Tijani Najeh, Représentant-résident du FMI en Mauritanie :

(Crédit photo : Noor Info)

«L’objectif est de mieux cibler ces subventions, car plus de 60% des subventions bénéficient aux 20% les plus riches des mauritaniens».

Depuis quelques mois, les différentes missions du FMI en Mauritanie, créditent l’économie du pays de remarquables agrégats, notamment par rapport à l’équilibre budgétaire, et aux réserves (polémiques) de change détenues par la Banque Centrale. Le représentant-résident du FMI en Mauritanie, Tijani Najeh explicite dans cet entretien, le point de vue du Fonds, par rapport aux chiffres sur les réserves de change; les questions du chômage et de la pauvreté endémiques sont évoquées, ainsi que l’équilibre budgétaire mauritanienne, et aussi la question sur les subventions énergétiques.

Une mission du FMI qui a récemment séjourné en Mauritanie a félicité le pays pour ses performances macroéconomiques. Dans le même temps la mission reconnaît que la pauvreté ne baisse pas et que le chômage avance.

La première des choses que je dois vous dire, c’est que l’économie mauritanienne a enregistré un taux de croissance du PIB réel de 4% en 2011. Ce résultat a été atteint dans un contexte national et international difficile marqué par des chocs exogènes. Il S’agit de la sécheresse aigue qui a négativement affecté la production agricole (baisse de 30% de la production céréalière), une baisse des prix du minerai de fer à la fin 2011, combinée avec une augmentation des prix internationaux des produits alimentaires et énergétiques. Tout cela fait que l’économie mauritanienne a enregistré une croissance positive mais plus faible par rapport aux projections de 2011 et du taux de croissance atteint en 2010.

Nous en sommes conscients : ce niveau de croissance n’est pas suffisant pour résorber le chômage et réduire sensiblement la pauvreté. Il va de soi que la pauvreté qui touche environ 42% de la population mauritanienne, et le taux de chômage de plus de 30%, ne peuvent être éradiqués au cours des deux années de mise en œuvre du programme approuvé par notre conseil d’administration en mars 2010.

Toutefois permettez-moi de vous dire que l’économie mauritanienne a montré une grande résistance à ces chocs étant donné que la stabilité macroéconomique a été assurée et consolidée dans cette conjoncture difficile. En 2011, l’inflation a été maitrisée, à 5,7% seulement, le déficit budgétaire de base n’a été que de 0,2% du PIB hors pétrole, contre 1,6 % prévu initialement malgré les dépenses supplémentaires occasionnées par les subventions des produits énergétiques et du programme d’urgence en faveur des populations vulnérables. Le déficit du compte courant de la balance de paiements s’est établi à environ 7% du PIB et les réserves de change ont doublé en 2011, atteignant un niveau sans précédent de plus de 500 millions de dollars, permettant de couvrir plus de 3 mois d’importations.

Justement, il y a une polémique récurrente sur les centaines de millions de dollars de réserve de change que détiendrait la Mauritanie. Ce serait des réserves brutes. Les réserves brutes seraient plus proches des alentours de 285 millions de dollars. Qu’en est-il exactement?

Comme je viens de vous le dire, effectivement les réserves de changes brutes de la Banque centrale de Mauritanie (BCM) ont atteint plus de 500 millions de dollars en 2011. Les réserves internationales nettes constituent l’un des critères quantitatifs de réalisation que nous suivons de très près dans le cadre du programme. Elles sont auditées par un cabinet international et publiées sur le site de la BCM. Nous avons fait de la publication des résultats de ces audits, un repère structurel du programme. Et nous tenons à sa réalisation à chaque revue du programme. Les conditions de vérification, de confirmation et de publication du niveau des réserves de change sont donc bien assurées.

En tant que vis-à-vis du fonds dans le programme de Facilité élargie de crédit (FEC), le FMI n’a-t-il pas pour rôle essentiel de s’assurer de la capacité de remboursement des prêts contractés ?

C’est réducteur. Nous avons également des repères structurels sur les réformes économiques sur lesquelles nous travaillons avec les autorités mauritaniennes, et pour lesquelles nous établissons des repères de suivi. Par exemple, nous avons établi en 2011 des repères sur les réformes des finances publiques tels que le recensement des contribuables, l’élaboration d’une stratégie sur la stratégie de l’endettement extérieur, audit de certaines entreprises publiques, la réalisation de l’enquête sur la pauvreté et la vulnérabilité, ainsi que des repères sur la réforme du système financier entre autres. Tous ces repères situés dans le temps sont suivis de près et nous veillons à ce qu’ils soient respectés.

Nous avons également dans le cadre de notre activité avec la Mauritanie, un appui sous forme d’assistance technique. Il s’agit de missions d’assistance technique fournie par le siège ou par le bureau AFRITAC à Bamako. En fait, depuis septembre 2009 à aujourd’hui une quarantaine de missions ont été effectuées et ont concerné le secteur réel pour la production des comptes nationaux et des prix, les finances publiques,( direction générale des impôts, du budget et des douanes) ainsi qu’à la BCM, sur les crédits aux apparentés , la supervision du secteur bancaire, les ratios prudentiels etc.

