Le voile selon le Coran et en Islam

Oumma – Nous ne débattrons pas de la toujours brûlante actualité autour du voile ; en la matière le voile montre plus qu’il ne cache… Quoi qu’il en soit, notre démarche n’est pas en prise avec les évènements, elle s’intéresse à ce que le Coran dit, propos intemporels et universels. Nous envisagerons donc présentement S24.V31, verset principalement impliqué dans la justification de ce que l’on appelle à tort, mais non sans intentions, le ḥijâb.

 

Depuis les années 80, le voile est devenu progressivement un quasi-pilier de l’Islam post-moderne, mouvement de réislamisation qui, dès l’origine, est de nature politique. Voile islamiste donc, et voile islamique par suite. Selon une logique identique, certains pouvoirs séculiers ont compris tout l’intérêt, faute de mieux, qu’ils avaient à agiter ce bout de chiffon dans l’arène politique, ne nous voilons pas la face. Entre ces luttes d’hommes, les femmes sont doublement prises en otages, consentantes ou pas.

De fait, le voile peut être à l’heure actuelle l’expression d’une piété sincère, l’affichage d’un certificat d’islamité, une mode identitaire ou une revendication militante. Pour être complet sur le sujet, nous proposons aux lecteurs deux autres articles prenant en compte les versets qui sont régulièrement cités, à titre complémentaire, quant au prétendu voile de la musulmane dans le Coran : Le voile comme signe distinctif des musulmanes,[i] S33.V59 ; S33.V32-33 ; S33.V53 et Le “voile” de la “femme ménopausée” selon le Coran et en Islam,[ii] S24.V60.

  • Que dit l’Islam

Pour l’Islam, le port du voile est une obligation divine/far, c’est-à-dire dictée par voie de révélation et le segment-clef du verset référent est connu de tous, en voici la traduction standard[iii] :
« Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile/khumur sur leurs poitrines ; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leurs maris, ou leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris… », S24.V31.

Le message est censé être aussi explicite qu’indiscutable : une obligation divine faite aux femmes de se voiler, c’est-à-dire de recouvrir leur chevelure. Cependant, l’on notera dès à présent que selon cette traduction même, pourtant d’obédience wahhabite, il serait seulement ordonné aux femmes à ce « qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines » ! Du reste, c’est ce fait littéral qui a amené ces traducteurs, qui se veulent pourtant littéralistes, à ajouter une note de bas de page destinée à plier la lettre du texte coranique à leurs intentions, nous citons : « Sur leurs poitrines : de même que leurs têtes et leurs cous » ! Le procédé peut sembler grossier, mais nous verrons plus avant l’explication de ce curieux mouvement ascensionnel.

Le sens de ce passage semble donc quelque peu voilé, et ceci explique sans aucun doute qu’en réalité la position de l’Islam sur le voile a varié dans le temps. À titre d’illustration de cette réalité historique, rappelons que le plus ancien traité de Droit musulman, al–muwaṭṭâ’ de l’Imam Malik, décédé vers la fin du IIe siècle de l’Hégire, n’aborde pas la sujet. Ceci, alors même qu’il traite de ce que doit être la pudeur de la femme, et l’on en trouve encore la définition deux siècles plus tard : « la femme lorsqu’elle sort ne doit pas porter de vêtements trop fins qui montreraient ses formes ».
[iv] En ces temps-là, la pudeur musulmane ne passait donc pas par le voile. Est-ce à dire pour autant que les musulmanes ne portaient pas le voile ou autres tenues plus ou moins intégrales ? Sans doute pas, bien que cela ne dût relever que d’habitudes vestimentaires empruntées plus aux coutumes des juifs et des chrétiens qu’à celle des Arabes. Est-ce à dire que ces premiers doctes érudits et ces premières générations de musulmans ignoraient la prescription coranique ; ou bien comprenait-il ledit verset autrement ?

  • Que dit le Coran

Puisque nous avons entraperçu la difficulté soulevée par l’interprétation type de S24.V31, c’est-à-dire le point de vue de l’Exégèse classique ou islamiste, voici une première approche littérale de ce verset référent :

« [Ô Muhammad !] Dis aux croyantes qu’elles réfrènent certains regards/abṣâr et qu’elles soient chastes. Qu’elles ne montrent de leur beauté/zîna que ce qui peut en paraître et qu’elles couvrent de leurs étoffes/khumur leurs décolletés/juyûb. Qu’elles ne montrent de leur beauté/zîna qu’à leurs maris, leurs parents, leurs beaux-parents, leurs enfants, leurs beaux-enfants, leurs frères, les enfants de leurs frères et ceux de leurs sœurs, aux femmes, à leurs esclaves, aux domestiques mâles demeurés et aux jeunes enfants qui ne s’intéressent pas à la nudité des femmes. Enfin, qu’elles ne tapent pas de leurs pieds afin d’attirer l’attention sur ce qui est caché de leurs parures/zîna… Revenez à Dieu, tous, ô croyants ; puissiez-vous être bienheureux ! »[v]

