Asile : la difficile traduction des entretiens à l’Ofpra et à la CNDA

Les demandeurs d’asile qui ne maîtrisent pas la langue française – ou pas suffisamment bien – doivent avoir recours à des interprètes pour raconter leur parcours devant l’Ofpra ou la CNDA. L’interprétariat exige rigueur et neutralité. Pourtant, dans les faits, et malgré l’importance de l’enjeu, les erreurs de traduction ne sont pas impossibles.

 

« Traduire, c’est un peu trahir » dit une formule célèbre. Toute transposition dans une autre langue est soumise à une marge d’erreur. Mais dans le cas des demandeurs d’asile, les problèmes liés à la traduction peuvent avoir des conséquences déterminantes sur le parcours des migrants.

C’est la raison pour laquelle l’Ofpra a élaboré une charte pour les interprètes avec lesquelles elle travaille – et qu’elle recrute via des agences de traduction privées. En France, les demandeurs d’asile peuvent être accompagnés gratuitement d’un interprète au moment de l’entretien avec l’Ofpra ou en cas de recours, lors de l’audience devant la CNDA.

En vertu de cette charte, l’Ofpra demande donc à ses interprètes un grand professionnalisme. Il faut traduire « fidèlement », « sans ajout, ni omission », « sans commentaire », ni « jugement de valeur et d’appréciation » et en veillant à garder « un comportement et des mots neutres ».

« Nous sommes soumis à la confidentialité et la neutralité », raconte Rahima*, qui a traduit le dari pour les agents de l’Ofpra pendant plusieurs années. « Par exemple, je n’avais pas le droit de me présenter aux demandeurs d’asile, ni de leur dire de quelle région d’Afghanistan je venais ».

Utilisation d’un mauvais arabe, manque de vocabulaire…

L’interprète professionnelle reconnait toutefois des erreurs possibles. Notamment à cause de la fatigue. Rahima raconte qu’elle a assisté à des auditions de plus de trois heures. « Il m’est arrivée de ne pas traduire l’ensemble du propos et de résumer ». Le métier requiert énormément d’attention. L’interprète doit traduire les propos du requérant, mais aussi ceux de l’officier de protection  de l’Ofpra. Pendant que les différentes parties s’écoutent, lui passe son temps à faire des va-et-vient entre les deux langues.

« La plupart des interprètes font très bien leur travail », assurent plusieurs avocates spécialisées dans le droit d’asile. Toutefois, elles ont déjà eu des déconvenues : problème de langue, de vocabulaire, d’impartialité… Les avocates parlent, par exemple, d’un demandeur d’asile syrien assisté d’un interprète parlant l’arabe du Maghreb, ou encore d’un interprète dont le médiocre niveau de français ne permet pas de retranscrire l’exactitude du récit.

« Lors d’une audience à la CNDA, une interprète [du peul] s’est mise à lever les yeux au ciel pendant le récit de mon client », raconte Maître Aicha Dourouni-Le Strat, qui s’est sentie obligée d’intervenir. Le président de la cour a dû rappeler la traductrice à l’ordre lui demandant de se borner à transcrire le récit du demandeur d’asile sans faire de gestes.

Une autre fois, l’avocate a constaté en écoutant un enregistrement audio de son client devant l’Ofpra, que pendant l’entretien l’interprète avait demandé s’il pouvait avoir recours à « Google traduction » pour vérifier le sens d’un mot. « Cela jette un sérieux doute sur la fiabilité de sa traduction », estime Maître Aicha Dourouni-Le Strat, qui a utilisé cela comme un argument lors du recours à la CNDA.

Contacté par InfoMigrants, l’Ofpra ne nie pas les problèmes de traduction mais préfère rappeler que le demandeur d’asile reste protégé en toute circonstance. « La loi du 29 juillet 2015 a permis à l’Ofpra d’enregistrer [systématiquement] les entretiens de demande d’asile. Ces enregistrements constituent une garantie supplémentaire pour le demandeur d’asile. En effet, le demandeur d’asile qui estime que ses propos n’ont pas été traduits correctement a la possibilité de demander l’audition de l’enregistrement sonore », précise l’organisme via son service de communication.

>> À lire : Asile : comment préparer son audience devant la CNDA ? 

