Kamel Daoud, haro sur un écrivain révolté

Après la polémique qui a suivi ses articles sur les agressions sexuelles présumées du 31 décembre à Cologne, Kamel Daoud a décidé d’arrêter le journalisme pour se consacrer à la littérature.

S’il ne revient pas sur sa décision, sa voix manquera sans conteste au débat public, surtout qu’elle symbolise l’une des rares expressions africaines à toucher l’opinion internationale, au-delà des frontières du continent.

L’écrivain Kamel Daoud est l’une de nos plus belles plumes, mais aussi l’une des plus subversives. Ses positions dérangent car elles ne prennent pas la précaution du « oui, mais… » devenue un pseudo-équilibre, une hypocrisie dont se prévalent de nombreux intellectuels dans le monde musulman pour ne jamais donner un avis tranché, et demeurer dans le clair-obscur devant une multitude de forces conservatrices répressives.

Dans ma dernière chronique pour Le Monde Afrique, je soulignais que nos lâchetés sont notre principal ennemi dans l’entreprise de caporalisation des intellectuels, éditorialistes et journalistes par les directeurs de conscience, ces docteurs de la foi, qui imposent une chape de plomb sur la religion, refusant toute forme de dialogue critique ou d’expression d’une quelconque idée contradictoire.

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Dans la polémique actuelle, on peut ne pas être d’accord avec les positions de Kamel Daoud. On peut récuser ses deux chroniques sur « Cologne », moi-même je ne suis pas d’accord avec tout ce qui y est écrit. Mais il est inacceptable d’exposer l’auteur à la vindicte populaire, à l’inquisition de la meute intégriste sous le prétexte fallacieux d’islamophobie.

J’ai par nature un problème avec les procès, d’intention ou pas, et davantage de difficulté avec les procès malhonnêtes, surtout quand ils concernent un débat intellectuel. Dans le monde musulman, nous avons perdu l’habitude des débats de fond sur notre religion et son rapport au monde en proie à une transformation quasi quotidienne.

Un regard lucide, objectif et courageux est nécessaire sur l’Islam

Grande civilisation qui a façonné ce que notre monde est devenu, de Cordoue à Tombouctou, l’islam est dans une période charnière au regard notamment du monstre qui est sorti de ses flancs. L’intégrisme religieux montre au quotidien un visage hideux, avec son lot d’horreurs et de barbaries.

Un regard lucide, objectif et courageux est nécessaire sur l’ISlam à l’ère de Daech et de Boko Haram. Certains ont appelé à une résurgence du logos dans le monde musulman, à un nouveau printemps des idées et d’éclosion de la pensée, de la culture et des intelligences. Elle doit accoucher d’un débat serein et sans concession sur des questions essentielles comme la place de la femme, l’intégrisme, la laïcité, la culture…

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Mais ce travail est compromis dès lors qu’on marginalise ou diabolise tous ceux qui contribuent par leur prose au débat à l’intérieur des frontières du monde musulman. Kamel Daoud est de ceux-là. Aujourd’hui, l’islam est au cœur d’une spirale particulière ou deux sphères qui cristallisent le débat sur la religion.

D’une part, un Occident, frappé de plein fouet par la violence terroriste verse dans la bête stigmatisation des musulmans. D’autre part, une rhétorique rigoriste qui n’hésite plus à prendre les armes pour imposer un totalitarisme d’une violence inouïe, de Garissa à Paris, qui ne laisse dorénavant personne indemne.

Or, entre Pégida et l’organisation de l’Etat islamique, une voix doit incarner l’intelligence. Une voie de la raison est à emprunter. Celle de Kamel Daoud risque malheureusement de se soustraire à l’incarnation de cette ligne de crête.

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Sa liberté d’analyse et d’expression sur un fait de société vient d’être réprimée par des universitaires, au motif de revendications identitaires et religieuses enrobées dans une réaction d’intellectuels du haut des terrasses germanopratines ou des amphis feutrés parisiens.

Où est le courage parmi ses détracteurs ? Kamel Daoud est un homme révolté. C’est une plume dure, enragée, indignée et fiévreuse. Mais au contraire de beaucoup d’intellectuels, il a porté une parole dure et courageuse sur son pays et ses vestiges réactionnaires, de l’intérieur, en habitant en Algérie au risque de sa vie.

Pis, accuser Kamel Daoud de faire le jeu de l’islamophobie est injuste mais surtout cruel pour l’homme qui, faut-il le rappeler, a été victime d’une fatwa, un mufti algérien appelant à son exécution.

Nous sommes à l’époque des procès d’intelligence

Malheureusement, nous sommes dans une ère ou l’activiste est en train de prendre le dessus sur l’intellectuel. On est vite jugé, conspué, insulté sans même prendre (souvent) le soin de vous lire. Et cette bêtise fait très mal, car elle incarne une forme de violence gratuite, facile, naïve, presque niaise.

On aime faire des procès, on aime dorénavant crier à l’injure à la croyance d’un tel ou de tel autre. Après les récentes indignations, parfois théâtrales, sur des caricatures de presse, le jeune écrivain sénégalais Mbougar Sarr s’interroge pertinemment : « Est-il encore possible de dire quelque chose, d’écrire quelque chose, sans blesser, choquer, insulter quelqu’un ? C’est l’ironie que cette époque a tuée. La notion même de mise à distance semble impossible aujourd’hui. »

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Critiquer les écrits de Kamel Daoud est un droit. Mais défendre l’écrivain contre une cabale injuste est un devoir. Car nos croyances religieuses, relevant de l’intime, doivent pouvoir faire l’objet d’interrogations, de critiques voire de remises en question.

Seule la liberté est à sanctifier, à sanctuariser, car elle garantit le legs que nous devons aux générations futures. Si l’autodafé des intellectuels s’impose, l’obscurantisme sera notre horizon indépassable. Horreur.

Hamidou Anne

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.

 

Source : Le Monde Afrique

 

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