Sahara occidental : les intérêts économiques du Maroc dans le viseur du Polisario

Après des décennies d’impasse militaire et diplomatique, les partisans de l’autodétermination se placent sur le terrain juridique et commercial.

Analyse. C’est l’épilogue d’une bataille judiciaire qui aura duré près d’un an. Lundi 7 mai, le bateau affrété par l’Office chérifien des phosphates (OCP) qui était coincé depuis 2017 en Afrique du Sud a pu reprendre la mer. Direction la Nouvelle-Zélande, où il pourra décharger sa cargaison de 55 000 tonnes de phosphate venues de Laâyoune, au Sahara occidental. « Nous l’avons récupérée pour un dollar symbolique », s’est félicité le directeur juridique du groupe marocain, Otmane Bennani-Smires, estimant que la saisie de cette cargaison « s’est soldée par un échec » et dénonçant une « grave entorse aux principes élémentaires du droit menaçant la liberté du commerce international ».

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En réalité, la mésaventure est plus embêtante pour Rabat que ce responsable ne veut bien le dire. Car elle n’est qu’un exemple parmi d’autres des actions en justice entreprises depuis quelques années par les indépendantistes du Front Polisario pour faire valoir leur point de vue. « La donne a changé : le Polisario s’adresse à des instances supranationales pour dénoncer l’exploitation des ressources économiques du Sahara, souligne Khadija Mohsen-Finan, universitaire et spécialiste de ce conflit. Aujourd’hui, par lui-même ou via des associations proches de la cause qu’il défend, il est devenu audible sur des points de droit. »

Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole en grande partie désertique mais aux richesses naturelles importantes, est revendiqué à la fois par Rabat, qui contrôle la zone à 80 % et propose un statut d’autonomie, et par le Front Polisario, qui demande la tenue d’un référendum d’autodétermination, comme prévu par les Nations unies. Après des décennies d’impasse militaire – un cessez-le-feu a été conclu en 1991 sous l’égide de l’ONU – et diplomatique, l’organisation sahraouie a décidé de changer de méthode : contester au Maroc sa souveraineté sur les ressources naturelles du Sahara occidental en passant par des voies légales. Enclenchée en 2012, cette stratégie s’est accélérée en 2017.

Coup de boutoir

 

S’agissant du Cherry Blossom, le navire battant pavillon des îles Marshall affrété par l’OCP, il avait été arraisonné le 1er mai 2017 lors d’une escale à Port Elizabeth, en Afrique du Sud. Le Polisario avait porté plainte devant un juge local, estimant ce transport illégal, et obtenu la saisie de la cargaison. L’organisation n’avait pas fait son choix par hasard : l’Afrique du Sud est un soutien historique de la cause sahraouie, se positionnant avec l’Algérie comme un défenseur du droit à l’autodétermination. Fin février 2018, un tribunal sud-africain a ordonné la vente aux enchères du phosphate – mais aucun acquéreur extérieur au dossier ne se serait manifesté. Une procédure similaire avait été lancée au Panama en mai 2017, sans succès.

Cette stratégie attaque au cœur les intérêts économiques du Maroc. L’exploitation des phosphates et de ses dérivés, notamment les engrais, est un secteur clé de l’économie marocaine – près du quart des exportations du pays –, selon des chiffres officiels. Et ce n’est pas la seule matière première visée par le Polisario.

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Le premier coup de boutoir a concerné l’accord agricole entre le Maroc et l’Union européenne (UE). Mis en cause par le Polisario, cet accord avait fait l’objet d’une première décision du Tribunal de l’UE en décembre 2015. Les juges de Luxembourg avaient estimé que le Conseil européen avait « manqué à son obligation » de vérifier si l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental sous contrôle marocain se fait ou non au profit de la population de ce territoire, et donc appelé à son annulation.

Après un recours, la Cour de justice de l’UE (CJUE) annonçait, le 21 décembre 2016, que l’accord de libéralisation agricole entre l’UE et le Maroc était bien valide mais qu’il ne s’appliquait pas « au territoire du Sahara occidental », auquel le droit international garantit un « statut séparé et distinct ». C’est en se fondant sur ces conclusions que les partisans de l’autodétermination ont accentué la pression.

Dommages et intérêts

 

La dernière offensive judiciaire en date a ainsi visé l’accord de pêche entre le Maroc et l’UE qui permet aux navires européens d’accéder à la « zone de pêche marocaine » en échange d’une contribution économique. Or la majorité des captures (91,5 % selon Melchior Wathelet, l’avocat général de la CJUE) sont réalisées près des côtes du Sahara occidental. Une coalition d’associations pro-sarhaouies, basée au Royaume-Uni, a porté plainte et, fin février 2018, la CJUE retoquait l’accord de pêche, obligeant l’UE et le Maroc à renégocier certaines dispositions au motif qu’elles violent le principe de l’autodétermination du Sahara occidental.

Dans le secteur touristique cette fois, le Front Polisario a décidé d’introduire un recours en France contre Transavia, filiale à bas coût d’Air France, pour sa nouvelle liaison aérienne entre Paris-Orly et Dakhla, ville du Sahara occidental très prisée des kite-surfeurs (117 000 nuitées en 2017 selon les autorités marocaines). Il demande 400 000 euros de dommages et intérêts, estimant là encore que le lancement d’une telle ligne ne peut se faire sans l’accord du peuple sahraoui. Une plainte a également été déposée devant la justice européenne contre l’accord UE-Maroc concernant l’aviation civile.

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« Il ne s’agit pas de multiplier les procédures, ni de se mettre les grandes entreprises à dos ou d’empêcher le Maroc de conclure des accords, souligne Gilles Devers, l’avocat du Front Polisario. Ce que nous voulons, c’est l’application de la jurisprudence européenne selon laquelle il existe deux territoires distincts et que, s’agissant du Sahara occidental, rien ne puisse se faire sans le consentement du représentant du peuple sahraoui, le Front Polisario. »

Les recours ne visent ainsi jamais directement le royaume du Maroc. Et s’ils n’ont jusqu’ici pas fait bouger les lignes du conflit sur le terrain, ils posent un problème de fond à Rabat, qui se voit entravé dans certaines de ses activités économiques mais aussi dans ses relations avec ses partenaires européens.

Charlotte Bozonnet
Source : Le Monde

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