Pour le sprinteur malien Fodé Sissoko, une vie au pas de course

M Le Mag PortraitGrâce à ce jeune homme de 27 ans, le Mali peut caresser l’espoir de voir un de ses athlètes de haut niveau participer aux Jeux olympiques de Paris cet été. Pour réaliser ce rêve, Fodé Sissoko s’entraîne dans le nord de la France depuis 2018. En plus d’une intense préparation sportive, il doit cumuler deux emplois pour réussir à boucler ses fins de mois.

 

Fodé Sissoko patiente depuis une quinzaine de minutes pour faire sa course. Garé à la caisse numéro 5 du Leclerc Drive, il attend, le coffre de sa voiture ouvert, des packs de lait qu’un camion n’a pas encore déchargés. Il regarde tomber la pluie, il est 15 h 44, ce 11 mars. Autour de lui, en banlieue de Lille, des ronds-points et des hangars, la face cachée des achats sur Internet.

Le jeune homme est inscrit sur une application de livraisons depuis plusieurs mois. Parfois, il transporte des fleurs ou des vêtements de sport ou, comme aujourd’hui, des produits d’hypermarché. Le lait est là, il file à Marcq-­en-Barœul, dans la banlieue nord, pour ravitailler une dame qui a coché le créneau 16 heures- 18 heures. Résidence des années 1960, interphone, grille automatique. Sur les marches, il dépose devant la cliente les trois gros sacs de provisions et les packs. Le paiement se déclenche : 6,90 euros la course. C’est ainsi que Fodé Sissoko arrondit ses fins de mois et optimise les nombreux trajets en voiture entre ses entraînements, ses rendez-vous médicaux et son CDI dans une entreprise de mobilier.

Fodé Sissoko est un sprinteur malien, un athlète de haut niveau qui s’entraîne en France depuis 2018. A 27 ans, le sportif de 1,81 m pour 75 kg est détenteur du record du Mali sur 200 mètres et médaillé d’argent des derniers Jeux de la francophonie, en août 2023. Dans cette discipline reine, il est aujourd’hui le meilleur espoir pour son pays d’être présent aux Jeux olympiques de Paris. A Tokyo, en 2021, ils étaient en tout et pour tout quatre sportifs à porter les couleurs du Mali. Aucun n’était arrivé au stade des demi-finales. Cette année, à Paris, il devrait y avoir l’équipe des jeunes footballeurs maliens et quelques autres sportifs, dont Fodé Sissoko.

Pour cela, il doit réaliser, avant le 30 juin, lors de compétitions officielles, les minima déterminés par la Fédération internationale d’athlétisme, en parcourant 200 mètres, sa course favorite, en moins de 20 s 16. Le 21 mars, lors de sa participation aux Jeux africains, à Accra (Ghana), sa performance a été décevante : 21 s 36. Si cette seconde et ces 20 centièmes continuent de lui échapper, son pays a prévu de le choisir sur les « quotas réservés à l’universalité », un principe olympique selon lequel un pays qui n’est représenté par aucun athlète est autorisé à envoyer son coureur le mieux classé, mais dans trois épreuves seulement : le 100 mètres, le 800 mètres et le marathon. Dans ce cas, Fodé Sissoko sera obligé d’abandonner le 200 mètres pour le 100 mètres.

Deux pistes en Tartan et zéro starting-block

 

La première fois que Fodé Sissoko a entendu sérieusement parler des Jeux olympiques, c’était il y a dix ans, en 2014. Alors étudiant à l’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS) à Bamako, il se rappelle très bien le professeur citant les quelques Maliens qui y avaient participé, sans toutefois rien gagner – le Mali n’a jamais remporté de médaille lors de cette compétition aux quelque trois cents épreuves.

« A ce moment-là, se souvient le jeune homme, je me suis dit que je voulais écrire mon histoire, et qu’un jour mon nom serait aussi parmi eux. » Seulement Fodé Sissoko est né dans un pays où il n’y a alors que deux pistes en Tartan et zéro starting-block. Loin derrière le football et le ­basket, l’athlétisme n’est pas un ensemble de sports totalement inconnu, mais il est peu ­pratiqué. Lui-même l’a découvert par hasard quand un enseignant l’a inscrit à une course après l’avoir vu sprinter derrière un ballon. La graine est plantée.

Lors de son entraînement musculaire au centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) des Hauts-de-France, à Wattignies (Nord), le 11 mars 2024.

 

A l’Institut national de la jeunesse et des sports et dans le grand stade du 26-Mars de Bamako, le jeune homme du quartier populaire de Yirimadio court. Le 100 mètres, le 200 mètres, le 400 mètres, les relais. A 18 ans, il enchaîne les tournois et des chronos qui estomaquent.

Des coachs l’approchent et se demandent qui est ce junior qui fait des temps que l’on ne voit pas ici. Fodé Sissoko raconte aujourd’hui avec une précision assez méthodique l’enchaînement des compétitions régionales, nationales, les victoires et les blessures. Sa famille – un père instituteur, une mère au foyer, cinq frères et sœurs – ne va le voir qu’une seule fois, lors d’un tournoi en 2014. Ce jour-là, il se blesse. Depuis, ses proches suivent de près ses performances mais, trop inquiets de le voir chuter, n’assistent plus à ses compétitions.

