Liz Truss, une libérale convaincue, future première ministre du Royaume-Uni

Après avoir mené une campagne à droite toute, la ministre des affaires étrangères a été élue par les adhérents à la tête du Parti conservateur, ouvrant la voie à sa désignation comme première ministre.

 Le Monde – De paisibles contre-allées, des rangées de villas de pierre blonde du Yorkshire, un vaste établissement scolaire caché dans la verdure, quelques pubs proprets… Au nord de Leeds, le quartier de Roundhay contraste agréablement avec le reste de cette métropole du Nord Est de l’Angleterre, ancienne capitale du textile devenue centre commercial et universitaire actif, mais sans charme.

 

C’est dans cette enclave bourgeoise que la ministre des affaires étrangères, Mary Elizabeth Truss, 47 ans, la nouvelle première ministre britannique, élue par les adhérents à la tête du Parti conservateur, lundi 5 septembre – elle sera nommée à Downing Street par la reine Elizabeth II, mardi –, a passé son adolescence. Elève studieuse, la troisième femme – et troisième conservatrice – à ce poste, après Margaret Thatcher et Theresa May, a fréquenté la Roundhay School, un établissement public de bonne réputation, avant de décrocher une place à l’université d’Oxford, option PPE (politique, philosophie, économie), la voie royale pour fréquenter les allées du pouvoir.

 

En juillet, au début de la primaire du Parti conservateur provoquée par la chute de Boris Johnson, poussé vers la sortie par ses propres députés, à la suite du « partygate », Liz Truss a raconté qu’elle avait été éduquée « au cœur du mur rouge » (le nord de l’Angleterre, réputé pour ses zones paupérisées) et qu’elle y avait croisé des élèves « que [son] école a laissés tomber ». Ces propos sont mal passés, les médias locaux rapportant les réactions outrées de riverains affirmant que leur quartier n’avait rien de défavorisé.

Campagne à droite toute

De passage à Leeds, le 28 juillet, pour participer au premier débat public l’opposant à l’ex-chancelier de l’échiquier, Rishi Sunak, Liz Truss a convoqué de nouveau ces souvenirs contestés. Une manière pour cette responsable politique, carré blond et peau ivoire, adepte des power dresses et des très hauts talons, de peaufiner une image de provinciale « antiestablishement » ; une vraie « Yorkshire girl », comme elle aime à le souligner, qui tiendrait de cette région « une grande détermination et l’habitude de parler vrai ». « C’est ce dont nous avons besoin à Downing Street en ces temps de crise, de quelqu’un d’audacieux, qui refuse le statu quo », a-t-elle ajouté, à Leeds.

 

Liz Truss s’est pourtant installée à Greenwich il y a des années, un quartier privilégié du sud-est de Londres. Elle est issue d’une famille de la petite bourgeoisie : son père, John, un professeur de mathématiques à l’université, et sa mère, Priscilla, une infirmière militante de gauche, se sont connus sur les bancs de la prestigieuse université de Cambridge. Mais ses petites entorses à la réalité ne lui ont pas porté préjudice auprès des membres du Parti conservateur, qui ont eu à choisir entre elle et M. Sunak.

Et pour cause, Liz Truss a mené une campagne à droite toute, en calibrant ses propositions pour cet électorat vieillissant et réactionnaire : des baisses d’impôts massives, chiffrées à 30 milliards de livres sterling (34,7 milliards d’euros), la reprise des explorations pétrolières en mer du Nord ou la fin de la limitation de vitesse sur les autoroutes. Elle a aussi pesté contre les fonctionnaires, les grévistes, les panneaux solaires, les « woke » et répété « qu’une femme trans n’est pas une femme ».

 

Moins drôle, mais bien plus travailleuse que Boris Johnson, elle a usé des mêmes ficelles populistes que son prédécesseur, parvenant à se faire passer pour son héritière auprès de membres des tories encore adeptes de l’ancien premier ministre. Tandis que Rishi Sunak, son concurrent malheureux, n’a pas réussi à contrer la rumeur (alimentée par des proches de M. Johnson) selon laquelle il avait comploté pour le faire chuter.

Vocation politique précoce

Au-delà de son faible charisme et de ses manières un peu empruntées, Liz Truss est une politique rouée, singulièrement confiante en elle, déterminée et résiliente, purement opportuniste diront ses opposants, mais qui a indéniablement maîtrisé sa marche vers le pouvoir. Même si son ambition ne faisait guère de doutes, elle a longtemps été sous-estimée : contrairement à Boris Johnson, l’enfant terrible de la politique britannique, considéré comme un prime minister in waiting (un futur dirigeant) dès le début des années 2000, peu croyaient aux chances de cette dernière. Les journaux moquaient sa recherche perpétuelle de l’attention médiatique, sa manière d’imiter Margaret Thatcher, son idole revendiquée : ces derniers mois, elle s’est fait prendre en photo portant une chapka sur la place Rouge, à Moscou, ou émergeant de la tourelle d’un char, tout comme la Dame de fer, quarante ans plus tôt.