Du fait des enjeux autour des mots-clefs que nous avons transcrits : abṣâr, zîna, khumur, juyûb, l’Analyse littérale[vi] de ce verset reposera essentiellement sur l’Analyse lexicale[vii] et l’Analyse sémantique.[viii] Néanmoins, l’Analyse contextuelle[ix] soulignera que notre verset est inscrit dans une sourate entièrement centrée sur les rapports moraux, que ce soit dans la société, le couple et la famille.[x] Notre v31 comporte donc six recommandations adressées aux musulmans et aux musulmanes au nom de leur foi en Dieu. L’ensemble de ces conseils constitue un cadre moral cohérent en dehors duquel la “question du voile” ne peut donc se comprendre.

Nous disons “recommandations”, car le seul ordre en ce verset est donné au Prophète : « [Ô Muhammad !] Dis/qul », ordre de transmettre ce verset et non pas ordre adressé aux musulmanes. D’emblée, nous noterons que cette absence de marqueurs traduisant l’ordre ou la prescription impérative s’oppose à l’Islam qui affirme ici une obligation divine/far. L’idée de recommandation est donc ce qui est le plus cohérent et juste puisque le propos de ce verset relève de la prise de conscience morale qui, s’il elle devait être imposée, impliquerait en certains cas l’hypocrisie. Or, tel ne peut être l’objectif du Coran qui, toujours, cherche à amener les croyants à adopter volontairement et sincèrement son message, ceci au nom de leur foi comme l’indique la conclusion du verset : « revenez à Dieu, tous, ô croyants ; puissiez-vous être bienheureux ! »

1– La première recommandation est formulée par la traduction standard comme suit : « dis aux croyantes de baisser leurs regards ». Le verbe ghaḍḍa/yaghḍuḍna signifie au sens propre et figuré, amoindrir, retenir, descendre. Lorsqu’il s’agit de regarder vers le sol, comme dans l’expression ghaḍḍ al–baṣar, cela se traduit par baisser le regard. Mais, en ce segment, le mot regard/baṣar est au pluriel : abṣâr et de plus déterminé par l’article partitif « min/de/certains » : min abṣâri-hinna, c’est-à-dire littéralement de leurs regards à elles. La suite demandant de maîtriser sa sexualité : « et qu’elles soient chastes », l’on en déduit que ces « regards » particuliers concernent ce domaine : regards impudiques, regards de désir, regards aguicheurs, regards concupiscents, etc.

En ce cas, bien plus que de baisser simplement les yeux, il est demandé de dominer les intentions qui président à ces regards-là, d’où notre : « qu’elles réfrènent certains regards », travail moral sur soi qui a aussi été préalablement demandé aux hommes au v30 : « Dis aux croyants qu’ils réfrènent certains regards ». La traduction standard ne restitue donc pas le texte coranique, mais un point de vue du Droit islamique. En effet, ce dernier a consacré de longs développements quant au fait de baisser le regard quand un homme est en face d’une femme, et réciproquement. Ces chapitres ont pour intitulé : ghaḍḍ al–baṣar/baisser le regard, alors que selon le Coran, nous l’avons vu, le sujet est ghaḍḍ min al–abṣâr/baisser certains regards.

Le glissement de sens est patent, l’on est ainsi passé de la notion coranique de maîtrise des intentions, de purification de l’âme et de comportements corrects en société, à celle d’une pratique juridiquement normée dénuée de sens et, surtout, de vertu éducative. Cette carence pouvant parfois aboutir à la conception d’un monde où les hommes et les femmes n’auraient même plus à se croiser. Or, au contraire, à bien la considérer, la recommandation coranique va dans le sens de la mixité.

2– La deuxième recommandation est claire : « et qu’elles soient chastes ». Notre traduction a évité de rendre littéralement la locution arabe qui signifie mot à mot : qu’elles maîtrisent leurs parties intimes/yaḥfaẓna furûja-hunna. Il faut ici souligner qu’au v30 il a d’abord été adressé le même message aux hommes : « [Ô Muhammad !] Dis aux croyants qu’ils réfrènent certains regards et qu’ils soient chastes ».

