Platon, pour la dictature de la philosophie

« Philosophes et despotes » (1/5). Au IVᵉ siècle av. J.-C., le penseur grec conçoit l’idée que seuls les sages sont aptes à exercer le pouvoir. Le tyran Denys de Syracuse, approché pour mettre ce principe en pratique, ne veut rien entendre.

Le MondeMettre un terme au chaos politique fut l’obsession de Platon (v. 428- v. 348 av. J.-C.). Le père de la philosophie occidentale était en effet convaincu que la conduite des affaires communes était la tâche la plus cruciale de toutes.

Impossible, dès lors, de la laisser aux mains d’ambitieux cupides et ignorants. Doivent gouverner, selon lui, ceux qui ont contemplé le Bien, le Vrai et le Juste, qui sont sortis de la Caverne où ils demeuraient abusés par des images illusoires, qui connaissent l’ordre du monde et la nature des âmes – autrement dit, les philosophes. Pas question de laisser ces sages et savants dans leur tour d’ivoire. Il leur faut redescendre du Ciel des Idées, prendre en main les lois et l’Etat. « Que les philosophes soient rois, ou les rois, philosophes », telle est la condition nécessaire et suffisante de la Cité parfaite, l’unique issue à la tragédie du politique.

Ce n’est pas seulement une vue de l’esprit. Tout au long de sa vie, à de multiples reprises, le penseur a réellement tenté de ­convaincre des hommes de pouvoir de suivre ses principes et de les mettre en application.

Tout a commencé en 388 avant notre ère. Socrate est mort depuis une dizaine d’années, Platon a environ 40 ans. Il voyage loin d’Athènes et se lie d’amitié avec Dion, jeune aristocrate proche de Denys, tyran de Syracuse, lui-même désireux de réformer l’Etat et de fédérer sous son égide les cités de Sicile. Dion est intelligent, se pique de philosophie, s’enthousiasme pour la doctrine platonicienne. Il obtient du maître des lieux une audience pour Platon. Le philosophe espère convaincre Denys d’instaurer une cité nouvelle avec l’aide du jeune Dion, qui en prendrait bientôt la tête…

L’entretien avec le tyran est pour le moins inamical, et Platon est congédié. Denys menace-t-il de le tuer ? En donne-t-il l’ordre ? Fait-il vendre Platon comme esclave ? Les faits sont controversés, les sources tardives, incertaines, contradictoires. En tout cas, c’est un premier échec. Mais ­Platon ne se décourage pas. Une vingtaine d’années plus tard, à la soixantaine, il reprend la mer pour aller d’Athènes à Syracuse. Denys l’Ancien se meurt. Un autre Denys, le Jeune, va lui succéder. Le projet d’une Cité philosophique se trouve relancé. Finalement, rien ne se réalisera. Dion est envoyé en exil, Platon finit par rentrer chez lui. Dernier épisode, six ans plus tard : nouveau voyage et nouvel échec, où Platon aurait risqué de perdre la vie.

Par tous les moyens

Ces faits sont relativement incertains. Les experts discutent de l’authenticité des lettres autobiographiques où Platon est censé faire le récit de ses espérances et mésaventures. Mais une chose est certaine : le philosophe aura dépensé du temps et de l’énergie, mobilisé obstination et audace, voire témérité, pour inscrire dans la réalité politique, par tous les moyens à sa disposition, le règne de l’ordre philosophique.

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Source : Le Monde  

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