Sa vocation politique est précoce. Dès son entrée dans la vie active, au milieu des années 1990, alors économiste pour le pétrolier Shell, Liz Truss s’inscrit à l’antenne locale des tories. Elle s’y prend à deux fois pour entrer au conseil municipal de Greenwich et tente en vain la députation dans des circonscriptions tenues par le Labour. Elle est vite repérée par David Cameron, le chef de file des conservateurs depuis 2005, qui cherche à promouvoir plus de femmes et de représentants des minorités dans le parti. Aux élections générales de 2010, elle est élue dans une circonscription historiquement conservatrice du Norfolk (est de l’Angleterre) et entre à Westminster.

Deux ans plus tard, cette hyperactive multipliant les prises de parole à la Chambre des communes entre au gouvernement, au poste de sous-secrétaire d’Etat à l’éducation. Elle ne le quittera plus, survivant aux cabinets Cameron, May et Johnson, et occupant successivement les maroquins de l’environnement, de la justice, du trésor, du commerce et des affaires étrangères. Ces expériences sont émaillées de faux pas : elle coupe dans le budget de l’agence nationale de l’environnement, limitant sa capacité à contrôler l’activité des compagnies privées de traitement des eaux – une des raisons pour lesquelles les plages et les rivières du Royaume-Uni sont aujourd’hui parmi les plus polluées d’Europe. A la justice, en 2016, elle est critiquée pour n’avoir pas soutenu les juges attaqués par le Daily Mail (qui les qualifie d’« ennemis du peuple ») lors des virulents débats sur le Brexit.

Postures nationalistes et sans nuances

Elle tire en revanche pleinement parti de son passage au ministère du commerce (2019-2021), multipliant les accords de libre-échange, même s’il s’agit pour la plupart de copier-coller d’accords antérieurs, dont bénéficiait le Royaume-Uni dans le cadre de son appartenance à l’Union européenne (UE). Aux affaires étrangères, à partir de l’automne 2021, elle se taille une stature internationale en soutenant inconditionnellement Kiev, dès le déclenchement de l’agression russe de l’Ukraine. Elle porte aussi la loi très controversée visant à dénoncer le protocole nord-irlandais, partie cruciale du traité du Brexit, considérée comme une violation des engagements internationaux du pays par Bruxelles.

 

Grâce à ces postures nationalistes et sans nuances, elle réussit le tour de force de passer pour la plus convaincue des brexiters, alors qu’elle fut en faveur du maintien du pays dans l’UE, lors du référendum de 2016. « Je ne veux pas que mes filles grandissent dans un pays où elles ont besoin de visas pour aller travailler en Europe », disait-elle alors. « J’avais tort », répond-elle désormais quand les médias l’interrogent sur ce changement de pied, indispensable pour préserver son ascension dans un parti devenu celui du Brexit.

Cette conversion n’est pas la première opérée par la ministre : à l’adolescence, Liz Truss a commencé par militer chez les libéraux démocrates (lib-dems). Enfant, elle défilait au côté de sa mère contre le programme atomique britannique, scandant « Maggie, Maggie, Maggie, out, out, out ! » (« Margaret Thatcher, dehors ! »).

Liz Truss n’est pas pour autant dénuée de convictions : elle est une partisane convaincue du marché libre et des libertés individuelles. A Oxford déjà, elle était membre du Reform Club, une organisation promouvant les bénéfices du marché unique. A chacun de ses postes ministériels, elle a tenté d’appliquer les recettes de l’ère Reagan-Thatcher : dérégulations, coupes dans les dépenses publiques. Elle a appelé sa deuxième fille Liberty.

Faible légitimité

Conservera-t-elle les papiers peints hors de prix choisis par le couple Johnson pour l’appartement de fonction de Downing Street, source d’un énième scandale ? « Je n’aurai pas le temps de me préoccuper de la décoration », a assuré Mme Truss, lors du dernier débat de la primaire, à Wembley, fin août. Il devrait y avoir moins de soap operas au cœur du pouvoir durant son mandat : elle est une personne discrète et protège sa vie privée. Tout au plus sait-on qu’à la fin des années 2000 la révélation de sa brève liaison extraconjugale avec un député tory a failli lui coûter ses ambitions politiques. Son couple a tenu : elle est toujours mariée à Hugh O’Leary, un comptable de profession, invisible dans les médias. Plus récemment, elle a confié que son aînée, Frances, 16 ans, donnait un coup de main à son équipe de campagne. Liberty était aussi présente au débat de Leeds, arborant un tee-shirt « Liz for leader ».

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Source : Le Monde

 
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