Pénurie de traducteurs dans les langues rares

« Les erreurs d’inattention ça peut arriver, il faut juste éviter des distorsions graves », juge une autre avocate. D’autant qu’il est parfois difficile de trouver la perle rare. L’Ofpra et la CNDA disposent d’interprètes dans une centaine de langues, mais pour certains dialectes, très peu sont disponibles. Il y a une semaine, selon une autre avocate interrogée par InfoMigrants, la cour n’a pas réussi à trouver de traducteur pour un demandeur d’asile irakien parlant le kurde kourmanji.

Cette pénurie dans les langues rares peut pousser les agences de traduction à recruter des interprètes à la va-vite, sans s’assurer de leurs liens politiques. La presse française rapporte des cas où l’Ofpra et la CNDA ont fait travailler des traducteurs azéris proches de l’ambassade d’Azerbaïdjan, face à des demandeurs d’asile qui avaient fui le régime azerbaïdjanais. Une pratique interdite par le règlement de l’Ofpra. L’affaire survenue en 2018 avait provoqué la colère d’une association d’avocats chargés de défendre ces demandeurs d’asile.

Sans commune mesure, l’avocate interrogée par InfoMigrants évoque une séance de préparation durant laquelle un de ses clients, appartenant à la communauté Hazara d’Afghanistan s’est senti très mal à l’aise face un interprète issu d’une autre ethnie car celui-ci traduisait ‘chiite’ par ‘secte chiite’ – émettant ainsi un jugement – chaque fois que le demandeurs d’asile parlait de sa religion.

« Nous avons un engagement moral », réagit Rahima, la traductrice afghane. « La neutralité, c’est une priorité », répète-t-elle. « Mais pour être vraiment sûr des traductions, les interprètes devraient être deux à traduire », suggère-t-elle après son expérience à l’Ofpra.

>> À lire sur InfoMigrants : Dans les coulisses de la CNDA : « Assumer les zones d’ombre du dossier » devant le juge

Peut-on récuser un interprète ?

L’interprète peut tout à fait décider de se retirer de lui-même en cas de conflit d’intérêt, s’il connait le demandeur d’asile par exemple. Mais il est également possible pour le demandeur d’asile de récuser un traducteur. Toutefois la démarche est complexe.

  • Pendant l’entretien Ofpra :

À l’Ofpra, après une conversation de quelques minutes, l’officier de protection demande au requérant s’il arrive à comprendre son traducteur. « L’Ofpra apprécie au cas par cas les raisons avancées par le demandeur d’asile pour réclamer un changement d’interprète. En tout état de cause, ces raisons ne peuvent pas reposer sur de simples préjugés. En cas de difficulté constatée, soit l’Office est en situation de régler cette situation sur le champ, soit l’entretien est reporté et les raisons de ce report sont consignées dans la transcription de l’entretien », précise l’Ofpra, joint par InfoMigrants.

En fin d’entretien également, le demandeur d’asile peut s’exprimer sur l’interprète et la qualité de sa traduction. Toutefois, « il serait illusoire de penser que des migrants oseraient donner un avis négatif, au vue de leur position de faiblesse », commente l’avocate interrogée par InfoMigrants. La plupart du temps, c’est devant la CNDA, après le rejet de leur dossier par l’Ofpra, que des éléments de traduction sont corrigés.

  • Devant la CNDA :

À la CNDA, pour récuser le traducteur, il « faut que la suspicion soit légitime », avec une solide justification que l’avocat donnera par écrit au juge. Par exemple, en cas de doublon : « Quand l’interprète est le même que celui de l’audience de l’Ofpra [ce qui arrive parfois] », explique l’avocate interrogée par InfoMigrants. Les cas où des avocats récusent les traducteurs sont très rares.

Enfin, avant même de passer devant l’Ofpra ou la CNDA, au moment de remplir son formulaire de dépôt de demande d’asile, le demandeur d’asile peut donner des détails sur la langue parlée et choisir le sexe de l’interprète, au cas où sa demande d’asile porterait sur des violences sexuelles notamment. Ce choix peut également intervenir en cours de procédure tant qu’un délai raisonnable est laissé à l’Ofpra pour réorganiser les conditions de l’entretien.

 

 

Bahar Makooi

 

*Ce prénom a été modifié 

Source : Info Migrants

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