Cette symétrie est remarquable, elle place la sexualité des femmes et des hommes sur le même niveau. Ceci s’oppose frontalement aux conceptions de l’Islam qui ne voit la tentation que du côté de la femme et fait de l’homme la quasi victime de la femme éternelle tentatrice, mais jamais le coupable de ses propres comportements et débordements. Le Coran reconnaît aux hommes comme aux femmes la même responsabilité et appelle de ce fait les uns et les autres à maîtriser leur sexualité. Ceci suppose encore une fois que la mixité soit la base des rapports en société.

3– La troisième recommandation concerne seulement les femmes : « qu’elles ne montrent de leur beauté/zîna que ce qui peut en paraître ». C’est ce segment, en arabe de formulation euphémistique, qui a été l’enjeu majeur pour les exégètes. De fait, fidèle à ces intentions exégétiques, la traduction standard propose un : « ne montrer de leurs atours/zîna que ce qui en paraît ». En soi, l’on notera que cette formulation est un pléonasme dénué de sens puisque par définition ce qui paraît est ce que l’on montre !

Pour autant, les commentateurs ont affirmé à partir de leur propre compréhension que la femme ne peut montrer que ses habits, c’est-à-dire être entièrement dissimulée. D’autres ont opté pour le fait de ne lui laisser voir que les yeux, voire un seul, et les plus libéraux ont toléré qu’elle puisse laisser paraître son visage et ses mains.[xi] Cependant, à suivre ces propos, il n’y a aucune logique à indiquer dans un premier temps la limite maximale de ce qui doit être dissimulé puis de préciser immédiatement qu’il y aurait encore autre chose à ne pas montrer : « qu’elles rabattent leur voile/khumur sur leurs poitrines » ! Autrement dit, pour que l’interprétation classique de ce segment soit juste, il aurait fallu que l’ordre des propositions soit inverse : « qu’elles couvrent de leurs voiles leurs décolletés et qu’elles ne montrent que ce qui peut paraître ». [xii]

Du point de vue lexical et sémantique, le premier verbe de ce segment est la forme IV abdâ/yubdîna qui signifie montrer, rendre apparent, manifester, dévoiler, mais aussi dépasser la mesure, aller au-delà de ce qui est bon, et le mot zîna connaît deux lignes de sens : beauté extérieure ou intérieure d’une chose ou ornements, atours, parures, etc. Le deuxième verbe est ẓahara qui signifie dans le contexte : paraître, apparaître, mettre en avant.

En dehors de la surinterprétation manifeste défendue par l’Exégèse, et si l’on tient compte du contexte d’expression : pudeur et chasteté, une seule solution de sens s’impose ainsi exprimée par notre traduction littérale mot à mot : « qu’elles ne montrent de leur beauté que ce qui peut en paraître ». Ce segment euphémistique se comprend donc comme suit : « qu’elles ne montrent/lâ yubdîna [pas exagérément] leur beauté/zîna [si ce n’est dans les limites de] ce qui peut en paraître/mâ ẓahara min-hâ [raisonnablement, c.-à-d. sans exhibition ou provocation, en fonction de la pudeur et de la correction nécessaire à la maîtrise des passions tant de la part des femmes que des hommes, mesure s’inscrivant dans le cadre comportemental demandé : pudeur, retenue, maîtrise de sa sexualité.] »

4– La quatrième recommandation est elle aussi spécifique aux femmes : « et qu’elles couvrent de leurs étoffes/khumur leurs décolletés/juyûb ». Nous venons de voir que c’est le segment précédent qui a été le plus exploité par les premiers exégètes mais, à l’heure actuelle, le jeu des traductions et la modification des normes coutumières en usage font que l’enjeu exégétique s’est déplacé sur ce segment pour lequel il a semblé plus facile d’imposer au texte le voile, la traduction standard confirme cette volonté exégétique : « et qu’elles rabattent leur voile/khumur ».

Le verbe mis en jeu est ḍaraba/yaḍribna, verbe très polysémique, mais qui présentement peut signifier rabattre, abattre, couvrir de, recouvrir de. Le terme juyûb de jâba/fendre, évoque étymologiquement l’échancrure de la poitrine, la naissance des seins, c’est ce sens restreint que prend le terme « décolleté » en notre traduction, et nous allons comprendre pourquoi de nombreuses traductions le rendent improprement par « poitrines ».

Le terme-clef khumur, pluriel de khimâr, est donc à présent l’enjeu principal de l’interprétation de ce verset, terme qui du reste n’apparaît qu’a cette occasion dans le Coran. Problème : la signification de ce mot a varié au fil du temps et des opinions des exégètes et juristes et, encore de nos jours, il désigne plusieurs types de voiles dont la longueur et la forme varient en fonction du rigorisme des interprètes et des marchands de tissus. Rappelons donc pour éclaircir le sujet, que ce terme dérive de la racine khamara : couvrir, envelopper, cacher, et désigne donc étymologiquement tout ce qui sert à cacher et dérober aux regards.

