Le Japon face aux dilemmes de sa puissance militaire

Le premier ministre Fumio Kishida a commencé à Paris, lundi, une série de rencontres qu’il poursuivra à Rome, Londres, Ottawa et Washington pour présenter à ses alliés la nouvelle doctrine de défense du Japon et préparer le sommet du G7 à Hiroshima en mai.

 Le Monde – Comme chaque année, à la fin décembre, un idéogramme emblématique de l’année écoulée est calligraphié en grande pompe dans l’enceinte du temple de Kiyomizu, à Kyoto, par le supérieur : pour 2022, a été retenu celui d’ikusa (mot ancien signifiant « conflit, guerre »).

Ce choix reflète l’inquiétude latente qui prévaut au Japon à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de l’aggravation de la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis. La tournée diplomatique du premier ministre, Fumio Kishida, qui a commencé à Paris lundi 9 janvier, avant de se poursuivre à Rome, Londres, Ottawa et Washington, s’inscrit dans ce contexte de tensions qui a conduit l’Archipel à adopter, le 16 décembre 2022, une nouvelle doctrine de défense.

 

Cette « stratégie de sécurité nationale » prévoit un renforcement drastique des capacités de défense du Japon. Plafonnées depuis 1976 à 1 % du produit intérieur brut (PIB), seuil symbolique d’une politique uniquement défensive, les dépenses militaires doivent passer à 2 % du PIB en 2027. Au cours des cinq prochaines années, Tokyo consacrera à cet effet une somme de 43 000 milliards de yens (300 milliards d’euros). Le pays, jusqu’à présent une puissance militaire moyenne, entend se doter de capacités de contre-attaque afin de pouvoir frapper des sites représentant une menace potentielle et renforcer la coordination opérationnelle avec son allié américain.

Virage géostratégique

Le Japon avait habitué le monde à une évolution à petit pas de sa doctrine de défense, au fil de réinterprétations de son pacifisme constitutionnel. Cette fois, il a franchi un nouveau seuil, vidant un peu plus de son sens les dispositions de l’article 9 de la Constitution, par lequel il renonce à la guerre. Ce virage géostratégique aurait suscité un tollé dans l’opinion il y a quelques années. Mais en ce moment charnière dans l’histoire du Japon de l’après-guerre, le débat porte sur les moyens de financer cet effort défensif et non pas sur les autres intérêts nationaux de l’Archipel (économiques, diplomatiques), note le journal Nikkei Asia.

Deux formules ont fait mouche dans une société déjà inquiète des démonstrations de force de la Chine autour du Japon. « Ce qui se passe en Ukraine peut se produire en Asie du Nord-Est », a déclaré le premier ministre Kishida, sous-entendant que cette invasion pourrait constituer un précédent encourageant la Chine à attaquer Taïwan. Etant donné la proximité de l’archipel d’Okinawa, où est stationné le gros du contingent américain, le pays serait impliqué dans le conflit. « Si le Japon est attaqué, qui le défendra ? », a renchéri l’ancien vice-premier ministre, Taro Aso, figure de la droite qui, depuis des décennies, mène campagne pour que le Japon redevienne un « pays normal », disposant de tous les attributs de la souveraineté, parmi lesquels une puissance militaire conséquente.

 

L’évolution de la posture défensive de l’Archipel, dont ses alliés, à commencer par les Etats-Unis, se félicitent, va placer Tokyo devant des dilemmes géostratégiques inédits. Bien qu’il ait été entamé au fil des années, le pacifisme constitutionnel a été une protection pour le Japon. Il lui a permis de ne pas être directement impliqué dans les guerres américaines. Base arrière des conflits en Corée et au Vietnam, il n’a pas eu à y déployer des troupes (contrairement à la Corée du Sud). Par la suite, il a été timidement présent dans des zones de conflit (en Irak), dans le cadre de missions humanitaires. A l’avenir, pourra-t-il rester en retrait ? L’article 9 sera-t-il son ultime recours pour ne pas être « otage » de l’alliance renforcée avec les Etats-Unis ?

Courroux de Pyongyang et de Pékin

Pendant plus de soixante-dix ans, ce qu’il est convenu d’appeler la « doctrine Yoshida » (du nom du premier ministre en poste au lendemain de la défaite de 1945, Shigeru Yoshida) a permis au Japon de concentrer ses efforts sur la reconstruction, puis sur l’expansion économique, en laissant aux Etats-Unis la charge d’assurer sa sécurité – moyennant de substantiels dédommagements. De même, Tokyo a pu mener une diplomatie, aussi discrète que conciliante, avec la Chine maoïste. Cette dissociation de l’économie et du politique n’est plus possible en raison de la confrontation croissante entre Pékin et Washington. Et la diplomatie japonaise va devoir faire preuve de doigté dans ses relations avec la Chine et le reste de la région.

« La nouvelle posture du Japon risque d’intensifier les tensions et d’accroître la méfiance mutuelle dans la région » – Atsushi Yoshida, politiste à l’université de Tokyo.

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Source : Le Monde

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