France-Maghreb – Les plaies toujours à vif de la crise des visas

 Orientxxi.info  Alors que la délivrance de visas pour la France aux ressortissants maghrébins est censée revenir à la normale, retour sur une crise qui, par-delà une crispation conjoncturelle, révèle des dysfonctionnements structurels. Des défaillances que les autorités françaises reconnaissent à demi-mot puisqu’un audit vient d’être commandé pour en faire le diagnostic et proposer des remèdes.

« Vous n’avez pas présenté d’éléments permettant de s’assurer que votre séjour en France à des fins d’études ne présentait pas un caractère abusif ». Coché parmi les 13 motifs types sur une feuille simple tamponnée par le ministère de l’intérieur, ce refus de visa a obligé Sarah, étudiante algérienne admise à l’université de Nîmes en 2023, à revoir sa feuille de route. Sur le papier, son dossier ne présentait pourtant aucune anomalie : deux garants, les preuves d’un compte bancaire fourni à hauteur de 7 500 euros, une garantie de logement réservé à 4 kilomètres de la faculté… Malgré la présentation d’un dossier solide, les refus de visas étudiants sont devenus familiers, y compris pour ceux ayant obtenu des bourses européennes ou qui ont été acceptés dans les universités, signe d’une absence de coordination entre les différentes institutions chargées de l’accueil de l’étudiant. « La plupart de mes camarades en Algérie font face à des demandes de visas éprouvantes, » confie Rayan Assad, étudiant algérien en communication installé en France depuis 2017. Les milliers de témoignages désespérés sur le groupe Facebook « Étudiants et cadres algériens », qui regroupe plus de 145 000 membres, donnent un large aperçu des conséquences de la crise des visas.

Le sujet qui revient en boucle : les motifs de refus, souvent incompris, dont certains sont plus stéréotypés que d’autres, comme le no. 4 qui explique qu’« il existe des doutes raisonnables quant à la volonté de quitter le territoire après l’expiration du visa ». Un refus suspicieux injustifié selon l’avocate Marianne Leloup, spécialisée en droit des étrangers. « Voilà comment une décision administrative laconique, expéditive et illisible vous est présentée après une demande de visa à l’allure de parcours du combattant », déplore-t-elle. En vigueur depuis que Bruxelles a imposé des normes minimales de procédures de refus en 2009, ces formules de refus préécrites sont vécues comme un affront pour les ressortissants, qui nagent souvent en pleine incompréhension à la réception du refus. « La France considère que ce système de refus par case fait l’affaire. Pourtant, la seule manière d’obtenir une réponse détaillée est d’engager un recours, procédure décourageante et onéreuse pour les demandeurs de visas », explique Morade Zouine, avocat spécialiste en droit de l’immigration.

 

Des frais non remboursés

 

Cette vague de refus, dénoncée par les ressortissants maghrébins depuis 2021, s’inscrit dans ce qu’on a appelé « la crise des visas », une politique volontariste française visant à réduire de 50 % la délivrance de visas pour l’Algérie et le Maroc, et de 30 % pour la Tunisie. Un choix politique présenté comme une mesure de rétorsion face au manque de coopération des gouvernements dans la lutte contre l’immigration illégale. Entre les mois de janvier et juillet 2021, 14 456 ressortissants d’Algérie, du Maroc et de Tunisie ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Seuls 233 d’entre eux sont retournés dans leur pays, soit 1,6 % d’expulsion effective. « C’était une façon de mettre la pression sur ces pays après leur refus de délivrer suffisamment de laissez-passer consulaires », indispensables pour mener à bien une expulsion, explique Morade Zouine.

Les menaces ont bel et bien été exécutées. Selon les derniers chiffres communiqués par la Direction générale des étrangers en France, « les trois nationalités du Maghreb qui représentent 360 821 visas délivrés en 2022 en totalisaient 766 299 en 2019, soit plus du double ». Pour ce faire, les conditions d’obtention de visa se sont considérablement durcies. Depuis septembre 2022, le délai de traitement s’est allongé à 45 jours, et la liste de pièces justificatives nécessaires s’est alourdie. Casier judiciaire, relevés bancaires ou encore préréservation du billet d’avion, « le summum reste tout de même le visa de long séjour « salarié », pour lequel on demande, notamment au Maroc, de fournir une impressionnante liste de pièces par mail afin de mâcher le travail de l’administration », complète Morade Zouine. La question de la confidentialité de données parfois sensibles, délivrées aux structures privées en charge des prises de rendez-vous, suscite également des tollés.

Quant aux frais, entièrement à la charge des demandeurs de visas, ils s’établissent entre 80 et 100 euros en fonction du visa demandé (court ou long séjour). Les structures privées VFS Global et TLScontact facturent quant à elles 30 et 40 euros supplémentaires, pour la simple gestion des rendez-vous. Des frais additionnels pour obtenir un rendez-vous premium (salon plus confortable, boissons, accès à un photocopieur…) sont proposés, au tarif de 40 euros. « Ce qui relevait d’un service consulaire répond maintenant à des logiques de marché », s’indigne Nabil. En tout, on estime que la demande de visa peut atteindre plus de 200 euros, soit 20 000 dinars, l’équivalent d’un SMIC algérien. À noter qu’en cas de refus de visa, les frais engagés ne sont en aucun cas remboursés, pas plus d’ailleurs que les frais d’inscription dans les écoles ou les universités.

Si les sanctions ont été effectives, « ni le quai d’Orsay ni la place Beauvau1 n’ont communiqué sur la manière dont elles se sont traduites en pratique » regrette Morade Zouine. Si en novembre 2021 sur Europe 1, dans un argumentaire sécuritaire habituel, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin ciblait les islamistes radicaux et les délinquants visés par des OQTF pour justifier la crise des visas, dans les faits, les restrictions ont pénalisé l’ensemble des ressortissants. « Voilà comment on s’est retrouvé à refuser un visa à des parents algériens qui voulaient être auprès de leur fils en fin de vie en France, et ce malgré les interventions des médecins en soins palliatifs », se rappelle avec émotion Morade Zouine. « On a assisté à des situations jamais vécues auparavant : l’impossibilité d’assister à des enterrements, à des accouchements, à des mariages. Des familles n’ont pas pu se retrouver pendant parfois plus d’un an », ajoute-t-il.

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Victoire Radenne

Journaliste.

Source : Orientxxi.info 

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