Servir l’Afrique malgré tout

Pendant que des milliers d’Africains fuient leur continent de naissance sous le regard des caméras, un mouvement tout aussi désastreux continue de frapper l’Afrique presque dans l’anonymat : la fuite des cerveaux. Sur les milliers d’étudiants en occident souvent sur financement des États africains, nombreux sont ceux qui ne se sentent pas attendus –voire désirés- dans leur pays d’origine.

 
Ce mois d’octobre 2017 revêt pour moi une signification toute particulière. Après mes deux garçons (le 10 et le 12 octobre) qui font leurs tout premiers pas sur cette terre, ce 26 octobre, j’ai atteint un âge auquel on peut raisonnablement m’accorder le bénéfice de la caution “des cheveux grisonnants” (voire de la calvitie) qui permet à un homme de prétendre à une place dans le cercle de celles et ceux qui ont fait du chemin et ont vu du pays. Je peux donc m’accorder une petite pause et considérer le chemin parcouru depuis ce 30 octobre 1997 où j’ai mis les pieds sur le sol français pour une enrichissante aventure scientifique et intellectuelle d’abord puis, à mon grand désespoir, professionnelle.
 
En foulant le sol français, j’étais en quête d’un complément de savoirs et d’expériences qui m’outilleraient pour mieux servir le pays qui m’a vu naitre et qui avait investi dans mon éducation et ma formation. Malgré la situation politique chaotique qui prévalait alors en Mauritanie avec une dictature implacable et raciste tenue par le colonel Mouawiyya Ould Taya, l’idée d’emprunter les chemins de l’exil ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Il fallait créer les conditions du changement et agir sur les événements plutôt que les subir. Pour des raisons qu’il serait fastidieux de reprendre ici, ma partition s’est jouée à l’extérieur donc. Pour aider à l’avènement d’un ordre plus juste, j’avais jeté toutes mes forces dans l’action politique y compris en compromettant sérieusement mes études.
 
A la chute de la dictature en 2005, j’avais rejoint la Mauritanie pour une éphémère expérience publique qui prit fin avec les premiers signes annonciateurs du coup d’État d’août 2008. Le seul mandat civil démocratiquement acquis au travers d’élections au suffrage universel direct -avec l’arrivée au pouvoir de M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi- venait de s’achever brutalement, de façon anticonstitutionnelle. J’avais remis le couvert en m’opposant au putsch du général Mohamed Ould Abdel Aziz. L’opposition ayant accepté de participer à de nouvelles élections -dans des conditions discutables-, et après qu’elle en eut accepté les résultats (l’élection de l’auteur du coup d’État), je retournais à mes chères études (au propre comme au figuré) en attendant de comprendre le sens de la démocratie, de l’élection, du vote, de la citoyenneté ou de pouvoir percer les mystères des aspirations du peuple. Le média que j’avais créé, www.kassataya.com, m’y a aidé et, à sa manière, contribua activement à briser le monopole de l’information dont disposait le pouvoir en Mauritanie jusqu’à la libéralisation des ondes en novembre 2011. Ma demande pour l’obtention d’une licence audiovisuelle m’avait été refusée pour des raisons fallacieuses (absence d’un document qui non seulement était dans le dossier mais avait fait l’objet d’un acte notarié).
 
Depuis, j’ai essayé à deux reprises un retour professionnel en indépendant, chaque fois avec des mains (presque) invisibles qui se trouvaient en travers de mon chemin. Quant aux propositions politiques, y compris pour des responsabilités publiques (Dieu qu’il y en a eu!), je n’ai pas jugé opportun d’y donner suite pour raisons personnelles.
 
Il ne me restait plus qu’à cheminer avec ceux qui me faisaient confiance en occident. Et depuis plus d’une année, c’est l’Amérique qui m’offre les meilleures opportunités. A défaut de servir mon pays de naissance (la Mauritanie) et, malgré moi, mon pays d’adoption (la France), je m’en vais travailler pour les USA qui, en matière de valorisation des profils, des savoirs et des expériences, a des choses à enseigner au reste du monde. Quand je repense aux efforts consentis par la Mauritanie (et la France) pour m’éduquer pour me laisser ensuite à la disposition d’autres pays, je m’en désole. Quand je considère le fait que finalement je suis employé malgré tout pour servir l’Afrique, je me console.
 
Mais il faudra qu’un jour une certaine Afrique -celle des prédateurs qui s’accrochent au pouvoir pour servir d’autres intérêts que ceux qu’ils sont supposés servir- fasse son introspection. Il faudra aussi que l’autre Afrique -celle qui essaye de faire bouger les lignes, de vaincre le signe indien, celle qui refuse tout fatalisme- continue d’exiger des comptes. Parce qu’on ne peut continuer à regarder ailleurs tandis que ce que le continent compte de meilleur court chercher ailleurs la promesse (souvent déçue) de lendemains meilleurs, en n’hésitant pas à emprunter des embarcations de fortune ou de transport de nourriture pour les poissons de la Méditerranée. Avec de tels résultats des femmes et des hommes disposant d’une once d’amour-propre, de dignité et d’honneur éprouveraient du mal à se regarder dans une glace. Quant à se vanter d’être à la tête de pays dans un tel état de déliquescence, ce devrait être au dessus de leurs forces. Mais existe-t-il des limites à celles et ceux qui se sont affranchis de la notion même de limites?
 
 
Paris, le 26 octobre 2017.
 

 

 

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