Fodé Sissoko situe son entrée sur la scène internationale lors des Championnats d’Afrique d’athlétisme de 2016, à Durban (Afrique du Sud). « J’étais un peu stressé et impressionné, mais je suis arrivé en demi-finale du 200 mètres. J’ai terminé quatrième et j’ai battu mon record en faisant 20 s 72. Pas mal d’athlètes m’ont félicité, c’était une petite révélation car personne ne me connaissait. Et j’ai eu la chance de courir avec Van Niekerk. Je lui ai serré la main. » Le champion du monde sud-africain Wayde van Niekerk est toujours l’un de ses sprinteurs favoris. Il admire ses performances mais aussi sa modestie, sa discrétion sur les réseaux sociaux… et ses victoires olympiques.

Son emploi du temps est minuté

 

Fodé Sissoko est ému quand il se rappelle ce temps où les choses étaient plus simples, où tous les espoirs étaient permis. Ses médailles, il les a laissées chez ses parents à Bamako. Ici, dans son trois-pièces au 7étage d’un immeuble de Ronchin, une petite commune dortoir en périphérie de Lille, rien ne rappelle ses exploits. Sauf, peut-être, un tas de chaussures de course fatiguées dans l’entrée et une belle photo de lui portant le maillot du Mali dans le salon.

La pause méridienne est bientôt terminée. Fodé Sissoko est repassé à son appartement, il a réchauffé son plat de mil et de cacahuètes pilées, déjeuné face à la vue sur la cité et fera la vaisselle plus tard. Comme cinq jours sur sept, son emploi du temps est minuté. Il doit partir à son entraînement. Aujourd’hui, le rendez-vous est au stadium de Villeneuve-d’Ascq, parfois, c’est au Creps de Wattignies, deux pôles d’équipements sportifs dont il peut bénéficier gratuitement grâce à son club, le Lille Métropole Athlétisme (LMA).

Depuis le couloir qui débouche sur la piste, il regarde si ses collègues d’entraînement, qui préparent les championnats régionaux et nationaux, sont arrivés. Tous ont le même coach : Didier Baudouin, directeur sportif du LMA. Cet ex-triple sauteur entraîne Fodé Sissoko depuis son arrivée en France. Ils sont allés ensemble aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 et souhaitent faire de même cet été à Paris.

Au Japon, même si l’expérience humaine était incroyable, Fodé Sissoko se remettait d’une blessure et n’a pas fait une très bonne performance : avec ses 21 s 00 à l’épreuve du 200 mètres, il a terminé cinquième lors de la première série. Un premier vrai tour de chauffe. Depuis le début de sa carrière il y a dix ans, c’est 2024 qui est dans sa ligne de mire.

Aujourd’hui, séance aérobie (cardio et endurance). Didier Baudouin, 56 ans, casquette et belle carrure, donne ses instructions aux athlètes. Après un long échauffement, ils s’en vont sur la piste, où des coureurs de demi-fond tournent déjà depuis un moment. Au centre, sur le terrain herbeux, des robots tondeuses s’activent. L’entraîneur observe ses sportifs depuis les gradins tricolores. Ce n’est pas un sentimental. Pour lui, ce sont les failles et les difficultés qui construisent les athlètes de haut niveau.

Le kiné Julien Henneuse en train de masser Fodé Sissoko avant son entraînement.

 

Mais en parlant des débuts lillois du sprinteur malien, il s’adoucit. « Avec lui, j’ai découvert la vie d’un athlète en dehors de l’Europe. Je me rappellerai toujours un trajet pour aller à un stage à Liévin. Je l’avais embarqué dans ma voiture avec d’autres coureurs. Il nous a d’abord appris qu’au Mali, il n’y avait pas de starting-block. Vous auriez vu nos têtes ! Puis il a raconté qu’il avait passé deux jours dans un minibus, debout, pour se rendre aux Jeux de la francophonie auxquels il participait et qu’au retour ils étaient tombés dans un ravin… Là, j’ai compris qu’il débarquait d’un monde sportif à mille lieues du nôtre. On a pris de plein fouet sa réalité. »

Galères administratives

 

Avec Fodé Sissoko, le coach découvre aussi les galères administratives qui sont celles de tout immigré : la carte de séjour, le visa, leur renouvellement, l’absence de couverture maladie au début – ces « épées de Damoclès » qui pèsent lourd sur une préparation physique et mentale de pointe. Didier Baudouin adapte donc ses séances, trois au lieu de cinq par semaine, notamment pour éviter que le sportif ne se blesse. « Le premier meeting auquel il a participé en France était à Montgeron [Essonne], où il a fait 10 s 48 au 100 mètres et 26 s 60 au 250 mètres. Un niveau international ! Des athlètes de ce calibre, il n’y en a pas des tas. Voilà pourquoi l’aventure a commencé. »

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Source : M Le Mag – (Le Monde )

 

 

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