Horreur et sidération / Par Tijane Bal

Le meurtre abominable de Kardiata Oumar Sow est un révélateur de l’état de notre société. On ne peut en tout 1er lieu qu’être bouleversé, avoir une pensée pour la victime et ses proches.

Après la sidération, viennent les questions. Que faisait cette jeune fille en cet endroit ? Pour des raisons professionnelles a-t-on dit. Une hypothétique ONG a été vaguement évoquée. Laquelle ? Comment et sur quels critères recrutait-elle ? Surtout avec quelles garanties ? Le doute est permis. Quel est le profil des assassins ? Qu’a-t-on fait miroiter à la victime pour qu’elle sombre dans le piège de ce qui ressemble fort à un réseau crapuleux ?

Depuis l’annonce du meurtre, le thème générique de la « violence faite aux femmes » a resurgi. Pourtant, il n’y a, en l’espèce, ni cadre familial ni relation préexistante. N’importe. Il faudra bien questionner les facteurs ayant favorisé le crime sans nécessairement l’ «expliquer», surtout pris isolément. Les représentations sociales devraient figurer en bonne place sur la liste.

La relation femme homme au sein de notre société (la société mauritanienne notamment) est traversée par une culture machiste diffuse et communément intériorisée. (Inconsciemment ?). Y compris par les femmes elles-mêmes, il faut le reconnaître. Au moins certaines d’entre elles.

A l’extrême, cette culture peut conduire insensiblement à la banalisation de la violence symbolique voire à des violences physiques. Les brutalités dites conjugales (expression révélatrice) qui touchent tous les milieux sociaux sont vues comme spécifiques, singulières, distinctes et insuffisamment caractérisées comme des infractions. Ce qu’elles sont d’abord et par-dessus-tout. Ah ! Un tel, il a l’habitude de battre sa femme. Le mari violent ne perd en rien sa respectabilité sociale et ne subit aucune disqualification liée à son comportement.

Ces violences apparaitraient presque comme des modalités particulières de la vie de couple. L’incident épisodique « sans conséquences ». Une telle banalisation débouche, à moins qu’elle ne s’explique, par une culture de l’impunité largement partagée et tolérée. Laquelle ne peut être déconnectée des codes et du discours dominants. Est-il besoin de rappeler que les pouvoirs principaux sont à dominante masculine et empreints d’un traditionalisme assumé ou inconscient.D’autres considérations font le reste : reproduction de conduites, frustrations, corset social, contrôle social permanent et tous azimuts, laïcité en berne, inertie institutionnelle.

Au risque de choquer, force est aussi de noter qu’en de nombreuses circonstances, par leur « acceptation « de schémas relationnels stéréotypés dans lesquels elles s’inscrivent elles-mêmes, des femmes pérennisent voire perpétuent un « ordre » social corrodé. Elles abdiquent ce faisant leur droit à la contestation de cet « ordre ». Elles pourront toujours objecter que de manière générale, la société ne les aide pas beaucoup. Vrai jusqu’à une certaine limite. Est-ce une raison valable ?

Pour autant, n’oublions pas l’essentiel à savoir les réponses à apporter. Au moins prioritairement aux situations extrêmes du type violences physiques voire meurtres. Elles sont de plusieurs ordres et on ne m’a pas attendu pour les découvrir.

D’abord institutionnelles. Je ne sais s’il existe un ministère des droits des femmes (cet intitulé me paraît préférable à celui de la très lénifiante et larmoyante condition féminine). Même réduit à un affichage, ce signal est symboliquement important. Evidemment, il doit s’accompagner d’initiatives plus déterminantes : arsenal législatif et réglementaire, éducation à la sensibilisation et aux discriminations par des campagnes périodiques mais itératives, institution de lieux d’accueil, d’écoute, recueil anonymisé et sécurisé de plaintes, surtout politiques de recrutement plus ouvertes à la diversité dans des secteurs d’autorité (notamment dans les domaines de la justice, de la police), numéros téléphoniques dédiés, nomination de femmes à des postes de responsabilité tels ceux de référentes. Peu importe l’intitulé (défenseur des droits, déléguée aux droits…). L’action et les compétences comptent davantage.

Les réponses doivent également et évidemment être sociales et/ou sociétales comme on dit désormais. Les initiatives en la matière doivent venir des femmes elles-mêmes. Il leur revient de jouer un rôle de vigies vigilantes. Tout un spectre d’actions leur est ouvert allant des plus « sérieuses » aux plus ludiques voire caricaturales à l’image du hashtag « vraie femme africaine ». Il leur appartient de concevoir des démarches et des méthodes adaptées aux sociétés auxquelles elles s’adressent en ayant à l’esprit leur force et les obstacles. Dieu sait s’ils sont nombreux, Le plus grand obstacle au changement des mentalités ce sont les mentalités elles-mêmes dit-on. Pour la malheureuse Kardiata Oumar Sow, ce sera hélas trop tard.

Tijane Bal

Facebook – Le 13 avril 2020

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