Maman Sambo Sidikou « La prévention est le meilleur investissement qui soit en matière de sécurité »

Kassataya – (Paris) – Le G5 Sahel qui vient de tenir son 6e sommet des Chefs d’Etats en Mauritanie est une organisation sous régionale de lutte contre le terrorisme qui regroupe le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad disposant d’une force conjointe de 500 hommes.

Pour nous éclairer sur les questions de financements  en passant le bilan de l’organisation où les questions de développements et les défis du moment, le diplomate nigérien, Maman  Sambo Sidikou, en sa qualité de Secrétaire Exécutif de l’organisation répond aux questions de Kassataya.

 

Kassataya : Quel bilan faites-vous du G5 Sahel depuis sa création (2014) à la lumière des objectifs qu’il s’est fixé ?

 Maman Sambo Sidikou : Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont d’abord créé un mécanisme de coopération interétatique. Le G5 Sahel dispose d’une Stratégie pour le développement et la sécurité (2016) dont la mise en œuvre repose sur deux principaux outils : le Programme d’Investissements Prioritaires (PIP – 2018) et la Force Conjointe (2017). Un travail considérable a été fait, au regard des défis rencontrés par la région. Nos efforts ont porté sur la formation (avec le Collège de Défense à Nouakchott ou le Collège Sahélien de Sécurité à Bamako et l’Académie de Police de Koundoul au Tchad). Ils ont également appuyé la société civile (avec l’appui à la mise en place de réseaux de jeunes et de femmes).

Surtout, nous avons débuté la mise en commun de nos ressources et la coopération entre administrations et initiatives sur un espace de 5 millions de kilomètres carrés où vivent 80 millions d’habitants. Cependant, au regard de la situation sécuritaire et socioéconomique actuelle, il nous faut agir plus, mieux et en synergie.

L’action du G5 Sahel repose sur le « principe de subsidiarité », nous n’avons pas vocation à tout faire, mais tentons surtout d’initier, d’appuyer et de coordonner les initiatives des parties prenantes concernées. 

Je note avec plaisir le fait que le G5 Sahel des peuples fait des progrès considérables – jeunes, femmes, collectivités décentralisées, patronat … approchent le Secrétariat Exécutif à Nouakchott afin d’identifier des priorités d’action communes.

Le bilan a donc deux aspects : détérioration de la situation socioéconomique de la région et dynamisme sans précédent des Etats et de leurs citoyens. Nous devons redoubler d’efforts en faveur de la prospérité et de la paix. 

L’une des difficultés auxquelles le G5 Sahel fait face est celui du financement, quelle est votre stratégie pour venir à bout de ce problème ?

 En matière de développement, nous disposons d’un portefeuille de 40 projets structurants dans les domaines de la gouvernance, la résilience, la sécurité et les infrastructures. D’un montant total de près de 2 milliards d’euros, il est financé à 13% par les États-membres et s’échelonne sur deux ans (2019-2021).

En matière de défense, la Force Conjointe dispose d’un Comité de Soutien qui permet de tirer le meilleur parti des ressources du Fonds fiduciaire du G5 Sahel – créé en 2018 et hébergé par la Banque Centrale de Mauritanie. A ce jour, sur près de 38 millions d’euros annoncés, il en a reçu 16.

Nous devons réaliser des interventions pertinentes pour nos concitoyens des régions frontalières de l’Ouest (Mali – Mauritanie), du Centre (Burkina Faso- Mali- Niger) et de l’Est (Niger-Tchad) de l’espace du G5 Sahel.

Par conséquent, notre stratégie repose sur trois priorités : lever des fonds sahéliens et valoriser les ressources disponibles, coordonner les interventions des partenaires présents dans la région, répondre à l’intérêt croissant de nouveaux acteurs pour le Sahel.

 Avec seulement 5000 hommes, les éléments de la Force Conjointe dont l’opérationnalité n’est pas effective, peuvent-ils venir à bout du terrorisme et des défis sécuritaires du Sahel?

 En matière de défense, le G5 Sahel dispose d’un outil constitué d’un bataillon (de 1000 soldats) par Etat-membre. La Force Conjointe compte 21 opérations à son actif – dont des actions civilo-militaires. Elle se déploie dans des zones frontalières situées à l’Ouest (Mauritanie/Mali), au Centre (Mali/Burkina Faso/Niger) et à l’Est (Niger/Tchad) de notre espace. Désignés sous le nom de « fuseaux », elles sont le théâtre d’opérations régulières pour garantir la stabilité et la prospérité des populations sahéliennes.

 Autorisée par le Conseil de Paix et Sécurité de l’Union Africaine, cette initiative panafricaine sans précédent complète le dispositif de sécurité des Etats membres (qui inclue des forces de sécurité et défense nationales et internationales). Cependant, seule, elle ne peut répondre à un phénomène d’ampleur internationale. Les armées les plus puissantes, les nations disposant de dispositifs de sécurité et de défense aguerris ne parviennent pas complètement à triompher de cette menace – qui est asymétrique. Il faut donc être prudent, réaliste, et (dans les zones déstabilisées) agir vite, bien et en confiance avec les Sahéliens pour que leur vie quotidienne change.

 

 Faudrait-il pas songer à l’élargissement du G5 Sahel à d’autres pays de la sous-région comme le Sénégal, le Maroc ou l’Algérie ? 

Le G5 Sahel est une collaboration entre Etats, partageant une communauté de culture et, surtout, une ambition de collaboration pour être plus efficace. Cette question souligne l’intérêt porté à l’approche, originale, et à la nécessaire prise en compte de compétences précieuses au Nord comme au Sud de nos pays.

