Burkina Faso : des militaires annoncent avoir pris le pouvoir, incertitudes sur le sort du président, Roch Marc Christian Kaboré

La confusion régnait dans le pays depuis lundi matin. L’Union européenne et les Etats-Unis demandent la libération du président de la République.

Le Monde – Des militaires en uniforme ont annoncé, lundi 24 janvier au soir, à la télévision nationale avoir pris le pouvoir au Burkina Faso au terme d’une journée de confusion. La rumeur d’un potentiel coup d’Etat agitait le pays dès lundi matin, après la mutinerie de certains militaires dimanche, sur fond de colère face à l’impuissance des autorités à endiguer les violences dans un pays où les attaques terroristes ont fait plus de 2 000 morts et 1,5 million de personnes déplacées en six ans.

Lundi matin, des sources sécuritaires citées par l’Agence France-Presse (AFP), affirmaient que le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, avait été arrêté par les soldats mutins. En fin d’après-midi, le parti du président du Burkina Faso, Roch Marc Kaboré, avait dénoncé une « tentative avortée d’assassinat » du chef de l’Etat, affirmant que le Burkina « s’achemin(ait) d’heure en heure vers un coup de force militaire ». Le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) dénonçait également dans un communiqué « le saccage du domicile privé du chef de l’Etat » et « la tentative d’assassinat d’un ministre » sans en préciser le nom.

Les Etats-Unis et l’Europe appellent à la libération « immédiate » de Roch Marc Christian Kaboré

L’Union européenne a appelé lundi à la libération « immédiate » du président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré.

« Dans ce moment d’incertitude, l’Union européenne reste attentive à l’évolution de la situation, en appelant tous les acteurs au calme et à la retenue. Elle appelle également à ce que la liberté du président Kaboré et des membres des institutions de l’Etat soit immédiatement rétablie », a déclaré le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans un communiqué.

Même son de cloche du côté des Etats-Unis. « Nous exhortons toutes les parties, dans cette situation mouvante, à maintenir le calme et à rechercher le dialogue pour résoudre leurs griefs », a dit à l’AFP un porte-parole de la diplomatie américaine.

« Le gouvernement des Etats-Unis est au courant des informations selon lesquelles des membres de l’armée du Burkina Faso ont arrêté et détiennent le président Roch Marc Kaboré », a-t-il déclaré.

« Nous appelons à la libération immédiate du président Kaboré et d’autres responsables gouvernementaux, et appelons les membres des forces de sécurité à respecter la Constitution du Burkina Faso et ses dirigeants civils », a-t-il insisté, soulignant que la diplomatie américaine était en contact avec les « partenaires internationaux » mais aussi des responsables du gouvernement burkinabè.

Lundi après-midi, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a elle dit suivre « avec une grande préoccupation » l’évolution de la situation dans le pays, « caractérisée » depuis dimanche « par une tentative de coup d’Etat ». Elle a prévenu dans un communiqué qu’elle tenait « les militaires responsables de l’intégrité physique du président [de la République] » .

Une source gouvernementale a, cependant, affirmé que le président avait été « exfiltré » de sa résidence dimanche soir par des gendarmes de sa garde « avant l’arrivée d’éléments armés qui ont tiré sur les véhicules de son convoi ».

Sur le compte Twitter de M. Kaboré, un message posté lundi en début d’après-midi – dont il était impossible de savoir s’il avait été écrit par lui directement, ni dans quelles circonstances – invite « ceux qui ont pris les armes à les déposer dans l’intérêt supérieur de la nation ». « C’est par le dialogue et l’écoute que nous devons régler nos contradictions », ajoute-t-il.

Un couvre-feu instauré

Les premiers tirs ont éclaté dans la nuit de samedi à dimanche au camp militaire Sangoulé-Lamizana, à Gounghin, dans la périphérie de Ouagadougou. Hamidou (prénom modifié à sa demande), un militaire de première classe, dormait quand il a entendu « des coups de feu, vers 4 heures du matin », dans l’enceinte du camp. « Un chef m’a appelé pour me dire de sortir, qu’un coup était en cours », raconte le jeune homme de 25 ans en treillis kaki, le visage camouflé par une cagoule noire.

 

Dimanche matin, plusieurs dizaines de soldats, kalachnikov à la main, sont sortis de leur caserne, tirant en l’air, et ont bloqué l’accès au camp Sangoulé-Lamizana. Des tirs nourris ont également été entendus au camp Général-Baba-Sy et à la base aérienne de Ouagadougou, ainsi que dans une caserne de la ville de Kaya, dans le centre-nord du Burkina Faso.

Dans un communiqué publié dans la matinée, le gouvernement, qui a confirmé ces tirs, a toutefois démenti « une prise de pouvoir par l’armée » et assuré que les institutions n’étaient pas menacées « pour le moment ». Un couvre-feu a été instauré de 20 heures à 5 h 30 « jusqu’à nouvel ordre » sur toute l’étendue du territoire. Tous les établissements scolaires du pays sont également fermés jusqu’au mardi 25 janvier « pour préserver la sécurité des élèves et des enseignants ».

