Conakry, 72 heures du livre pour tous

Traversees Mauritanides – Conakry poursuit ses ambitions à devenir la Capitale africaine du livre. En attendant, les 72 heures fondent leur ancrage dans la sous-région. La 15e édition du salon est prévue du 23 au 25 avril 2023. Voyage au cœur d’une manifestation qui allie littérature et ferveur de jeunesses.

 

Lancées en 2009 par l’écrivain et directeur des éditions Harmattan Guinée, Sansy Kaba Diakité, les 72 heures du Livre de Conakry sont devenues un rendez-vous incontournable à partir de chaque 23 avril décrété par l’Unesco Journée Mondiale du livre et du droit d’auteur. Trois jours intenses autour du livre. De quoi repousser les champs de l’illettrisme qui touche près de 68% de la population en Guinée. Une initiative que salua le Premier ministre guinéen, Mohamed Béavogui, lors de la cérémonie de clôture le 25 avril 2022

                                                                                   Le livre comme levier

Si elle n’a pas encore obtenu son titre officiel de Capitale africaine du livre, malgré le sacre de Conakry capitale mondiale du livre en 2017 par l’UNESCO, le livre est à Conakry ce que le cinéma est à Ouagadougou (Fespaco), la photographie à Bamako, les arts contemporains à Dakar, les arts de la scène à Abidjan.

Une référence, à laquelle Sansy Kaba croit dur comme fer. Toute son énergie y est dévouée, avec aussi le soutien année après année de jeunes affichant les mêmes ambitions que lui. « On peut sauver cette nation par l’écriture et la lecture », soutient le Délégué Général des 72 heures qui ne compte pas ses lieux de présence pendant les rencontres, allant d’un stand à un autre, d’une tribune à une autre. Faisant une rétrospective sur la situation actuelle, il poursuit : « Le livre n’est qu’un moyen parmi d’autres. L’objectif est de nous trouver des pistes pouvant mener à une stable période de transition, de réconciliation et d’épanouissement de la jeunesse. A plus de 64 ans d’indépendance, les Guinéens vivent encore des années difficiles. C’est pourquoi nous avons développé plusieurs sous-thèmes sur les questions de la paix, de la réconciliation nationale, mais aussi le rôle du patrimoine national comme levier à notre cohésion sociale ».

 

Pendant les 72 heures du livre, tables rondes, conférences, masters classes, rencontres professionnelles avec des éditeurs sur les publications et droits d’auteurs, expositions de peinture, projections de films et documentaires sans oublier des dédicaces ventes ponctuent l’évènement. Et chaque année, un pays est mis à l’honneur. Celui-ci présente sa littérature et sa culture. En 2022 c’était au Maroc de faire découvrir sa littérature, son patrimoine, ses beaux livres mais aussi son art culinaire par des expositions.

Et parmi les écrivains de l’édition 2022, il y avait les Camerounais Eugène Ebodé et Calixthe Beyela, les Marocains Abdallah Baïda, Rabiaa Marhouch, Loubna Serraj et Rachid Khaless, le Tunisien Yamen Manaï, le Malien Sékou Fofana, le Haïtien Philomé Robert et de nombreux guinéens : Oumar Sivory Doumbiya, Elhadj B Lombonna Diallo, Zalikatou Diallo.

                                                                               Une image depuis le livre

«Pour nous, dit Mohamed Camara du Comité d’organisation, tout le monde doit pouvoir profiter des 72 heures. L’ambition est de porter et faire porter le livre partout. Là se trouve la meilleure arme de vendre, d’éveiller les consciences, de lutter contre l’illettrisme, et en même temps montrer une bonne image de la Guinée qu’on dit souffrir de ses instabilités politiques, alors qu’elle a beaucoup de choses positives à offrir ».

Ce travail, l’équipe des 72 heures ne le fait pas qu’à Conakry. Chaque année des extensions s’opèrent à travers le pays profond avec une Ville invitée d’honneur. En 2022 c’était Dalaba, Haut lieu du patrimoine guinéen où la célèbre chanteuse Sud-Africaine Miriam Makéba a résidé dès les années 1970 en fuyant le régime ségrégationniste d’apartheid en Afrique du Sud. Les visiteurs iront se restaurer et prendre des images dans sa traditionnelle case peule en paillottes, devenue un passage touristique.

Pendant les 72 heures, toute la capitale bourdonne aux sons des feuilles, livres et débats. Des écoles sont libérées et des services de transports offrent leurs contributions en transportant les festivaliers d’un site à un autre. Sur le village du salon, au Chapiteau By Issa, sous l’œil protecteur du Monument du 22 novembre jouxtant le Palais du peuple, les espaces sont toujours noirs de monde.