Nous travaillons avec ces pays frères – au sein de la CEDEAO, où l’outil militaire et le savoir-faire du Sénégal sont cités en exemple. Le Maroc est également un précieux allié, engagé de longue date dans la formation d’officiers de nos pays et avec lequel des discussions ont (notamment) débuté dans le domaine de l’appui à l’énergie solaire ainsi qu’à l’agriculture. Quant à l’Algérie, son appui est fondamental, en particulier dans le domaine diplomatique et du renseignement.

 Par souci d’efficacité, l’objectif est de donner plus de profondeur aux sujets de coopération identifiés – dans l’intérêt bien compris des Etats et de leurs populations.

 Le président Mohamed Cheikh El  Ghazouani qui vient de prendre la  présidence du G5 Sahel place son mandat sous le thème « Jeunesse et Espoir », quelles rôles les jeunes du Sahel peuvent-ils jouer dans la lutte contre le terrorisme ?

Les jeunes sont au cœur de nos priorités, nous avons organisé la première « Journée de la jeunesse du G5 Sahel » un jour avant notre première conférence de coordination des partenaires et des bailleurs de fonds (6 décembre 2018). A mon sens, il faut d’abord offrir plus d’opportunités à la jeunesse, améliorer les conditions de vie des populations et impulser une dynamique de croissance inclusive et durable.

L’emploi des jeunes, leur épanouissement et leur implication dans la gestion de nos sociétés est primordial. C’est ce qu’il faut d’abord viser – en tenant compte du potentiel exceptionnel de cette classe d’âges de plus en plus nombreuse. Mieux formée, connectée, mobile, diverse … notre jeunesse a un fort potentiel.

 Elle peut en tirer parti pour se détourner de messages violents sapant la diversité de nos pays. Elle peut également prendre les devants, et consolider notre cohésion sociale, en réinventant certaines de ses modalités en milieu urbain. Elle peut aussi, comme vous le faites, informer et partager du savoir sur les enjeux de notre région – en les mettant en perspective.

Il leur faut donc se former, affûter leurs rêves et prendre plus de responsabilités – afin que le nihilisme d’individus malfaisants soit réduit à sa plus simple expression.

 

Il a été  constaté  l’insuffisance  du tout sécuritaire en matière  de lutte contre le terrorisme. Que fait le g5 en matière de développement ?

En effet, la prévention est le meilleur investissement qui soit en matière de sécurité. Il faut donc agir, différemment, et ne pas tomber dans le piège lancé par des individus dont la propagande est inversement proportionnelle à la taille et la formalisation de leurs « troupes ».  

 Pour répondre à votre question, permettez-moi de prendre quelques exemples. En juillet 2018, les Chefs d’Etat du G5 Sahel ont décidé du lancement rapide d’un « Programme de développement d’urgence » (PDU) à fort impact. Pour améliorer de façon tangible les conditions de vie des Sahéliens, il faut privilégier l’accès à des services de qualité.
Nous travaillons en partenariat avec l’Alliance Sahel, initiative sans précédent tentant de conjuguer et d’harmoniser les interventions d’une douzaine de bailleurs dans les pays du G5 Sahel. De concert, nous avons considéré que l’eau et l’assainissement méritent une action résolue en rapide. Nous avons débuté en Mauritanie (Hodh El Chargui et le Hodh el Gharbi) avec le concours de l’AFD. Nous poursuivons au Niger (zones Nord Tillabéri et Ouest Tahoua), avec l’appui du Luxembourg (LuxDev), des Pays-Bas et de l’Union européenne. Enfin, au Tchad, nous avons privilégié l’appui à des initiatives économiques féminines – avec le concours de la BADEA , ( Banque Arabe pour le Développement  Economique en Afrique NDLR)et de l’OADA (Organisation Arabe pour le Développement de l’Agriculture).

En parallèle, nous avons décidé d’innover « à la sahélienne ». Avec le financement de l’UEMOA, nous avons conçu une initiative pilote de coopération transfrontalière entre municipalités des régions du Sahel (Burkina Faso), de Tombouctou (Mali) et de Tillabéri (Niger) – où vivent 5,5 millions d’habitants.

Coordonné depuis Dori, où se situe le siège de la Cellule de Coopération décentralisée transfrontalière des collectivités territoriales du Sahel (C3Sahel), il intervient dans une région abritant 30 % du cheptel des trois pays. Il renforce la chaîne de valeur de l’économie pastorale au moyen d’infrastructures bénéficiant aux acteurs des filières concernées (aménagements pastoraux, points d’eau, couloirs de passage, pistes à bétail et hangars, abattoir).

 A nos yeux, investir dans l’élevage, c’est appuyer un secteur à fort potentiel d’intégration régional car liant producteurs du Sahel et consommateurs d’Abidjan, Cotonou ou Lomé. Il faut donc répondre aux besoins, urgents, de nos concitoyens sans perdre de vue que notre intégration régionale doit s’intégrer dans les priorités d’institutions économiques (UEMOA) et politiques (CEDEAO) plus anciennes. La spécificité du G5 Sahel est qu’il rassemble des Etats issus du Nord, de l’Ouest et du Centre de l’Afrique – nous souhaitons tirer parti de cette richesse pour atteindre nos objectifs, en coopération avec nos frères des autres régions.

 

Propos recueillis par Souleymane Djigo


Kassataya


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