 


« Mais réellement les subventions aux hydrocarbures, vont essentiellement aux riches, les ménages les moins aisés allouent à peine 2% de leur budget à ces hydrocarbures »

Une croissance de 4-5% est-elle suffisante ?

La croissance mauritanienne doit indéniablement être plus forte et durable pour qu’elle puisse être en mesure de réduire le chômage et la pauvreté. Pour cela, il faut diversifier la base productive de l’économie qui est encore trop concentrée dans le secteur minier et améliorer davantage le climat des investissements en Mauritanie. Plusieurs autre secteurs peuvent contribuer davantage a la croissance dont l’agriculture, la pêche, les BTP et les services. Il faut donc renforcer davantage l’investissement dans ces secteurs pour une croissance plus importante, plus inclusive et qui puisse créer plus d’emplois et améliorer les conditions de bien être des populations mauritaniennes.

Justement, les pauvres. Où se situent-ils dans tous ces agrégats ?

Dans le cadre du programme, nous avons mis un objectif indicatif sur les dépenses pro pauvres. Pour 2011, plus de 100 milliards d’ouguiyas ont été prévus et réalisés par les autorités en dépenses de réduction de la pauvreté. Le programme a donc une dimension sociale à laquelle nous accordons également de l’importance et qui fait l’objet d’un suivi régulier de notre part.

Il y a depuis bientôt deux ans des hausses successives et ininterrompues des prix des hydrocarbures. S’achemine-t-on vers la fin des subventions énergétiques que le FMI recommandait à la Mauritanie?

Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté que j’évoquais précédemment, nous travaillons avec le gouvernement pour assurer un meilleur ciblage des subventions, qui représentent plus de 5% du PIB. Les subventions énergétiques budgétivores, ne touchant réellement que les plus aisés qui sont ceux qui en bénéficient le plus.

Pour que ces subventions aillent effectivement aux plus nécessiteux, nous avons encouragé le gouvernement à conduire une enquête sur la pauvreté et la vulnérabilité qui a été réalisée par le CSA en étroite collaboration avec le PAM en à Nouakchott. Les résultats de cette enquête sont utilisés par le PAM pour une opération de transfert de cash aux pauvres identifiés par l’enquête. Ces résultats seront utilisés pour cibler les bénéficiaires du programme EMEL, avant que l’enquête ne soit généralisée cette année, à l’ensemble du territoire.

Dans ce cadre là, les subventions seront utiles. Mais réellement les subventions aux hydrocarbures, vont essentiellement aux riches, les ménages les moins aisés allouent à peine 2% de leur budget à ces hydrocarbures. L’objectif de la libéralisation des prix est d’atteindre la vérité des prix et de mieux cibler ces subventions et les orienter vers les plus nécessiteux, car plus de 60% des subventions bénéficient aux 20% les plus riches des mauritaniens. Vous voyez bien qu’il y a un problème !

 


« Le FMI a beaucoup évolué, et son approche est depuis plus d’une dizaine d’années plus inclusive, plus ouverte et plus extensive que par le passé en matière de communications et de contact avec tous les acteurs sociaux »

Durant plus de douze ans, la Mauritanie a trafiqué ses chiffres macroéconomiques qu’elle présentait aux institutions internationales dont le FMI. Quels mécanismes ont été prévus pour éviter que ça ne se reproduise?

Les chiffres que nous publions dans nos rapports nous sont fournis par les autorités. Ils sont discutés avec les autorités, vérifiés assidument au plus fins des détails et mis en cohérence d’ensemble. Maintenant, pour éviter que le passé ne se reproduise, sur les chiffres erronés, nous avons un système transparent d’audit, sur les réserves de change notamment, qui est un garde-fou important pour la vérification et la confirmation de ces montants et leur publication sur le site de la BCM. En outre, le tableau des opérations financières de l’Etat (TOFE) est publié sur le site du Trésor public aussi bien que plusieurs autres rapports dont celui relatif a l’exécution de la loi des finances. La transparence, par la mise en ligne de variables à jour, assure la vérification. Donc les recettes et les dépenses du Trésor sont publiques.

Nous n’avons pas d’autres sources d’informations statistiques, et c’est le cas dans tous les pays. Les chiffres sont collectés auprès des autorités et présentés selon des formats préparés par les services du FMI et traités et analysées en étroite collaboration avec les autorités qui servent de base a l’analyse que nous faisons de la situation économique du pays.et que nous publions dans nos rapports.

Vous comprenez la mauvaise réputation du FMI dans les pays en voie de développement, particulièrement en Mauritanie ?

Le FMI a beaucoup évolué, et son approche est depuis plus d’une dizaine d’années plus inclusive, plus ouverte et plus extensive que par le passé en matière de communications et de contact avec tous les acteurs sociaux.
Nous organisons régulièrement des rencontres avec un spectre très varié de représentants de la société civile (ONG, milieu académique, les medias, secteur privé, les parlementaires, les présidents des fédérations etc.) et les partis d’opposition pour échanger avec eux sur ce que nous faisons et recueillir leur perception du programme.

Nous les avons toujours invités à nous faire part de leur commentaires et observations sur nos rapports de la manière la plus objective possible pour les refléter dans notre évaluation de la situation économique de la Mauritanie.

Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 07/06/2012

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