Coupe du monde 2022 : en Argentine, la passion football à son paroxysme

Les supporteurs veulent croire en leur troisième étoile. Leur enthousiasme se cristallise autour de ce qui devrait être le dernier Mondial de Lionel Messi.

Le Monde  – Cela tombe sous le sens. Pendant la demi-finale face à la Croatie, mardi 12 décembre, Catalina, 16 ans, enfilera le maillot officiel de l’Argentine, estampillé « Messi ». « J’étais habillée de cette façon chaque fois qu’on a gagné. Cela porte bonheur ! », assure la lycéenne qui, en cette veille de match à Buenos Aires, endosse déjà l’autre version, violette, de l’Albiceleste.

 

Comme de nombreux Argentins, elle déploie les jours de rencontres une panoplie de rituels afin de pousser l’équipe vers la victoire, emplis d’un sens très personnel : c’est « la cabala » en espagnol, une sorte de « superstition ». « Je suis confiante, je pense que l’on peut gagner ce Mondial », claironne-t-elle, apportant sa voix au chant général depuis des mois : rien n’est donné, mais cette coupe, l’Argentine a toutes ses chances de la soulever.

« On cherche tellement la victoire ! Cette joie serait immense, je veux en être témoin », s’enflamme Martina, 19 ans, qui n’a pas connu l’émotion des deux premières étoiles, en 1978 (pendant la dictature militaire), puis en 1986, au Mexique. « On est tous d’origine différente, l’Argentine c’est comme une grande salade de fruits, et pendant le Mondial je sens qu’elle prend tout son goût, on vit notre fraternité », renchérit Ornella, étudiante de 19 ans, de l’appétit pour la métaphore.

 

C’est que cette édition 2022 a une saveur unique, celle d’une forme de communion entre les supporteurs et leur équipe : il s’agit – sûrement – du dernier Mondial de Leo Messi, 35 ans. La star adulée, rassérénée par la victoire de l’Albiceleste à la Copa America en 2021, comme délestée de la constante comparaison avec la figure tutélaire du foot argentin – Diego Maradona, mort en novembre 2020 –, confortée enfin par l’enthousiasme de trente-six rencontres sans défaite. C’était jusqu’au coup de massue du premier match et la déroute improbable face à l’Arabie saoudite (1-2).

 

« Incapables de faire les choses sans souffrir »

 

« On est incapables de faire les choses sans souffrir, on est comme ça en Argentine », dit dans un sourire Daniel, 51 ans, d’un fatalisme teinté d’affection après l’autre grande frayeur du Mondial, le quart de finale tendu face aux Pays-Bas, remporté aux tirs au but. La voilà donc, cette trinité qui cadence la mythologie argentine, dans le foot et bien au-delà : souffrance, résilience, renaissance.

 

Tee-shirts marqués de l’apostrophe de Lionel Messi à Wout Weghorts, dans une boutique de Buenos Aires.

« Qu’est-ce que tu regardes, guignol ? Tire-toi de là, guignol ! » Cette phrase lancée par Messi au buteur néerlandais Wout Weghorts en pleine interview, à l’issue du quart de finale, loin d’être critiquée en Argentine, a renforcé encore un peu plus la popularité du joueur. Lionel Messi, longtemps taxé d’insensibilité, est apparu passionné, irrévérencieux… nimbé d’une aura maradonienne. « Pourquoi Messi devrait réagir toute sa vie comme un gentleman ? Ne peut-il pas avoir des réactions humaines ? », défend le quotidien Clarin, qui reflète cet amour actuellement inconditionnel.

Cette fougue donne aux victoires des airs de finale, au fil du Mondial. Après le quart de finale, dans la soirée de vendredi, les fans se sont rassemblés sous la pluie, dans différents quartiers de Buenos Aires, pour exulter. En plus des chants habituels – « Chaque jour, je t’aime davantage », « Je suis Argentin », « C’est un sentiment », « Je ne peux pas l’arrêter » –, les supporteurs ont pris l’habitude d’invoquer un magique « Messi, Messi, Messi ». Parmi ce florilège un nouveau morceau est apparu, « Muchachos » (« les garçons », en espagnol), synthèse, en une mélodie, de la confiance retrouvée, de la protection de Diego Maradona, de la centralité de Lionel Messi, de la mémoire des soldats morts pendant la guerre des Malouines (1982).

« Ce Mondial est aussi le premier sans Maradona, il représente une forme de deuil collectif », analyse Juan Branz, sociologue au Conseil national des recherches scientifiques et techniques argentin, tandis que cette passion à son paroxysme s’épanouit sur un terreau particulièrement fertile. La culture foot s’avère historiquement puissante dans ce pays où les terrains jalonnent les quartiers, les gamins sont embarqués au stade ou mis face à un ballon avant même de se tenir debout.

« Les joueurs ressentent notre passion »

« Par ailleurs, le foot, comme carrière, participe au rêve d’ascension sociale », poursuit Juan Branz. Différents joueurs de l’équipe, à l’instar d’Angel Di Maria, sont issus de milieux populaires. Dans ce contexte, il n’a jamais été question ni de boycott ni de débats autour des droits humains au Qatar, tandis que les Argentins mettent de côté, pendant quatre-vingt-dix minutes, leur inflation à presque 90 %.

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Source : Le Monde 

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