C’est encore la définition que lui donne al Isfâhânî au Ve siècle de l’Hégire en son célèbre dictionnaire des termes rares du Coran tout en ajoutant que l’usage, postérieur au Coran, lui a donné le sens de ce qui couvre la tête des femmes. Nous avons vu précédemment que cet usage n’était pas connu par l’Imam Malik vers la fin du IIe siècle, ce qui confirme l’opinion de al Isfâhânî.

Entre ces deux périodes, Tabari, IIIe et IVe siècles, cite plusieurs avis confirmant que le terme khimâr vaut pour tout ce qui couvre le corps. Cependant, Tabari témoigne aussi de l’opinion des exégètes qui à cette époque souhaitaient que les femmes couvrent leur chevelure, pour eux le khimâr est alors ce qui couvre la tête des femmes. Pour donner vie à cette affirmation à contre-sens lexical, de nombreux auteurs ont affirmé qu’antérieurement au Coran les femmes arabes portaient sur la tête une pièce de tissu nommé khimâr dont elles laissaient pendre les deux bouts derrière elles. Le Coran aurait alors ordonné qu’elles rabattent ces deux pans sur « leurs poitrines » car, ajoutent-ils, en ces temps-là les femmes allaient fréquemment seins nus, mais ils n’ont là pas d’autres preuves que leur propre propos. Comment donc imaginer que les femmes Arabes se couvraient les cheveux mais pas la poitrine !

Quoi qu’il en soit de cette invraisemblance, et si tel avait été le cas, le Coran aurait alors ordonné à ces femmes qu’elles couvrent leur poitrine et, au contraire, s’il n’est fait mention que du « décolleté », c’est donc bien qu’elles cachaient déjà leurs seins ! En outre, l’on sait de source historique sûre que seules les esclaves ne se couvraient pas les seins, les femmes de Médine étaient-elles toutes esclaves ! Plus, ce khimâr tel qu’il est décrit par l’Exégèse n’avait pas pour fonction de recouvrir la chevelure, mais en constituait plutôt un ornement, comme une traîne, il aurait donc fallu en ce cas que le Coran précisât que les femmes devaient aussi l’utiliser pour recouvrir leurs cheveux, et ce n’est pas le cas. Si donc le Coran avait souhaité que la chevelure féminine soit dissimulée, il aurait quand même fallu qu’il l’indique clairement et non en employant un terme qui ne parvient à cacher les cheveux qu’aux prix d’une interprétation plus ou moins tirée par les cheveux, oserions-nous dire. Toute prescription doit nécessairement être explicite et non ambiguë et, affirmer que le Coran parle de cacher le « décolleté » pour que les cheveux le soient relève pour le moins d’une manipulation magico-exégétique !

Ceci étant précisé, l’on note qu’il est dit « leurs khumur/khumuri-hinna », ce qui laisse supposer qu’il s’agissait là d’un vêtement ou d’un accessoire vestimentaire connu que les femmes portaient soit régulièrement soit occasionnellement.  Malgré tout, cela n’indique pas en soi la nature exacte dudit vêtement et nous avons vu que nous ne pouvions valider les différents avis ayant tenté de le particulariser. Néanmoins, cet état de fait est conforme aux perspectives intemporelles et universelles du Coran, lesquelles ne peuvent être tributaires des modes vestimentaires. Nous pouvons en déduire que par khimâr il nous faut comprendre seulement la fonction que le Coran lui confère : tout ce qui peut être utile à cacher le décolleté, définition étymologique correspondant bien à l’objectif textuellement déclaré.

Ceci explique que nous ayons rendu le pluriel khumur par « étoffes », ce terme ne présumant pas de la nature du vêtement en question, mais indiquant que la recommandation : « et qu’elles couvrent de leurs étoffes/khumur leurs décolletés/juyûb » peut être atteint par le moyen leur semblant le plus apte. Bien que cela ne soit pas méthodologiquement nécessaire, nous citerons plus avant un hadîth confirmant explicitement que khumur signifiait simplement « étoffes » dont on se couvre à l’époque du Coran. Nous soulignerons donc à présent que toutes les traductions faisant mention pour le pluriel khumur de voiles ou grands voiles ne sont que des erreurs volontaires destinées à infléchir le sens du Coran en fonction des volontés exégétiques en jeu.

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Source : Oumma (Le 06 octobre 2022)

 

 

 

 

 

 

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