Vingt-trois ans après sa naissance, l’euro peine toujours à rivaliser avec le dollar

La monnaie unique européenne est, de loin, la deuxième la plus utilisée au monde. Mais elle ne représentait en 2021 qu’environ 20 % des réserves des banques centrales mondiales, contre 60 % pour la devise américaine.

Le Monde  – Un peu plus de vingt-trois ans après sa création, et vingt ans après l’introduction des billets et des pièces, l’euro est, de loin, la deuxième monnaie la plus utilisée au monde. Mais il n’est pas près de concurrencer sérieusement le dollar, tant s’en faut. Ce demi-succès – ou semi-échec, suivant le point de vue adopté – se constate à tous les niveaux.

En 2021, la monnaie unique européenne représentait environ 20 % des réserves des banques centrales mondiales, contre 60 % pour le dollar, selon le bilan annuel de la Banque centrale européenne (BCE). Soit quatre fois plus que le yen, troisième devise mondiale, mais trois fois moins que le billet vert.

 

Pour les obligations internationales et les prêts internationaux, on retrouve environ le même ratio entre l’euro et le dollar, le premier étant trois fois moins utilisé. Le seul domaine où l’égalité est proche concerne les paiements transfrontaliers, pour le commerce mondial : l’euro tourne autour de 38 %, le dollar, à 42 %. La glissade de 12 % du premier face au second depuis le début de 2022 – autour de la parité depuis le 22 août, au plus bas depuis 2002 – symbolise ce résultat mitigé.

Les projections les plus enthousiastes des années 1990 paraissent à des années-lumière. En 1995, les économistes américains Jeffrey Frankel et Menzie Chinn affirmaient que le billet vert serait détrôné par l’euro dans les deux décennies suivantes, à condition que le Royaume-Uni décide de le rejoindre ou que le dollar poursuive sa chute. En 2008, ils ont réitéré leurs prévisions : « Même avec le Royaume-Uni hors [de la zone euro] (…), nous pensons que l’euro peut dépasser le dollar dès 2015. »

 

Le dollar, « actif sûr » de référence

 

Eux montraient du doigt les faiblesses bien connues du dollar. Depuis des décennies, les Etats-Unis souffrent de « déficits jumeaux » : celui du budget de l’Etat et celui de la balance des comptes courants. Ils sont donc extrêmement dépendants du reste du monde pour se financer. Dans le même temps, ils utilisent l’arme du dollar de plus en plus souvent. Quand les talibans ont pris le pouvoir à Kaboul, à l’été 2021, Washington a gelé les réserves de la Banque centrale afghane. Ils ont fait de même avec la Russie lors de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février.

En mars 2020, alors que les confinements en Europe provoquaient une panique sur les marchés, les investisseurs se sont rués sur le billet vert

 

Conscients du danger, des pays comme la Russie tentent de s’éloigner de la zone dollar depuis plusieurs années. En 2017, la Banque centrale russe avait près de 50 % de ses réserves en dollars. Au moment de l’invasion, c’était environ 16 %. Pourtant, à chaque crise financière, la domination du dollar réapparaît.

En mars 2020, alors que les confinements en Europe provoquaient une panique sur les marchés, les investisseurs se sont rués sur le billet vert. Dans l’incertitude la plus complète, ils sont tournés instinctivement vers l’« actif sûr » de référence. Il a fallu une intervention de la Réserve fédérale américaine, qui a ouvert une ligne illimitée de dollars aux autres banques centrales, dont la BCE, pour mettre un terme à l’assèchement de billets verts.

 

Pourquoi cette soif de dollars, alors que les Etats-Unis n’hésitent jamais à utiliser « le privilège exorbitant de jouer au banquier du monde », selon les mots de MM. Frankel et Chinn ? La réponse tient en une autre question : s’éloigner du dollar, mais pour aller où ? L’euro a lui-même essuyé une crise très grave entre 2010 et 2015. Au cours de cette période, les investisseurs ont craint que la monnaie unique finisse par imploser, plusieurs pays étant sur le point d’en sortir. Son usage international a fortement chuté, d’un maximum frôlant 25 % en 2007 à 19 %, un niveau stabilisé depuis 2018.

 

Problème structurel

 

Par ailleurs, les Européens ont gelé les réserves en euros de la Banque centrale russe au début de la guerre. « Pour paraphraser le concept du “piège à dollar” développé par [l’économiste] Eswar Prasad, la Russie et la Chine se retrouvent dans un piège à euro-dollars », écrivait en mars Adam Tooze, économiste et historien à l’université Columbia, aux Etats-Unis. « Quelle est l’autre option pour la Chine ? », ajoutait-il.

A ce danger des sanctions venant de l’euro s’ajoute un problème structurel. Si la monnaie unique s’est profondément réformée, et qu’un éclatement est désormais improbable, il lui manque un actif sûr facile à acheter. Pour le dollar, les investisseurs achètent de la dette américaine, qui est l’un des marchés les plus liquides au monde. Mais en zone euro, quelle dette doivent-ils acheter ? Celle de l’Allemagne, de la France, de l’Italie ou de la Grèce ? L’euro est une seule monnaie, mais elle englobe dix-neuf pays différents.

 

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Source : Le Monde

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