Le « modèle sénégalais » à l’épreuve de l’élection présidentielle

La tenue du scrutin pour élire le chef de l’Etat, les 24 et 31 mars, semble marquer la fin d’une période d’incertitude où l’institution judiciaire et une partie de la société civile ont tenu le choc face au jeu trouble du président sortant, Macky Sall.

Le Monde – Quand l’horizon sénégalais s’est éclairci, le 6 mars, après cinq semaines de tourmente, un ancien ministre y a vu une nouvelle manifestation de la « main invisible ». « Je vous avais dit qu’elle nous sortirait de l’ornière », a-t-il glissé, soulagé, en faisant allusion à l’intervention des juges, quelques instants après la décision du Conseil constitutionnel.

Ce soir-là, les sept juges ont imposé au président sénégalais, Macky Sall, la tenue d’une élection avant la fin de son mandat, le 2 avril. Un arrêt qui semble avoir refermé l’une des séquences les plus déstabilisantes de l’histoire du pays, ouvrant la voie à l’élection présidentielle du dimanche 24 mars.

L’Etat de droit a ainsi résisté, une fois de plus, au Sénégal. Car si, depuis 1963, les scrutins présidentiels ont toujours eu lieu à la date prévue, le pays a plusieurs fois tremblé à l’approche d’élections majeures.

Le 3 février, à dix heures de l’ouverture de la campagne, celle-ci avait brutalement déraillé lorsque le président Sall avait annoncé le report sine die du scrutin présidentiel prévu le 25 février, au prétexte de « dysfonctionnements » au sein du Conseil constitutionnel. La haute juridiction est accusée de corruption par Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, éliminé de la course pour cause de binationalité. Mais certains ont vu dans la suspension du vote une ultime ruse de l’entourage du président sortant pour se maintenir au pouvoir, alors que son candidat, Amadou Ba, semble en mauvaise posture et que monte la menace de l’opposant Ousmane Sonko.

Certes, l’ancien inspecteur des impôts n’a pas été autorisé à se présenter en raison d’une condamnation pour diffamation contre un ministre. Son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a été interdit. Incarcéré pour « appel à l’insurrection » et interdit de présidentielle, M. Sonko a investi son compagnon Bassirou Diomaye Faye, lui aussi incarcéré, pour le remplacer, dénonçant toutes ces affaires judiciaires comme des complots destinés à l’écarter de l’élection.

« Inertie » du pouvoir

Pour les tenants du chef de l’Etat sortant – héritier du système politique incarné depuis l’indépendance par Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf puis Abdoulaye Wade –, Ousmane Sonko représente un danger, lui qui se veut le « candidat du changement de système » et dénonce l’emprise exercée selon lui par l’ancienne puissance coloniale française. Macky Sall voit dans le Pastef, formation souverainiste et « panafricaniste de gauche », un « ennemi de la République » et un allié de « groupes terroristes ».

Finalement, après deux mois d’incertitudes, le Sénégal, si fier de ses alternances pacifiques, va vivre cet affrontement politique. Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont sortis de prison, jeudi 14 mars, à la faveur d’une loi d’amnistie. Mais, si le pays semble avoir retrouvé sa marche démocratique, la tempête a dévoilé les failles de son système.

Il y a d’abord l’hyperprésidentialisme, sur lequel s’est adossé le chef de l’Etat tout au long de la crise. Forgé par le président Senghor à l’indépendance, il a d’abord présenté des vertus. « A l’époque, en raison du manque d’instruction massif et pour lutter contre le risque de l’ethnicisme, il fallait un pouvoir présidentiel fort. Mais, aujourd’hui, les Sénégalais ont acquis une maturité politique inédite et la Constitution ne s’est pas adaptée. Or, on ne peut plus gouverner comme avant », explique Babacar Guèye, juriste et acteur de la société civile.

Autre enseignement du report, la faiblesse de l’Assemblée nationale face au président de la République. Loin d’incarner un contre-pouvoir, l’institution est apparue comme une extension de l’exécutif. Le chef de l’Etat étant le président du parti présidentiel, « les députés, une fois élus, agissent par loyauté » envers lui, poursuit Babacar Guèye.

La séquence a tout de même acté la solidité de l’institution judiciaire, le Conseil constitutionnel ayant, tout au long de la crise, rappelé le droit au chef de l’Etat. Le 15 février en annulant le décret reportant le scrutin. Puis, le 6 mars, face à ce qu’il qualifie d’« inertie » du pouvoir, il a fixé une date. Le juge constitutionnel a montré sa capacité à absorber les coups portés à la démocratie.

Vigies démocratiques

Même écorné, le « modèle sénégalais » reste vigoureux dans une région ouest-africaine où les régimes militaires ont peu à peu essaimé. Pays n’ayant jamais connu de coup d’Etat, le Sénégal se targue d’avoir une armée républicaine. Face à un dangereux enraiement de la machine électorale, celle-ci a brillé par son silence et son sang-froid.

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Source : Le Monde

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