.

Flou total

Mais, en fait, quel était l’objectif réel de cette opération ? Pour bon nombre d’observateurs, il est difficile de prendre pour argent comptent l’argument « préventif » avancé par le ministre mauritanien de l’Intérieur, évoquant une attaque terroriste qui était prévue pour le 28 du mois courant. Surtout que la thèse officielle mauritanienne est en déphasage flagrant avec les « explications » données par la France qui cherche plutôt à expliquer à son opinion publique, très regardante en matière d’intervention militaire non déclarée, par la volonté de sauver la vie de l’otage Michel Germaneau, enlevé au Niger et séquestré en territoire malien.
Si personne ne peut dire à l’heure actuelle si l’opération a été menée seulement par la Mauritanie ou par des troupes mixtes, ce qui est évident, en revanche, c’est que les « justifications » données épousent les contours politiques propres à chaque pays. D’om le flou total qui règne autour de l’opération. Même côté malien, on ne sait pas encore qu’elle est l’attitude officielle face à cette opération. Bamako qui entretient de bons rapports avec la France a sans doute des intérêts à sauvegarder, mais il faut aussi reconnaître qu’elle est dans une position délicate face à son opinion publique qui se demande de quel droit la Mauritanie fait de plus en plus d’incursions sur le territoire malien ? Des accords secrets ? Un droit de poursuite, au nom d’une guerre totale contre le terrorisme ? Ou tout simplement une sorte de culpabilité face à l’impuissance malienne de ne pas chasser de son sol les terroristes d’AQMI ?
On saura sans doute dans les prochaines heures (ou jours) ce que le gouvernement malien pense de cet évolution de la situation des rapports (de plus en plus tendus) avec la Mauritanie, mais toujours est-il que Nouakchott a déjà pris les devants en envoyant une forte délégation (ministre de la Défense, chef d’Etat-major particulier du président de la République, directeur général adjoint de la Sûreté) à Bamako pour expliquer les dessous d’un raid qui est considéré comme un singulier précédent. A Alger, notamment, les journaux locaux réprobateurs soulignent que lors des réunions des chefs d’Etat-major des armées des pays sahélo-sahariens (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso) l’accord d’Alger consacre le rejet de l’interventionnisme dans la région. Ainsi, au-delà de son succès (morts de six terroristes) ou de son échec (libération de l’otage français), l’intervention des forces spéciales mauritaniennes avec l’appui logistique de la France et des informations (photos satellite) livrées par les Etats-Unis, remet au goût du jour les principales recommandations de l’accord d’Alger sur la coopération en matière de lutte antiterroriste des pays du sahel. Les pays sahélo-sahariens avaient, on se le rappelle, à l’issue d’un accord signé le 03 mars 2010 à Alger, posé les jalons d’une coopération en matière de lutte antiterroriste qui repose, en premier lieu, sur le rejet de tout interventionnisme des puissances étrangères dans la région, sous quelque couvert que ce soit, y compris de lutte contre ce fléau. En vertu de cet accord, les pays de la région ont, rappelle-t-on, convenu de renforcer la coopération régionale de lutte contre le terrorisme, notamment les groupes affiliés à El Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), à travers l’échange d’informations, de formation et d’aide logistique. La stratégie au sein de laquelle ont décidé d’œuvrer les pays du sahel consiste, en outre, à l’échange d’expériences et d’entraide dans les domaines liés à la sécurité régionale. Ils ont surtout convenu de la non-négociation avec les terroristes et du non-paiement des rançons pour la libération des otages en cédant au chantage des terroristes. Un appel est lancé à la communauté internationale à coopérer avec les pays sahelo-sahariens afin qu’ils puissent assurer leur propre sécurité sans aucune intervention militaire étrangère. Cela faisant, les chefs d’états- majors de quatre pays de la région, en l’occurrence l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger, ont mis en place, en avril dernier, un comité d’état-major opérationnel conjoint, en exécution d’une réunion tenue les 12 et 13 août 2009 à Tamanrasset. Une réunion de coordination qui avait permis de déboucher sur un consensus sur la lutte antiterroriste, la traque de la contrebande et des réseaux de narcotrafiquants, dans les bandes frontalières où sévissent des groupes terroristes aux activités connexes entre trafic d’armes, drogue et enlèvements d’étrangers. La réunion s’inscrit dans le prolongement de la conférence des ministres des Affaires étrangères des pays de la région sahélo-saharienne qui s’est tenue à Alger le 16 mars 2010.
A cette occasion, les ministres des pays sahélo- sahariens, dont l’Algérie, du Burkina Faso, de la Libye, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad ont, après avoir procédé à une évaluation exhaustive de la situation dans la région, souligné la responsabilité des Etats à mener une lutte efficace et globale contre le terrorisme au niveau de chacun des pays. Est-ce la « fermeté » de ce message que la Mauritanie a compris en envoyant sans hésiter ses troupes d’élite traqué des terroristes sur le territoire malien ?

