Un peuple souverain est-il dangereux ?

The Conversation Depuis vingt ans, l’émergence de partis « populistes » questionne la place du peuple dans nos démocraties libérales. De l’extrême gauche à l’extrême droite, il est commun d’affirmer que « le peuple français n’est pas entendu » sur l’immigration, ou que le peuple français ne veut pas de la guerre, ou encore que les élites ont trahi le peuple.

Selon certains observateurs, donner plus de souveraineté au peuple serait dangereux pour trois raisons. Sont-elles valables ?

Premièrement, l’argument de l’oppression des minorités par la tyrannie de la majorité remonte à Benjamin Constant. Celui-ci met en avant qu’une démocratie libérale doit protéger ses minorités, et que cela n’est pas possible si tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du peuple, ou plutôt de sa majorité. Beaucoup d’opposants au suffrage universel avançaient cet argument, à l’instar de Sir Henry Sumner Maine pour qui réforme religieuse et tolérance pour les dissidents n’auraient pas vu le jour sous le suffrage universel. Si le suffrage universel n’est plus l’objet de critiques, cet argument est encore utilisé dans les débats sur l’extension des droits des citoyens.

Deuxièmement, la pleine souveraineté populaire conduirait à l’affaiblissement des contrepouvoirs – notamment les juges et les autorités indépendantes. Ceux-ci devraient se plier à une législation volatile qui changerait au gré des caprices des émotions populaires. Cet argument, qui remonte à Montesquieu, est aussi régulièrement avancé aujourd’hui.

Enfin, les choix arbitraires d’une masse peu informée produiraient le plus souvent erreurs ou décisions contradictoires. Au XIXe siècle, c’était un argument courant. Gustave Flaubert, par exemple, affirmait que « Le peuple est un éternel mineur ». Cette crainte se retrouve aujourd’hui sous une forme plus raffinée : les masses seraient sujettes aux biais cognitifs et au manque d’information.

Ces trois dangers seraient incarnés par les partis populistes, dont l’exemple paradigmatique est le national-socialisme. Les nazis ont été élus par le peuple en Allemagne et Hitler a concentré le pouvoir dans ses mains en utilisant deux référendums. Ainsi, flatter le peuple créerait des monstres.

Le nazisme, un exemple trompeur ?

Premièrement, les nazis n’ont jamais bénéficié de la majorité des voix en Allemagne, mais du soutien de la majorité des députés qui leur ont donné les pleins pouvoirs. C’est donc plutôt le fonctionnement représentatif qui est ici en cause.

Deuxièmement, les référendums en 1933 et 1934 se sont tenus après la concentration du pouvoir entre les mains de Hitler. Les résultats – proches de 100 % de oui – furent largement influencés par des pratiques d’intimidation physique ou d’autres manipulations électorales.

Troisièmement, Hitler ne s’est jamais distingué par une rhétorique faisant du peuple le souverain. Dans Mein Kampf, il affirme que ses buts « ne sont compris que d’une très petite élite » et que « les grandes masses sont aveugles et stupides ». Selon lui, leur seule motivation stable est « l’émotion et la haine ».

La Suisse des années 1930, grande oubliée…

 

Si en Allemagne la recherche du peuple souverain n’était pas prioritaire, dans la Suisse voisine elle était au cœur du système politique. Les citoyens suisses avaient le droit de modifier directement leur Constitution depuis presque un demi-siècle, par l’initiative populaire et le référendum obligatoire.

Ce pays est le seul territoire de langue germanique où, lors de la montée d’Hitler, les partis d’inspiration nazie étaient pratiquement inexistants. Avec sa démocratie directe, la Suisse a aboli la peine de mort au moment où fonctionnaient les chambres à gaz dans les pays voisins. Elle a reconnu comme langue nationale la langue romanche pourtant parlée par moins de 2 % de la population. La minorité romanche n’a pas été la seule à être privilégiée, puisque beaucoup de minorités recevaient alors asile dans ce pays, qui, contrairement à l’Allemagne, ne jurait que par le peuple souverain.

Le fondement des démocraties libérales

De fait, historiquement, la recherche de la souveraineté populaire a souvent été le moteur de l’établissement et de la perpétuation des régimes basés sur les contre-pouvoirs, les droits fondamentaux et la protection des minorités. Ainsi, à l’époque où les monarchies étaient largement majoritaires, les régimes représentatifs sont nés au nom de la souveraineté du peuple. Cela a été le cas aux États-Unis et en France, deux pays qui ont porté les premières Constitutions libérales à la fin du XVIIIe siècle. C’est aussi au nom de peuple souverain que le suffrage a été progressivement élargi en France.

Qu’est-ce que la souveraineté populaire ?

Que signifie donc exactement que le peuple est souverain ? Dans son acception la plus littérale, la souveraineté fait référence à une autorité suprême, qui peut modifier toutes les décisions, mais dont les décisions ne peuvent être modifiées par aucune autre autorité.

Dans les systèmes contemporains, cela correspond à la capacité à contrôler la constitution, qui est au sommet de la hiérarchie des normes. En ce sens, la souveraineté est populaire si le peuple peut directement réviser la Constitution. Cette configuration correspond à ce qu’on appelle la démocratie directe.

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Professeur de sciences politiques, Sciences Po Grenoble, UMR Pacte, Institut catholique de Lille (ICL)

 

 

 

Source : The Conversation

 

 

 

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