Le malaise de l’Arabie saoudite face à l’offensive du Hamas en Israël

L’Orient Le JourC’est un coup de massue pour l’Arabie saoudite, engagée depuis plusieurs mois dans des négociations de normalisation avec Israël qui avancent « un peu plus chaque jour » comme l’a récemment affirmé le prince héritier Mohammad ben Salmane sur Fox News.

Après avoir fait pleuvoir des milliers de roquettes sur Israël dès le petit matin et ce jusqu’à Tel Aviv, des centaines de combattants du Hamas se sont infiltrés en territoire israélien par la mer, la terre et les airs à l’aide de parapentes motorisés, dans une attaque d’une ampleur inédite au lendemain du 50e anniversaire de la guerre du Kippour, elle-même symbole d’un échec du renseignement israélien. « Des centaines d’infiltrés étaient toujours sur le sol israélien samedi soir », selon Tsahal. L’armée israélienne a aussi publié dans un tweet une carte localisant les roquettes qui se sont abattues depuis Gaza et recouvrent vastement le territoire israélien.

Le bilan est lui aussi sans précédent pour une incursion menée par le mouvement islamiste depuis la bande de Gaza : au moins 250 morts côté israélien, des milliers de blessés et surtout une prise d’otages de civils et militaires, y compris des « officiers supérieurs » a précisé sur Al-Jazeera Saleh al-Arouri, le numéro deux du Hamas. Le Hamas « paiera un prix sans précédent » pour sa « guerre » contre Israël, a menacé de son côté le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Alors qu’une riposte israélienne d’envergure se présage, elle risque de mettre davantage en lumière les limites de la diversification stratégique qu’opère l’Arabie saoudite avec des pays ennemis comme Israël et l’Iran, soutien logistique et financier du Hamas.

« Israël a été humilié par le Hamas, donc on peut s’attendre à ce qu’Israël riposte très fortement et crée un environnement dans lequel le processus de normalisation sera retardé pour une durée indéfinie, voire mort », prédit Umar Karim, chercheur à l’Université de Birmingham et spécialiste de la politique étrangère saoudienne. « La normalisation sans concessions (aux Palestiniens) ne fera que rendre illégitime la démarche saoudienne, et les Saoudiens le savent, abonde Aziz Alghashian, analyste saoudien et expert des relations bilatérales. Cela conduirait sans doute à un report, voire à un éloignement des perspectives de normalisation à court terme. »

L’épineuse question des concessions aux Palestiniens

Depuis le début des négociations, l’Arabie saoudite tient à montrer que la normalisation ne se fera pas sans concessions aux Palestiniens, notamment l’arrêt de la colonisation et une solution à deux États. Les négociations butent d’ailleurs davantage sur ces questions, Israël étant dirigé par le gouvernement le plus à droite de son histoire, que sur des demandes hautement stratégiques comme un pacte sécuritaire de défense mutuelle avec les États-Unis et le développement d’un programme nucléaire avec enrichissement d’uranium. Cette attaque inédite du Hamas sur Israël devrait durcir davantage la position du gouvernement Netanyahu, le rendant encore plus imperméable aux demandes de concessions palestiniennes.

Un sujet épineux pour le royaume qui, en plus de cibler l’adhésion populaire, vise à se positionner comme un acteur diplomatique incontournable dans la région. L’Autorité Palestinienne, partenaire traditionnel de l’Arabie saoudite, sortira d’ailleurs très affaibli de ce nouvel épisode de guerre à l’avantage du Hamas.

La monarchie risquera alors de perdre encore de l’influence sur ce terrain, à un moment ou elle voulait en regagner. Riyad avait ainsi accueilli au printemps des délégations de l’AP et du Hamas, y compris le président de l’AP Mahmoud Abbas et le chef du bureau politique du Hamas Ismaël Hanniyeh. Mais lors de son interview sur Fox News, le 20 septembre, MBS a sobrement déclaré qu’il espérait que la normalisation « faciliterait la vie des Palestiniens », sans faire mention d’un État, déroutant au passage de nombreux soutiens de la cause.

Après l’attaque du Hamas, le ministère saoudien des Affaires étrangères a cependant réagi avec une rhétorique inhabituellement ferme, comme pour anticiper la probabilité d’un grand nombre de morts palestiniens dans la bande de Gaza en cas de riposte israélienne, et de leur impact sur un accord de normalisation déjà très impopulaire au sein des populations arabes et saoudienne. Selon le ministère de la Santé à Gaza, 256 Palestiniens dont 20 enfants ont été tués depuis samedi matin, et 1800 blessés.

Sans condamner les attaque du Hamas, le ministère saoudien a dénoncé dans un communiqué « les forces d’occupation israéliennes », rappelant ses « avertissements répétés sur les dangers d’une situation explosive résultant d’une occupation continue, de la privation des Palestiniens de leurs droits légitimes, et de la répétition des provocations systématiques envers les sanctuaires ». Hormis les raids israéliens récurrents en Cisjordanie occupée, la violation du statu quo sur l’esplanade des Mosquées par des colons extrémistes se multiplient depuis le début de l’année.

« Réponse très décevante du royaume. Cela fera le jeu du régime iranien », a critiqué dans un tweet Marc Dubrowitz, PDG du think-tank pro-israélien Foundation For Defense of Democraties. « Dans le passé, Israël a condamné les attaques de missiles houthis contre l’Arabie saoudite, a-t-il rappelé. Ce n’est pas la réponse que l’on devrait attendre d’un pays qui recherche les garanties de sécurité américaines. » En face, les Émirats arabes unis, qui ont signé et entrainé trois autres pays arabes dans les accords d’Abraham en 2020, adoptent un ton plus feutré, exprimant simplement leur « grande préoccupation » et appelant à un « cessez-le-feu » immédiat entre les deux parties.

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Amélie ZACCOUR

 

 

Source : L’Orient Le Jour (Liban) – Le 07 octobre 2023

 

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