Tina Turner, la « reine du rock’n’roll », est morte

En soixante-dix ans de carrière, la vedette du rhythm’n’blues avait imposé sa griffe. Tina Turner s’est éteinte, mercredi 24 mai, à l’âge de 83 ans.

Le Monde  – Vedette sauvage du rhythm’n’blues de la fin des années 1950 jusqu’au milieu des années 1970, au sein du duo – et couple infernal – Ike & Tina Turner, Anna Mae Bullock avait acquis le statut de superstar en solo dans la première moitié des années 1980, en enchaînant tubes (What’s Love Got to Do with It, Private Dancer, The Best…) et tournées triomphales, lors d’un des plus improbables come-back de l’histoire du show-business. Adulée pour sa voix de feu et son énergie hors norme, admirée pour sa force de caractère, notamment après qu’elle eut révélé le martyre conjugal subi lors de sa première carrière, la chanteuse, danseuse et actrice, mondialement connue sous le nom de Tina Turner, est morte, mercredi 24 mai, à l’âge de 83 ans.

De multiples témoignages rendent hommage à celle qui fut surnommée « the queen of rock’n’roll » (« la reine du rock’n’roll »), dont le jeu de scène électrisant avait enfiévré ses premiers disciples. Parmi eux, Mick Jagger qui reconnaissait que sa gestuelle devait autant à James Brown qu’à celle avec laquelle il avait chanté un brûlant duo (State of Shock/It’s Only Rock’n’Roll), lors du Live Aid, le 13 juillet 1985.

Comme beaucoup d’enfants du sud rural des Etats-Unis, Anna Mae Bullock trouve sa voix en prenant part au chœur de son église, la Spring Hill Baptist Church de Nutbush, le hameau du Tennessee où elle a grandi depuis sa naissance, le 26 novembre 1939. Fille d’un métayer, elle est élevée sur les bords du Mississippi, dans une campagne vouée aux champs de coton.

Si son coffre se forme aux gospels du service baptiste, son oreille s’initie aussi au boogie-woogie, à la country et au blues, en particulier celui de B.B. King, diffusés à la radio. La petite fille rêve et voyage devant les images des stars d’Hollywood, mais sa réalité n’a rien de glamour.

 

« Tombée en transe »

 

Victime de violence conjugale, sa mère fuit le foyer en abandonnant ses trois filles. Sa cadette, Anna, n’a alors que 11 ans. Deux ans plus tard, c’est au tour du père de s’installer à Detroit (Michigan), laissant sa progéniture au bon soin de la grand-mère maternelle à Brownsville (Tennessee). A la mort de celle-ci, Anna, qui a été employée de maison dans une famille blanche, mais aussi basketteuse et cheerleader dans l’équipe de son école, part rejoindre sa mère, à East Saint Louis (Illinois).

Dès l’âge de 16 ans, elle fréquente, avec sa sœur aînée, Alline, passionnée de musique (elle écrira plusieurs chansons, pour Ike & Tina Turner, dont Funkier Than a Mosquita’s Tweeter, repris plus tard par Nina Simone), les meilleurs night-clubs de Saint Louis (Missouri) et East Saint Louis. C’est dans l’un d’eux, le Manhattan Club, qu’elle croise la route des Kings of Rhythm, le groupe mené par Ike Turner (1931-2007). Dans Tina (2021), le film documentaire réalisé par Daniel Lindsay et T.J. Martin, la chanteuse raconte comment elle était littéralement « tombée en transe » en assistant à ce concert.

Originaire de Clarksdale (Mississippi), le pianiste et guitariste Ike Turner est en effet un musicien d’exception, dont le talent s’est forgé en accompagnant des grands noms du blues tels Muddy Waters, Elmore James, Howlin’Wolf, Otis Rush ou B.B. King. Egalement producteur artistique, arrangeur et découvreur de talents, il s’est affirmé dans le milieu du rhythm’n’blues, tout en composant, en 1951, un titre, le fougueux Rocket 88 (attribué à son chanteur-saxophoniste, Jackie Brenston) considéré par beaucoup comme l’un des actes de naissance du rock’n’roll. Ce succès, attribué contractuellement à son chanteur-saxophoniste, Jackie Brenston, comme d’autres enregistrements pour lesquels il se considérera floué, aiguiseront sa méfiance jusqu’à la paranoïa.