Soutien aux mutins

A ce stade, les revendications des militaires mutins n’ont pas été communiquées officiellement. Mais, dans le groupe de soldats postés près du camp Sangoulé-Lamizana, plusieurs affirment être sortis pour exprimer leur colère face à « l’incapacité » du chef de l’Etat à venir à bout des attaques terroristes, de plus en plus meurtrières, ces derniers mois. « Nous n’en pouvons plus, le président ne tient plus le pays, nos camarades meurent chaque jour au front », fustige Hamidou, qui s’est réveillé à l’aube pour soutenir le « mouvement d’humeur ». « Nous lui avons donné plusieurs chances, mais maintenant c’est trop tard, nous exigeons le départ du président ! », affirme ainsi ce dernier, acclamé par un groupe de jeunes du quartier devant la caserne.

Dimanche, une centaine de manifestants s’étaient rassemblés à l’entrée du camp Sangoulé-Lamizana pour exprimer leur soutien aux mutins. Concert de vuvuzelas, klaxons et cris de joie. « Les militaires au pouvoir ! », clamaient certains, en brandissant des petits drapeaux rouge et vert, couleurs du Burkina. « Nous voulons un régime de transition, comme au Mali, et le départ de la France du Sahel », explique un commerçant de 31 ans, devant l’échangeur de l’Ouest, où des jeunes avaient érigé des barricades de pierres et de pneus brûlés.

Des groupes de personnes ont également tenté de rejoindre la place de la Nation, au cœur de la capitale, avant d’être dispersés par des tirs de gaz lacrymogène de la police antiémeute et de la gendarmerie. Au moins un manifestant a été blessé par une balle perdue. Plus tard dans la journée, des partisans des militaires mutins ont incendié le rez-de-chaussée du siège du parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), à Ouagadougou. Dans la journée, plusieurs journalistes ont été pris à partie par des manifestants et des soldats mutins. Deux correspondants de la presse internationale ont été arrêtés par des militaires devant le camp Sangoulé-Lamizana, leur moto et caméras confisquées, avant d’être relâchés trente minutes plus tard.

Tentatives de négociations

Dimanche, dans la nuit, des tirs sporadiques ont été entendus dans plusieurs camps de la capitale. Des coups de feu ont également résonné près du domicile du président Kaboré, dans le quartier de la Patte-d’Oie. Après le blocage de l’accès à Facebook, la connexion Internet mobile a été suspendue dans la journée, sans aucune précision des autorités.

A la télévision nationale, dans une édition spéciale diffusée à 9 heures du matin, le ministre des armées a assuré « suivre la situation » et promis de communiquer « en temps opportun ». « Nous n’en savons pas plus sur les motivations de ces tirs ni les revendications, nous sommes en train de suivre pour entrer en contact avec ceux qui sont à la manœuvre », a déclaré le général Aimé Barthélémy Simporé, tout en démentant « formellement » l’arrestation du chef de l’Etat et demandant à la population de rester « sereine ».

 

Selon nos informations, des tentatives de négociations auraient été menées entre les mutins et les autorités. Dans un enregistrement audio transmis au Monde, un des leaders de la mutinerie, qui n’a pas voulu donner son nom, liste six revendications, notamment « le remplacement » du chef d’état-major général des armées, de l’armée de terre et du directeur général de l’Agence nationale de renseignement, « des moyens adaptés à la lutte et des effectifs [importants] », une « revalorisation » des forces et « des unités constituées permanentes » sur le terrain.

Inquiétude des chancelleries occidentales

Mutinerie ou coup d’Etat ? Sur les réseaux sociaux, les rumeurs et les spéculations se multipliaient. Certains ont évoqué une tentative de libération du général Gilbert Diendéré, condamné à vingt ans de prison ferme et en détention à la maison d’arrêt et de correction des armées, située au camp Sangoulé-Lamizana, pour une tentative de putsch en 2015 et actuellement jugé pour son rôle présumé dans l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara, en 1987.

Dans les casernes, la colère ne cessait de monter depuis l’attaque d’Inata, à la mi-novembre 2021 dans le nord du pays, dans laquelle 53 gendarmes avaient été tués, le massacre le plus sanglant à ce jour contre l’armée. Le 11 janvier, une dizaine de militaires burkinabés et cinq civils avaient été arrêtés et accusés de fomenter un coup d’Etat contre M. Kaboré.

 

Samedi 22 janvier, des centaines de personnes étaient descendues dans les rues de la capitale et dans plusieurs villes du pays, malgré l’interdiction des marches, pour dénoncer « l’incapacité » du président à gérer la crise sécuritaire. A Ouagadougou, les manifestants avaient tenté d’ériger des barricades, avant d’être dispersés. Plusieurs jeunes, dont des leaders de la mobilisation, avaient été arrêtés.

Dans les chancelleries occidentales, l’inquiétude est grande. Dimanche, l’ambassade de France recommandait à ses ressortissants d’éviter tout déplacement, tandis que le vol Air France du jour a été annulé. Le ministère des affaires étrangères français a formulé les mêmes mises en garde, lundi après-midi.

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Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance) (avec AFP)

Source : Le Monde

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