France – L’académicienne Hélène Carrère d’Encausse est morte

L’historienne spécialiste de la Russie tsariste et soviétique, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, était âgée de 94 ans.

Le Monde – Historienne de la Russie tsariste et soviétique, troisième femme membre de l’Académie française, où elle fut la première élue au poste de secrétaire perpétuel en 1999, Hélène Carrère d’Encausse est morte à l’âge de 94 ans, a annoncé sa famille samedi 5 août.

Lorsque la petite Hélène naît, à Paris le 6 juillet 1929, la fortune familiale, l’aisance et la prospérité qu’a connues la famille Zourabichvili quelques décennies plus tôt ne sont que des souvenirs, au mieux un horizon de reconquête encore brumeux à l’heure de la pauvreté, lot de ces émigrés qui ont fui la révolution bolchevique.

Riche de grands serviteurs de l’empire Romanov, comme d’esprits contestataires et d’éminents savants, la famille, venue de Géorgie par Istanbul, s’installe en France après l’invasion de la toute récente République démocratique de Géorgie par l’armée soviétique à la fin de l’hiver 1921, moins de trois ans après sa naissance sur les ruines de l’empire tsariste. Elle s’agrandit avec la naissance, en 1936, de Nicolas, qui étudiera avec Nadia Boulanger et s’illustrera dans la composition tant pour des formations classiques que pour le cinéma, d’Otar Iosseliani notamment.

Très tôt la petite Hélène apprend à lire, le français d’abord puis le russe, se familiarisant très tôt à ces littératures parallèles. Le père, Georges, philosophe diplômé d’économie politique devenu chauffeur de taxi avant de s’essayer à l’import-export, entraîne la famille à Bordeaux, où sa maîtrise de cinq langues se révèle une compétence précieuse. Mais, travaillant comme interprète pour les Allemands durant l’Occupation, il est enlevé à la Libération et disparaît en octobre 1944, probablement liquidé, comme le suggère son petit-fils, l’écrivain Emmanuel Carrère dans son livre Un roman russe (POL, 2007), évoquant « une tragédie banale ».

 

Apatride

 

Revenue avec sa mère à Paris, l’adolescente est hébergée dans les locaux de l’église cathédrale orthodoxe de la rue Daru. Maurice Bardèche, beau-frère de Robert Brasillach, la rencontre en février 1950 et s’attache à celle qui lui paraît partager sa « colère et [sa] révolte ». Dans ses Souvenirs (1993), l’écrivain polémiste s’enflamme même : « Elle avait l’âme d’une jeune héroïne, mais en même temps elle était réaliste, décidée, lucide. » Malgré ce portrait radical, Hélène Zourabichvili suit une scolarité solide au lycée Molière, puis à l’Institut d’études politiques de Paris.

A sa majorité, la jeune femme, née apatride, obtient la nationalité française. Un moment capital à ses yeux, elle qui veut alors prêter serment sur le drapeau et s’effare que le simple fait de ne pas s’opposer à la naturalisation avant le jour de ses 21 ans ait déjà fait d’elle une Française. Elle s’en souviendra quand elle sera appelée en juin 1987 à siéger parmi les « sages » de la commission pour la réforme du code de la nationalité.

D’emblée, Hélène, devenue, par son mariage en juillet 1952 avec Louis Carrère, Hélène Carrère d’Encausse, s’intéresse, de par ses origines, à l’Asie centrale, et notamment aux « émirats ouzbeks, d’Alexandre II à Lénine », sujet de sa thèse de doctorat, dirigée par Maxime Rodinson et qu’elle soutient en Sorbonne en juin 1963. La somme paraît sous le titre Réforme et révolution chez les musulmans de l’empire russe : Bukhara 1867-1924 (Armand Colin, 1966). Pour mener à bien le chantier, Hélène Carrère d’Encausse a voyagé au début des années 1960 dans ces républiques périphériques de l’URSS et chez leurs voisins immédiats, du Kazakhstan à l’Afghanistan en passant par Tachkent, aujourd’hui capitale de l’Ouzbékistan.

 

Soupçons d’espionnage

 

Son profil la fait soupçonner d’espionnage, mais son contact avec les populations lui apporte énormément et nourrit son travail comme son analyse de sentiments nationaux peu étudiés jusque-là. En marge d’un travail scrupuleux sur la vie politique d’un demi-siècle de soviétisme – que ponctue la publication d’une somme, L’Union soviétique de Lénine à Staline 1917-1953 (éd. Richelieu, 1972), reprise en deux tomes et en poche en 1979 (Lénine : la révolution et le pouvoirStaline : l’ordre par la terreur, « Champs » Flammarion) et d’un essai d’histoire immédiate qui clarifie un dessein obscur pour beaucoup, La Politique soviétique au Moyen-Orient 1955-1975 (Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1976) –, la soviétologue s’impose par son maître ouvrage sur « la révolte des nations en URSS », sous-titre de L’Empire éclaté (Flammarion, 1978), formulation à l’allure de prophétie.

Commercial comme critique (prix Aujourd’hui 1978), le succès est aussi inattendu que fulgurant. Même si la thèse d’une dislocation de l’URSS sous la pression de la montée en puissance démographique des républiques asiatiques musulmanes est en partie invalidée par la rapide contestation politique de la Pologne du syndicat Solidarnosc, la nouveauté du propos et la clarté de l’expression imposent Hélène Carrère d’Encausse sur la scène médiatique. Qu’elle ne quittera plus.

 

Troyat, qui fut le benjamin des membres de l’Académie, rêve d’attirer sous la Coupole la soviétologue et l’encourage à postuler

 

Le rythme soutenu de ses essais y contribue : Le Pouvoir confisqué : gouvernants et gouvernés en URSS (1980), Le Grand Frère : l’Union soviétique et l’Europe soviétisée (1983), Ni guerre ni paix : le nouvel Empire soviétique ou du bon usage de la détente (1986) ou Le Grand Défi : bolcheviks et nations 1917-1930 (1987), tous chez Flammarion, sans oublier, moins connu mais lumineux, une formidable analyse du moment Khrouchtchev, 1956 : la déstalinisation commence, parue chez Complexe (« La mémoire du siècle », 1986) et reprise vingt ans plus tard augmentée sous le titre La Deuxième mort de Staline (Complexe, 2006)

On fera un sort pareillement particulier à l’éclairante synthèse Le Malheur russe : essai sur le meurtre politique (Fayard, 1988) qui embrasse, malgré quelques lacunes dans l’ère médiévale, plus d’un millénaire de pouvoir sanguinaire. Comme l’annonce chez Fayard du cycle de biographies de souverains que la soviétologue reconvertie en spécialiste des siècles tsaristes mène à l’instar de son « parrain » académicien Henri Troyat, de Nicolas II (1996) à Catherine II (2002) et Alexandre II (2008) avant la conclusion d’ensemble sur Les Romanov. Une dynastie sous le règne du sang (2013). Plus récemment, elle s’était vu reprocher une forme d’indulgence à l’égard de Vladimir Poutine et avait reconnu être « en plein brouillard » concernant la guerre en Ukraine.

Lire la suite

 

 

 

 

 

Source : Le Monde
 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page