L’homme qui a sauvé les trésors de Tombouctou

Palmyre était devenu, on s’en souvient, un symbole de la menace que fit peser la secte Daech sur le patrimoine de l’humanité. La cité antique se trouvait sous les missiles et les canons du pseudo Etat islamique, et c’était un pan de l’humanité qui risquait de disparaître comme hier les grands Bouddhas de Bamiyan ou les mausolées et les manuscrits de Tombouctou.

 

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En Afghanistan, en Irak comme au Mali et en Somalie, la fureur obscurantiste se double souvent d’une visée bassement mercantile, le trafic illicite des antiquités et autres objets culturels est considéré comme une source de revenus non négligeable. Forte de ce constat, en 2015 la directrice de l’Unesco a tout fait pour demander une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU après la destruction du patrimoine de Mossoul.

L’héritier des savants musulmans

Dans la plus célèbre des cités africaines, il s’est trouvé des hommes et des femmes pour cacher, protéger et sauver les précieux trésors que recèle Tombouctou et qui ont traversé les siècles avec bonheur. Abdel Kader Haïdara est un de ces héros qui ont failli perdre la vie pour soustraire aux groupes terroristes les joyaux légués par les érudits musulmans d’hier, sauvegardant ainsi « l’encre des savants » pour reprendre la belle expression du philosophe Souleymane Bachir Diagne [titre d’un de ses ouvrages paru aux éditions Présence africaine en 2013] qui cultive un dialogue intellectuel des plus fertile avec ces derniers.

A 51 ans, Abdel Kader Haïdara est loin d’être un inconnu dans son pays. Sa vie est indissociable de celle de la bibliothèque Mamma-Haïdara qu’il a initiée et à laquelle il consacre depuis des décennies tout son temps et toute son énergie, tradition familiale oblige. Le père d’Abdel Kader, Mamma Haïdara, était un cadi (juge) fort respecté qui enseignait également les sciences classiques islamiques comme la jurisprudence et la grammaire arabe. Enfin, sa bibliothèque personnelle était considérée comme l’une des plus vastes et des plus anciennes de la région qui jadis comptait outre Tombouctou les centres de savoir d’Araouane, de Taoudenni et de bien d’autres aujourd’hui tombés dans l’oubli.

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A la mort du père, en 1981, le fils assure la relève dans la gestion de la bibliothèque et se lance dans une entreprise d’envergure qui consiste à rassembler le plus grand nombre de manuscrits pour les préserver, les faire connaître et, enfin, permettre au monde entier d’accéder à ces trésors de la culture. Abdel Kader Haïdara s’allie à d’autres propriétaires de collections familiales, participant à la mise en place d’un réseau de bibliothèques au niveau local et international.

Riposte discrète

L’ironie de l’histoire n’a pas de limites. Il a fallu que la guerre civile éclate à nouveau au Mali pour que le mythe de Tombouctou resurgisse. Pire, ce sont les hordes djihadistes qui vont braquer l’attention des médias, d’abord en décembre 2012, à la suite de la destruction d’un mausolée suivi, un mois plus tard, par un autodafé d’ouvrages religieux entreposés dans les locaux de la bibliothèque Ahmed-Baba. Face à la menace grandissante, la riposte s’organise en toute discrétion. Des responsables des trente-deux bibliothèques familiales de Tombouctou, dont celle d’Abdel Kader Haïdara, vont réussir à faire sortir de la ville plus de 80 % des manuscrits enfermés dans des cantines en fer pour les acheminer en 4 × 4 dans le sud du pays et les stocker dans des lieux sûrs.

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Si le journaliste français Jean Michel Djian s’est intéressé aux secrets, mythes et réalités de la ville aux 333 saints, l’Américain Joshua Hammer a rendu hommage, à travers plusieurs articles, au courage des sauveteurs en général et à l’exploit d’Abdel Kader Haïdara en particulier. Joshua Hammer a fini par rassembler ses écrits dans un ouvrage. Solidaire, le monde académique a suivi de près le rassemblement et le sauvetage des bijoux culturels. L’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon a remis en 2012 un doctorat honoris causa à Abdel Kader Haïdara pour souligner l’œuvre et la contribution de ce Malien d’exception.

Gageons que cette suite d’opérations discrètes, méthodiques et dangereuses menées par des hommes et des femmes ordinaires trouvera assez vite le cinéaste qui, à la manière de George Clooney, saura la magnifier dans un film à la hauteur de leur héroïsme.

Abdourahman A. Waberi

 

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, de Aux Etats-Unis d’Afrique (JC Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (Zulma).
 
 
 

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