Califat

En érigeant une entité étatique qui a duré cinq ans sur les territoires de la Syrie et de l’Irak nés des découpages impérialistes des années 1916 (accords Sykes-Picot) à 1923 (traité de Lausanne), l’Organisation de l’État islamique (OEI) a braqué les projecteurs sur le terme « califat », y compris comme « institution islamique ». Et la mort du calife autoproclamé Abou Bakr Al-Baghdadi ne mettra pas un terme au débat sur ce terme.

 

Du point de vue historique, Abou Bakr, compagnon et gendre du Prophète de l’islam, semble être le premier à s’être qualifié de khalīfa, « calife », compris au sens commun de « successeur » de Mohammed, mais il s’agit alors probablement d’une épithète purement descriptive et pas d’un titre.

Successeurs du Prophète

 

Les fonctions du souverain musulman ont considérablement changé au cours de l’histoire. Au temps des successeurs immédiats de Mohammed, qui furent ses compagnons, ceux que la civilisation islamique appelle al-rashīdūn, « les Biens guidés » (632-661) sont naturellement en même temps chefs de la Communauté des croyants (Oumma) et chefs d’un État.

À l’époque omeyyade qui suit, les souverains portent le titre de khalīfa(t) Allāh, « représentant de Dieu [sur terre] », du moins sous Abd Al-Malik Ben Marwan, comme cela est attesté sur une monnaie émise sous son règne (685-705). Si cette appellation se réfère au Coran, où l’expression est employée à deux reprises, pour Adam et pour David (II, 30 ; et XXXVIII, 26), elle confortée par la tradition du caractère divin du monarque, qui imprègne une administration damascène largement héritière de l’empire byzantin. Notons que le souverain est aussi nommé imām, « guide [de la communauté des croyants] » et amīr al-mu’minīn, « commandeur des croyants ».

Les Abbassides, à partir de 750, ne reconnaissent pas à leurs prédécesseurs omeyyades le titre de khalīfa, mais leur donnent seulement celui de malik, simple « souverain » à titre séculier, qui était celui des membres de la dynastie ghassanide vassale de Byzance. À leur époque, malgré la puissance de l’État central qui marque les deux premiers siècles, plusieurs phénomènes contribuent à modifier le contenu des différents éléments de la titulature religieuse du souverain et leur importance relative. D’un côté, l’immensité des territoires résultant de la conquête, qui s’étend de l’Indus aux Pyrénées laisse vite place à la constitution d’émirats quasiment indépendants par les gouverneurs régionaux. De l’autre, l’héritage des traditions politiques et administratives sassanides, résultat de quatre siècles de domination, contribue à limiter la fonction religieuse du souverain, cela en même temps que le développement de différentes écoles théologiques et juridiques donne lieu à la formation, de consistance très variable dans l’espace, de multiples corps cléricaux, ceux des oulémas.

Puis, tandis qu’à Bagdad les souverains délèguent à partir de 945 l’autorité politique — sultān — à des émirs bouyides d’obédience chiite, les émirs fatimides, d’obédience chiite ismaélienne s’autoproclament califes en Ifriqiyya (Tunisie) en 909 avant de conquérir l’Égypte en 969, tandis que, gagné par l’exemple, l’émir omeyyade de Cordoue s’attribue le titre de calife en 929. Alors que, pour les chiites duodécimains, c’est le titre d’imām qui est mis en valeur pour la guidance légitime de l’oumma, le sunnisme centré sur Bagdad privilégie la notion de khalīfa comprise, pour des raisons de légitimation dynastique, comme raccourci de l’expression khalīfa rasūl Allāh, « successeur du messager de Dieu », c’est-à-dire du prophète Mohammed.

Effacement et polémiques

 

Tout cela sera théorisé plus tard par le juriste Al-Mawardi (972-1056), mais sa conceptualisation — généralement admise — est cependant contestée lorsque, en bon apologiste de ses maîtres abbassides, il déclare que la légitimité appartient seulement à la lignée qoraychite, tribu mekkoise du prophète Mohammed. Notons que se prévaloir de la dignité de calife sera adopté par les dynasties créées sous houlette d’imams appelant à un renouveau religieux, comme cela sera le cas au Maghreb avec les Almoravides puis les Almohades, lesquels serviront d’exemple aux États nés en Afrique subsaharienne au XIXe siècle. Il en sera de même en 1258, pour l’émir hafside de Tunis une fois émancipé du pouvoir de Marrakech, avec une légitimité religieuse bien mince.

Déjà réduite au Machreq et à une fonction religieuse par rapport aux sultans, la dignité califale devient purement honorifique lorsque, fuyant le sac de Bagdad par les Mongols en 1258, les califes se réfugient au Caire. Aussi, lorsque les sultans ottomans prétendent avoir reçu le titre de califat comme trésor de guerre lorsqu’ils s’emparent du Caire en 1517, cela a tout l’air d’un récit fabriqué après coup. Preuve en est donnée par la réponse à François 1er par laquelle est scellée l’alliance franco-ottomane en 1536, et que Soliman le Magnifique entame ainsi : « Moi, le sultan des sultans, le souverain des souverains, le distributeur des couronnes aux monarques de la surface du globe, l’ombre de Dieu sur la terre, le sultan et le padichah de [suivent le nom de dix-sept régions, provinces et cités] et de plusieurs autres contrées1 », etc. Alors que l’opulence de cette liste plaide pour l’exhaustivité, si elle livre un titre religieux, « l’ombre de Dieu sur la terre », n’y figure pas celui de calife.

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Roland Laffitte

Source : Orientxxi.info

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