Diplomatie: De pragmatiques éclairés à des navigateurs à vue

Pour ce deuxième article rétrospectif, Noorinfo propose d’essayer de comprendre comment, au niveau humain, le corps diplomatique mauritanien s’est appauvri,

 

 

 

pas par manque de ressources, mais plus à cause de l’avènement d’un système militaire casseur de valeurs.

«Un pragmatique, un travailleur acharné et un homme courtois». C’est le portrait succinct que dresse un ancien haut fonctionnaire de l’administration mauritanienne, de Hamdi Ould Mouknass, qui a eu à le côtoyer plusieurs fois dans les années 70 lorsqu’il était ministre des affaires étrangères du gouvernement de Moktar Ould Daddah. Le symbole selon beaucoup de la qualité des ressources humaines dans le corps diplomatique mauritanien de l’époque.

«Comme la plupart des diplomates de son époque, il a mûri avec un réalisme politique qui refusait de se bercer d’illusions sur les réalités de l’ordre international sans verser dans un machiavélisme de bas étage.» continue-t-il.
Des professionnels cultivés et raffinés. Des gens conscients de la place géographique stratégique qu’occupe la Mauritanie, et qui ont su en tirer profit pour le rayonnement du pays, et même du continent. Qui ne se souvient pas de l’unique conseil de sécurité de l’ONU présenté hors de New-York, à Addis-Abeba, grâce aux tractations de Mokhtar Ould Daddah? Ou, à cause l’outrage fait à son prédécesseur zambien à la tête de l’organisation de l’union africaine (OUA) par le président américain Nixon, le refus par le même Mokhtar, en 1972, de diner à la maison-blanche lors d’une soirée organisée en honneur de l’OUA, en signe de protestation et de solidarité à son homologue zambien, et pour l’honneur de son homologue, mais aussi de l’Afrique.

«Des étapes importantes, des jalons de ce qui aurait pu aider à construire une diplomatie mauritanienne respectée dans le monde entier aujourd’hui, mais cet héritage a été dilapidé.» soutient un ancien ambassadeur, membre du club des diplomates de Nouakchott. «La voix de la Mauritanie ne compte plus, ni dans le monde, ni dans la sous-région; c’est un faire-valoir pour certains régimes désespérés, comme actuellement la Syrie.» dit-il. Cette dilapidation serait le fait des militaires.

Une diplomatie «clochardisée»

«Quand les militaires sont arrivés, ils ont trouvé des fonctionnaires peu malléables, qui avaient une haute estime d’eux-mêmes et de leurs missions. Ils ont été remplacés par des gens obéissants, soumis, et peu aptes techniquement. Mais la qualité des personnes est là, c’est juste qu’ils ne sont pas sélectionnés» argumente Ely Ould Allaf

Saleck Ould Mahmoud, député Tawassoul et rapporteur du budget à l’assemblée nationale va un plus loin et estime que «la dégradation de cette diplomatie est due à une gabegie indescriptible et un clientélisme hors-norme dans ce domaine. Aux oubliettes l’intérêt supérieur de la nation. L’immense majorité des diplomates actuels sont ceux qui ont échoué dans leur carrière administrative et qui, faisant partie de l’ancien régime, sont éloignés du pays par cette voie. La lutte contre la gabegie est ainsi contournée, vue qu’elle concerne essentiellement des proches des autorités.»
C’est ce qu’évoque aussi le député Boudahiya Ould Sbaï de l’APP, lorsqu’il pense que «le succès de la diplomatie mauritanienne remonte à feu Hamdi Ould Mouknass,ministre des Affaires étrangères sous le régime de feu Moktar Ould Dadah.»

«Il y a aussi la complaisance des grandes familles notables qui ont l’oreille du chef de l’état. Tous leurs fils ont la part du lion de tous les premiers postes diplomatiques (premier conseiller surtout) dans nos chancelleries.» évoque le député de Tawassoul.

Des planques à sous donc. Un diplomate français relève comme exemple, le problème des visas mauritaniens délivrés sans timbres à Paris.
«Ceci est un indice probant de l’argent détourné dans nos ambassades laissées à la merci financière de «fils de» ou «proches de»» martèle le député de Tawassoul.
La diplomatie mauritanienne est donc perçue aujourd’hui comme un refuge clientéliste et d’incompétences notoires, où ses cadres ne se soucieraient plus que «du commerce des lunettes, des chaussures et des devises, que de l’image du pays» ironise Ould Sbai.

«Des ambassadeurs en France dans les années 1990 qui parlaient à peine français, et qui ne savaient rien de la géopolitique; des ambassadrices de la même trempe. Une politique étrangère ces dernières années décidée à Tripoli ou en Iran; ou conditionnée par les intérêts de quelques-uns.» s’enflamme un ancien diplomate retraité qui a requis l’anonymat.
Et la Présidence qui impulse en général cette politique étrangère, qui fixe les grands axes ne se fait pas remarquer, positivement en tout cas.

Un problème de compétences aussi

«Nous n’avons pas d’envergures intellectuelles à la tête de l’État; et là est le drame. Un gouvernement, un individu ne peut pas gérer une stratégie globale d’un pays, surtout concernant la diplomatie! Il faut comme partout créer des instituts d’études, de prospectives qui réfléchissent à tout cela; mais on n’a même pas la conscience de l’importance de cela» explique Mohamed Lemine Ould El Ketab, ancien ambassadeur.

Les décideurs auraient donc besoin absolument d’indicateurs qui leur balisent le chemin, qui les guident dans une réflexion qui dépasse le quotidien, dans un cadre de projet de société; et cela devrait déterminer les politiques à adopter. «Mais nous on navigue à vue» se désole un membre du club des diplomates mauritaniens.
Contrairement à la plupart des pays maghrébins et africains, comme le rappelle un attaché économique d’une ambassade maghrébine à Nouakchott: «La Tunisie, l’Algérie, le Maroc ont des institutions qui réfléchissent à des problématiques données (problème d’eau, énergie, immigration etc…) et livrent leurs réflexions autorités qui peuvent esquisser une stratégie d’action par rapport aux prospectives et études des compétences spécialisées.»

Cette décadence de la diplomatie mauritanienne serait notable depuis que «les militaires ont pris le pouvoir. Car leur plus grande faiblesse et incurie est qu’ils n’ont pas conscience de leurs faiblesses. Et cela c’est très grave, car on ne gère pas un pays sans un minimum de stratégie, de prospective, en suggérant simplement que les comités inter-ministériels régleraient tous les problèmes. Mais un comité de zéros égale toujours zéro. C’est la théorie de Saad Zagroub» résume Mohamed Lemine Ould El Ketab.

On ne pourrait pas comparer la période des militaires avec celle de Mokhtar Ould Daddah selon Ould Allaf, et ce ne serait pas à son sens un simple problème d’intellect. «Les militaires sont arrivés en temps de crise, avec les fronts du Polisario, du Maroc, avec l’Algérie. Ils étaient dans un contexte guerrier, naturel pour eux. Ils n’ont jamais eu ce sentiment sacerdotal qu’ont pu avoir leurs prédécesseurs qui dirigeaient le pays.» estime-t-il.

Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 24/07/2011

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page