Des plateaux de télévisions et de radios s’improvisent, assurant des retransmissions et émissions interactives. Les directs permettent aux auditeurs et téléspectateurs absents de vivre l’évènement comme s’ils y étaient. On ne manque pas, non plus, de croiser des scènes d’improvisions avec des visiteurs, jusque dans les rues adjacentes. Ecoles et universités sont également investies. « Ces rares moments sont à encourager, dit Amadou Baldé, professeur de linguistique. Je suis venu avec mes étudiants et des collègues. C’est le lieu où il faut être cette semaine. Pour serrer la main à des écrivains dans nos programmes ou que nous lisons simplement, et d’autres aussi à découvrir. En venant, nous avons remarqué des animations dans certains quartiers que nous avons traversés. Cela aussi est bien », poursuit-il en se tournant vers ses compagnons comme pour obtenir leurs approbations.

Beaucoup l’ont compris : déplacer le livre et la lecture partout. « Il est très réconfortant de voir des écrivains », confie la main posée sur une pile de livres Souadou Doumbia informaticienne. « Humains, comme nous, ils prennent le temps et l’énergie de traiter des sujets de nos quotidiens, souvent très proches de nous. Je pense à la délinquance, la drogue, les violences conjugales, entre autres sujets. Ils nous font même rêver par moment en créant des univers appropriés. Rencontrer de tels êtres, échanger avec eux, et pouvoir même poursuivre des apartés avec certains, donne une idée de la transposition de nos univers réels dans le monde des fictions grâce à des imaginaires. D’aucuns s’ouvrent à nous sur leurs processus de travail, comment ils conçoivent leurs thématiques, textes, à quels moments ils écrivent ou agencent les idées. Les temps de maturations que peuvent prendre les publications. Cela constitue aussi des conseils, à ceux qui voudraient se lancer… J’ai pu même parler de choses personnelles et intimes avec une auteure », lâche-t-elle en pouffant de rires ! Des complicités donc.

                                                                        Champs de complicités                                                                                           

 

L’intérêt pour la lecture, la littérature et autres prestations, en direction de la jeunesse est la préoccupation de tous, dans un pays majoritairement jeune. « Les 72 heures représentent désormais une attente culturelle importante pour l’ensemble des lecteurs et férus des débats », témoigne Souleymane Barry. « Les gens ont soif de savoir, et ces moments en offrent les opportunités », poursuit l’ancien administrateur civil à la retraite venu avec deux de ses petits-enfants, l’un médecin et l’autre employé de banque. « Les autres agendas de l’année sont presque creux, ironise Bineta à ses côtés. Ici on retrouve des écrivains, artistes et intellectuels de différentes nationalités. Et de bons, qu’on n’est pas certains de rencontrer sans de telles circonstances.»

C’est là le bien-fondé dans la lecture, la littérature et autres opportunités culturelles. « Les 72 heures sont un souffle pour les amoureux des livres et de la lecture. On scrute tous les ans le programme », se félicite Abdoulaye Sylla debout depuis de nombreuses minutes contre un mur et l’oreille attentive au café littéraire « Femmes, littérature et entrepreneuriat ».

Un moment intense avec des auteures passionnées, devant un public presque religieux. L’auditoire a eu droit à des éclairages de parcours singuliers et divers. « On veut de nous plusieurs choses, martèle Tissou Touré, auteure de Tous les secrets de nos cœurs. Au-delà des apparences, sans nous concéder notre liberté ! Ce qui ne nous empêche pas de nous battre. Et parmi les défis à relever quand on est femme et qu’on veut écrire, il y a d’abord des repères que nous portons comme des boulets ! Des coutumes et traditions qui nous pompent les nerfs, plus qu’autre chose. On doit nous laisser gérer nos envies, nos émotions, désirer ce que nous voulons, et non seulement d’avoir des foyers à entretenir, mettre en ordre pour d’autres. Qu’on nous laisse les mêmes libertés que les hommes, et on verra que nous pourrons tout faire autant que ces mâles ; exceller dans l’entreprenariat, l’écriture et autres champs. Au jour d’aujourd’hui, il est des choses qui ne doivent plus demeurer les seuls fardeaux des femmes. Sinon qu’on ne s’étonne pas de ne pas nous voir suffisamment entreprendre». Tissou se redresse et assène : « De toute façon, il est des femmes qui n’accepteront plus certaines restrictions ! »

                                                                     

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Bios Diallo

Francophonies du monde | n° 12 | Mars-avril 2023

Source : Traversees Mauritanides 

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