Harry et Meghan, symbole d’une époque malade d’insignifiance

De retour sur Netflix, on va bouffer jusqu'à la nausée des aventures de ce couple doué pour rien mais assez malin pour apparaître comme indispensable à la marche du monde.

Slate – Il manquait vraiment plus que ces deux pingouins-là! Non seulement on risque de passer un hiver à se geler, sans eau ni électricité, avec des grèves en veux-tu en voilà et l’obligation de ressortir son masque du placard, mais en plus il va falloir se farcir l’épopée de ces deux tourtereaux dont l’horizon intellectuel, si jamais il existe, doit se borner à choisir quelle police de caractère employer pour leur fil Instagram.

Après Gustav et Alma, Scott et Zelda, Simone et Jean Paul, Humphrey et Lauren, John et Yoko, Robert et Raymonde… voilà donc Harry et Meghan. Meghan et Harry. Le nouveau couple mythique, la quintessence de notre vie artistique et intellectuelle. Mais qu’ai-je donc fait au Seigneur pour naître à pareille époque où par l’entraînement des médias de masse, il nous faut subir jour après jour le récit de personnes si insignifiantes que comparée à la leur, la vie de deux albatros échoués sur une île de l’archipel des Galapagos nous apparaît comme mille fois plus palpitante?

On avait déjà eu le droit à une interview fracassante de vacuité avec Oprah, voilà que désormais c’est au tour de Netflix de nous proposer un voyage dans l’intimité du couple princier. Certes, personne n’est obligé de regarder mais le matraquage est tel que même celui assez lucide pour n’être pas abonné à ce service de streaming est comme condamné à se passionner pour leurs aventures.

Personne n’y échappera. Le feuilleton de leurs déboires, de leurs heurts et malheurs, scanderont les semaines à venir. Tout comme la Coupe du monde, il faudrait les boycotter, trouver une application qui puisse permettre la lecture des journaux sans tomber sur un compte-rendu des derniers épisodes. Sur leur fuite en Amérique présentée comme l’exil traumatique d’un couple de physiciens soviétiques à l’heure de la Guerre froide quand il s’agissait avant tout de sauver sa peau. Sur leur volonté d’échapper aux tabloïds, eux dont les portraits officiels doivent valoir fortune. Sur le racisme supposé de la famille royale –tu parles d’une révélation!– toute cette couillonnade aussi utile à la marche de l’humanité qu’un pet de cosmonaute dans l’infini du cosmos.

 

On parle d’un couple qui croule sous les millions, vit sous le doux soleil de Californie, hante une maison grande comme un arrondissement parisien, passe son temps à rédiger ses mémoires, une existence de nantis transformée par la grâce de quelques communicants en une sorte de marathon de la douleur, d’apogée de la souffrance, où entre l’ombre du fantôme de Diana et le soupçon d’un racisme institutionnel, leur vie ressemblerait à un cauchemar éveillé.

Une sorte d’obscénité portée à son paroxysme le plus absolu. On a beau chercher, on se demande toujours en quoi leur vie peut nous intéresser ou nous concerner. Ils ne sont ni artistes, ni philosophes, ni chanteurs, ni sportifs, ni journalistes, ni acteurs de films porno, ni influenceurs spécialisés en crème à bronzer, rien si ce n’est une vague actrice, un prince déchu, tous les deux réunis par l’idée de monnayer au plus offrant le récit de leur immarcescible vacuité.

En cela, ils correspondent parfaitement aux canons de l’époque. Jamais on n’aura autant glorifié la bêtise. Jamais on ne se sera autant passionné pour des personnes qui, fortes de leur nullité, sont parvenues à se faire passer pour des intellectuels de haut rang. Jamais l’insignifiance n’aura été autant célébrée à la télévision. Jamais on n’aura autant mis en avant la médiocrité, le goût du scandale pour rien, les vociférations gratuites, tout ce bruit de fond qui de l’Assemblée nationale aux studios de télévision en passant par l’incessante rumination des réseaux sociaux rythment désormais notre quotidien.

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Laurent Sagalovitsch

 

 

 

 

 

Source : Slate (France)

 

 

 

 

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