Le jeu tranchant du guitariste, d’un éclectisme anticipant également le groove du funk, subjugue à tel point Anna Mae Bullock, qu’elle le supplie de monter sur scène avec lui. Après avoir essuyé plusieurs refus, elle obtient un jour gain de cause quand le batteur du groupe (et petit ami de sa sœur Alline) lui tend finalement le micro lors d’un entracte. Impressionné, Ike Turner propose à l’adolescente de se joindre aux autres chanteurs des Kings of Rhythm.

 

« Little Ann »

 

Le leader apprend à sa nouvelle recrue à contrôler la puissance de sa voix et travailler sa prestation scénique. « C’était son héros, comme un grand frère », témoignera plus tard une des choristes du groupe en évoquant le début de leur collaboration. Celle qu’Ike Turner surnomme encore « Little Ann » enregistre, en 1958, Boxtop, son premier single avec le groupe. Elle entretient alors une relation avec le batteur, Raymond Hill, avec qui elle a un fils, qu’elle élève en fille-mère quand le père, malade, repart vivre dans le Mississippi.

Débute alors sa relation amoureuse avec Ike Turner qui l’épouse dans la foulée et la rebaptise Tina, en 1960, un nom inspiré par une héroïne de bandes dessinées, Sheena, Queen of the Jungle. Le premier succès du couple, A Fool in Love (sur le label Sue Records, en août 1960), correspond aussi aux premières violences subies par la jeune épouse. Alors que Tina, enceinte, demande à son mari de ne pas partir en tournée, il la frappe avec un embauchoir. « La torture a commencé et ne s’est jamais arrêtée. Mais pourtant j’avais de la peine pour lui », racontera la chanteuse, en expliquant, entre autres, sa soumission par son envie de ne pas trahir le musicien.

 

Tina Turner sur la scène du Madison Square Garden, à New York, le 1er août 1985.

 

Conscient d’avoir entre les mains une bête de scène, Ike Turner transforme son groupe en une machine de guerre. L’orchestre est rebaptisé The Ike & Tina Turner Revue. Un trio féminin de choristes, les Ikettes, rejoint une formation dorénavant chargée de souffler sur l’incendie provoqué par les rugissements et les chorégraphies suggestives d’une Tina Turner aux robes et jupes dévoilant ses longues jambes de danseuses. Alors que triomphent les mélodies pop consensuelles du label Tamla Motown, la Revue fait basculer le rhythm’n’blues dans une bacchanale alliant rock et riffs funk.

Quelques disques se font remarquer – Poor Fool, Tra La La La La, You Can’t Miss Nothing That You Never Had… –, mais c’est surtout l’enchaînement stakhanoviste de ces concerts provocants qui construit la réputation du couple. Pas un hasard si un album enregistré en public – Live ! The Ike & Tina Turner Show – se révèle alors leur plus gros succès.

 

En première partie des Rolling Stones

 

Impressionné par le duo, le producteur vedette Phil Spector les accueille sur son label, Philles. Surtout admirateur de la chanteuse, il parvient, moyennant finances, à convaincre Ike de le laisser réaliser seul les séances d’enregistrement. Monument pop, alliant le fameux « Wall of Sound » de Spector (construit à partir de tourbillons de cordes et de percussions) et le puissant registre de Tina Turner, le single River Deep, Mountain High (juin 1966) est un échec inexpliqué aux Etats-Unis, mais son succès en Europe (n° 3 au Royaume-Uni, n° 1 en Espagne) et celui de l’album du même nom ouvrent de nouvelles portes.

Fans du duo, les Rolling Stones les accueillent en première partie de leur tournée britannique, fin 1966, avant de renouveler l’invitation pour leur tournée américaine de 1969. La décennie suivante les voit triompher sur le mode de la reprise, avec une version du I Want to Take You Higher de Sly and the Family Stone, et surtout une version calorifère de Proud Mary (n° 4 aux Etats-Unis en 1971), le classique de Creedence Clearwater Revival, qui, avec 1 million d’exemplaires vendus, restera leur plus gros hit.

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Source : Le Monde 

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