En Afrique, un manque cruel de stades aux normes internationales

Après la publication d’un rapport accablant sur l’état des infrastructures sportives, la Confédération africaine de football a décidé de reporter les matchs de qualification pour la Coupe du monde 2022.

Les joueurs des 40 sélections africaines qui s’apprêtaient à participer au second tour des qualifications pour la Coupe du monde 2022 au Qatar vont devoir remiser leurs crampons. Initialement prévus en juin, les matchs des grandes équipes du continent et de celles issues du premier tour, ne se tiendront finalement qu’en septembre. Un changement de calendrier décidé in extremis par la Confédération africaine de football (CAF) après la publication d’un rapport accablant sur l’état des infrastructures sportives en Afrique.

Réalisée par la CAF elle-même, l’enquête présentée début mai révèle que 22 pays ne disposent pas de stade aux normes internationales. Or parmi eux, huit sont engagés dans les qualifications pour la Coupe du monde (Sénégal, Centrafrique, Mali, Malawi, Burkina Faso, Niger, Namibie, Liberia). « Le report a été décidé pour leur laisser le temps nécessaire de faire les travaux de réhabilitation. Maintenir les matchs en juin aurait obligé certaines rencontres à se tenir à l’étranger, sur terrain neutre », justifie un membre de la CAF.

Pour respecter le cahier des charges des instances internationales, les enceintes doivent avoir une capacité d’accueil d’au moins 10 000 places, une pelouse et des vestiaires de qualité, des dispositifs d’éclairage ou de sécurité adaptés. Or peu d’infrastructures satisfont à ces exigences en Afrique, y compris dans des pays avec des équipes solides. La République démocratique du Congo (RDC), la Tunisie et la Côte d’Ivoire comptent seulement un stade homologué chacune. Seuls se distinguent l’Afrique du Sud (treize enceintes), l’Egypte et le Nigeria (sept), le Maroc (six), le Cameroun (cinq) et la Guinée équatoriale (quatre).

Manque de vision à long terme

 

Dans ce contexte, « le report annoncé par la CAF est une douche froide, mais il fallait s’y attendre », estime Ferdinand Coly, ancien défenseur des Lions de la Teranga : « L’équipe du Sénégal a disputé ses derniers matchs au stade Lat-Dior, à Thiès, qui n’est pas très fonctionnel. Pour un pays comme le nôtre, ne pas disposer d’une enceinte moderne aux normes, c’est tout de même triste. Le problème est lié à la maintenance et à l’entretien des stades : on construit sans se soucier de mettre les moyens pour pérenniser les édifices. Combien de stades en Afrique ont été édifiés pour la CAN [Coupe d’Afrique des nations] avant de subir les effets d’un manque de suivi ? »

Pour le Marocain Hicham El Amrani, secrétaire général de la CAF de 2011 à 2017, le problème est en effet davantage lié à un manque de vision à long terme qu’à une pénurie de moyens. L’ancien dirigeant pointe du doigt une mauvaise coordination entre les Etats, les fédérations et les communes : « Ce n’est pas le rôle des fédérations d’entretenir les stades, mais des Etats. Bien sûr, pour des pays où les services de santé fonctionnent mal, la question d’un stade moderne ne sera pas une priorité. Faire sortir de terre un stade pour une CAN, un CHAN [Championnat d’Afrique des nations] ou des Jeux africains, c’est une chose. Mais il faut penser à la suite, comprendre que le stade doit être un lieu de vie aménagé. On y vient pour des compétitions sportives, mais aussi pour assister à des spectacles, boire un café, déjeuner, faire du shopping. »

Une mauvaise anticipation peut conduire à de véritables désastres. Certains stades ayant accueilli des matchs de la CAN 2019 au Gabon sont aujourd’hui dans un état déplorable, comme à Oyem (20 000 places) et surtout à Libreville, où le stade de l’Amitié (40 000 places), construit par les Chinois et inauguré en 2011, est laissé à l’abandon, obligeant la sélection nationale à disputer ses matchs internationaux à Franceville, à plus de 700 km de la capitale.

« La tentation du gigantisme »

 

Le problème est malheureusement récurrent. Le Français Claude Le Roy, qui a entraîné plusieurs sélections en Afrique depuis 1985 (Cameroun, Sénégal, RDC, Ghana, Congo, Togo), l’a souvent constaté : « Un des problèmes majeurs, c’est qu’on ne prête pas assez attention à l’état des terrains, qui est l’instrument de travail des joueurs. En Afrique, il y a du soleil et de la pluie. Tout ce qu’il faut pour avoir de bonnes pelouses. »

Le technicien français plaide pour la construction de stades à dimension humaine. Dans beaucoup de pays, l’appauvrissement du niveau des compétitions locales a provoqué un désintérêt croissant du public. « Cela ne sert à rien de construire des stades trop grands, de céder à la tentation du gigantisme. Que certains pays disposent d’enceintes de 50 000 places, pourquoi pas, mais à condition d’en avoir une utilisation régulière et de les entretenir. Je pense qu’il est préférable d’avoir des stades de 10 à 20 000 places, modernes, bien entretenus et confortables, qui donneront aux gens l’envie d’y venir. »

 

Pour palier ces carences, la Fédération internationale de football (FIFA) a annoncé son intention de trouver des financements à hauteur de 830 millions d’euros, afin de permettre « la construction d’au moins un stade de grande qualité dans les pays affiliés à la CAF », comme l’avait déclaré son président, Gianni Infantino, en février 2020. « Mais il faut que les efforts soient davantage concentrés vers les Etats où les besoins sont les plus grands, insiste Hicham El Amrani. Cette subvention doit aller de pair avec des accords entre la FIFA, la CAF, les fédérations et les Etats pour que l’argent soit non seulement bien utilisé, mais aussi qu’il y ait une vraie stratégie pour pérenniser ces stades. »

 

 

Alexis Billebault

 

 

Source : Le Monde (Le 13 mai 2021)

 

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