Sénégal : Macky Sall, premier artisan de la défaite de son camp ?

Au sein même du parti présidentiel, plusieurs voix s’élèvent contre l’attitude du chef de l’Etat pendant la campagne électorale : il n’a jamais adoubé publiquement son propre candidat.

Le Monde  – Il a été le personnage central de cette élection à laquelle il ne concourrait pas, une ombre planant sur un scrutin en forme de référendum sur son bilan à la tête du Sénégal. Macky Sall a certes renoncé, en juillet 2023, à briguer un troisième mandat, mais nombreux dans son propre camp voient en lui le premier responsable de la défaite d’Amadou Ba, son ancien premier ministre qu’il avait choisi pour lui succéder, face à Bassirou Diomaye Faye, un novice en politique, tout juste sorti de prison pour triompher à l’élection du 24 mars.

Tant par loyauté que par crainte, les critiques contre cet « omniprésident » ont longtemps été tues. Il est toujours à la tête du parti Alliance pour la Répubique (APR) et de la coalition qui domine l’Assemblée depuis douze ans. Mais, au crépuscule de son règne, les langues se délient pour autopsier le cataclysme électoral.

« Le président a joué contre son propre camp, s’étrangle un responsable d’une section nationale du parti, encore hébété par le raz-de-marée qui a emporté leur candidat, Amadou Ba. Sur le papier, cette élection était imperdable. Nous avions l’appareil d’Etat, l’argent, le rouleau compresseur de notre coalition et un bilan matériel élogieux. Qu’avait-il à saboter notre candidat, alors même qu’il l’a choisi ? »

En effet, depuis début février et le report de l’élection, initialement fixée le 25 de ce même mois, la mouvance présidentielle semble sans boussole tant les actes du chef de l’Etat l’ont dérouté. Pourquoi, à dix jours du scrutin, a-t-il fait libérer de prison son opposant le plus virulent, Ousmane Sonko, et son second, Bassirou Diomaye Faye, prétendant à l’élection, à la faveur d’une loi d’amnistie qu’il a suscitée ? Pourquoi ne s’est-il jamais affiché aux côtés de son candidat lors des meetings ? « Macky Sall est totalement responsable de notre débâcle. Il n’a jamais eu un seul mot d’encouragement en public pour Amadou Ba. Etait-ce si difficile de dire aux Sénégalais : “Je suis fier de lui ! Votez pour lui !” ? », se désole Ibrahima, un militant rencontré au siège de l’APR.

Amadou Ba a encaissé les coups

 

Ce technocrate, qui fut ministre de l’économie et des finances puis ministre des affaires étrangères avant de devenir chef du gouvernement, Macky Sall l’a adoubé en septembre pour représenter sa coalition. Un choix de raison alors que le cœur du chef de l’Etat aurait plutôt penché pour Abdoulaye Daouda Diallo, homme de confiance placé à la tête du Conseil économique, social et environnemental, ou son ancien premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne.

Dès son annonce, la décision présidentielle a suscité la rancœur des recalés et marqué le début de la descente aux enfers du successeur désigné. Attaqué publiquement par certains ténors de la majorité qui estimaient que son manque de charisme et de popularité le rendait inapte à remporter le scrutin, Amadou Ba a encaissé les coups portés par une poignée de proches du couple présidentiel. Il n’a pas dit mot et remercié à chaque occasion officielle le chef de l’Etat pour « sa confiance ».

Puis arrive le coup de tonnerre du report de l’élection. Le 3 février, saisi par des députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) qui accusaient M. Ba d’avoir corrompu deux juges du Conseil constitutionnel pour écarter leur candidat Karim Wade – sans en apporter de preuve –, le président Sall décide de suspendre l’élection prévue le 25 février. Sa majorité enfonce le clou et vote avec le PDS l’ajournement de la présidentielle et la mise sur pied d’une commission d’enquête sur le processus de sélection des candidats. Difficile de désavouer plus Amadou Ba.

« La création de cette commission prouve que le président a cru à ces allégations, sinon il n’aurait pas laissé sa majorité soutenir une initiative dont la finalité était de débusquer son premier ministre », persifle Moustapha Diakhaté, exclu de l’APR pour s’être opposé à l’éventualité d’un troisième mandat de Macky Sall, qui exige désormais l’exclusion du chef de l’Etat du parti présidentiel.

Quel était le plan de Macky Sall ?

 

Si l’exécutif a justifié le report de l’élection, inédit dans l’histoire du Sénégal, par la crainte de troubles post-électoraux, certains observateurs y ont surtout vu une manœuvre politicienne. Un « coup de billard à trois bandes » réunissant le président et ses meilleurs ennemis, Ousmane Sonko et Karim Wade, exclus de la course à la magistrature suprême.

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 (Dakar, envoyée spéciale)

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

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