Fin du raid franco-mauritanien anti-Aqmi

Hier, des nouvelles sources généralement bien informées ont confirmé la fin des opérations militaires mauritaniennes contre Al Qaïda dans le désert du Sahara, soutenues par la France à la recherche d’un otage. Vingt à trente militaires français avaient pris part, aux côtés de Mauritaniens plus nombreux qu’eux, à ce raid. L’opération, menée en territoire malien à environ 150 kilomètres de la frontière mauritanienne, n’a duré que quelques minutes.
Six hommes membres d’Aqmi ont été tués et quatre autres ont pris la fuite, a-t-on précisé de sources française et mauritanienne. Des armes, des munitions, des appareils de téléphonie mobile et du matériel servant à la fabrication de bombes ont été saisis. Vendredi soir, la télévision d’Etat mauritanienne a diffusé des images des combattants tués, de leur camp dévasté et de véhicules saisis. Samedi, des sources française et mauritanienne ont indiqué que les opérations de traque des activistes islamistes en territoire malien, en cours depuis quatre jours, avaient pris fin.

« Plus aucune opération en cours »

« L’opération organisée par l’armée mauritanienne contre al Qaïda vient de se terminer. Les troupes impliquées sont sur le chemin du retour après quatre jours d’opérations », a dit une source mauritanienne. « Il n’y a plus aucune opération en cours », a-t-on confirmé au ministère français de la Défense. L’opération a été précédée d’appels à un renforcement de la coopération régionale et internationale dans la lutte contre l’AQMI, qui se concentrait jusqu’ici sur l’Algérie mais qui dispose maintenant de deux factions de plus en plus actives dans des régions désertiques de Mauritanie, du Mali et du Niger. Paris avait indiqué dans un premier temps vendredi avoir apporté un soutien « technique et logistique » aux forces mauritaniennes lors d’une opération destinée à prévenir une attaque de l’AQMI en Mauritanie, sans parler de son otage. Michel Germaneau serait aux mains d’Abdelhamid Abou Zeid, dirigeant de la plus dure des deux factions de l’AQMI opérant au Sahara. L’opération semble avoir irrité les autorités maliennes, qui n’ont pas été impliquées, et l’Espagne, dont deux ressortissants sont détenus par une autre faction d’Al Qaïda dans la région. « Les Espagnols ont été consultés et bien entendu, les Maliens ont été prévenus », a assuré la source au ministère français de la Défense. L’AQMI a demandé à la France d’accepter un échange de prisonniers. L’organisation a menacé de tuer Michel Germaneau et lancé un ultimatum qui expire au début de la semaine prochaine. « On n’a aucune preuve de vie ni aucune preuve de mort » le concernant, a-t-on indiqué de même source française.Les islamistes basés au Sahara n’ont jusqu’ici lancé aucune attaque de grande envergure et les observateurs estiment qu’ils se sont surtout concentrés sur la collecte d’argent grâce aux paiements de rançons et à la contrebande, notamment de cocaïne.

L’UA criminalise le paiement de rançon aux terroristes

Le conseil exécutif de l’Union africaine (UA) a appelé jeudi dernier à Kampala les Etats membres à « continuer à exhorter les partenaires de l’UA à soutenir pleinement et sans réserve » la décision de criminaliser le paiement des rançons aux groupes terroristes, en adoptant des instruments juridiques spécifiques considérant le paiement de rançon aux groupes terroristes comme un crime et interdisant la libération des terroristes détenus contre la libération des otages. Le rapport du président de la Commission de l’UA, M. Jean Ping, à la 15e conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’union, adopté par le conseil exécutif dont les travaux se sont ouverts jeudi à Kampala (Ouganda), a fait sienne les recommandations de la 4e réunion des points focaux nationaux et régionaux du Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT) qui a eu lieu à Alger.

Amadou Diarra

Source  :  www.le-renovateur.com le 25/07/2010

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