D’où viennent les résultats de l’élection présidentielle diffusés dans la journée par des médias étrangers ?

Le Monde – Pour le second tour, ce n’est qu’à partir de 20 heures que l’on aura les premières estimations. A ce moment, les bureaux de vote des grandes villes auront tout juste fermé. Ce n’est que bien plus tard que le décompte à la voix près sera connu.

Lors d’une élection, en France, aucun résultat, même partiel, ni aucune estimation ou sondage ne peuvent être diffusés avant la fermeture du dernier bureau de vote. Pour le second tour de l’élection présidentielle, dimanche 24 avril, ce n’est qu’à partir de 20 heures que l’on aura une idée de l’issue de l’élection. Une idée seulement, car à ce moment précis, les bureaux de vote des grandes villes auront tout juste fermé. Ce n’est que bien plus tard que le décompte à la voix près sera connu.

 

L’interdiction de diffuser des résultats avant 20 heures est plutôt bien respectée en France – où les contrevenants risquent une amende de 75 000 euros – mais elle ne s’applique pas à la presse étrangère, qui ne se gêne pas pour publier des « premières tendances » dans la journée.

Avant 20 heures : attention aux « premières tendances » données par la presse étrangère

Les médias étrangers ne sont pas soumis à la loi française et peuvent diffuser à leur guise tous les résultats qu’ils veulent, dans l’espoir, notamment, de glaner un peu de trafic venu de Français impatient de savoir qui les gouvernera. Des sites belges, suisses ou britanniques diffusent ainsi des « résultats » avant l’heure, relayés sur les réseaux sociaux sous le mot-dièse #RadioLondres.

Contacté par Le Monde, Dorian De Meeûs, rédacteur en chef de La Libre Belgique, explique que le quotidien « travaille en collaboration avec différentes sources, au moins quatre, à différents niveaux, que ce soit auprès d’instituts, d’équipes de campagne ou d’autres médias français qui lui partagent les enquêtes d’opinion et sondages. On connaît toujours la source des sondages, auprès de combien de personnes ils ont été réalisés et de quelle manière. A partir de 19 heures, on a des estimations sur la base de dépouillements. On n’invente rien. » A 17 h 39, le 10 avril, La Libre, sans citer ses sources pour ne pas les compromettre, donnait Emmanuel Macron et Marine Le Pen à égalité à 24 % des suffrages (alors que le premier a finalement dépassé la seconde de plus de 4,5 points).

Jean-François Doridot, directeur général d’Ipsos Public Affairs France, rappelle qu’« il n’y a plus de vrais sondages de sortie des urnes, pour des questions financières. Ce type d’opération présente un coût exorbitant pour un résultat qualitativement moindre par rapport aux estimations produites par tous les instituts de sondage pour 20 heures. »

 

En revanche, d’autres instituts réalisent des sondages le jour du vote, pour fournir des informations sur les profils sociologiques des votants, avec les estimations de 20 heures. « Ces sondages donnent un résultat au cours de la journée et peuvent parfois fuiter, mais, d’une part, ils ne sont pas rendus publics par les instituts et, d’autre part, s’il s’agit de sondages, ils doivent être lus avec les mêmes précautions que les sondages publiés quelques jours auparavant. »

Bureau de vote lors du premier tour de l’élection présidentielle, au palais de la Bourse, à Marseille, le 10 avril 2022.

Bureau de vote lors du premier tour de l’élection présidentielle, au palais de la Bourse, à Marseille, le 10 avril 2022.

Jean-François Doridot ajoute que « la plupart du temps, les informations qui circulent au cours de la journée ne correspondent pas à celles dont disposent les instituts ». Au premier tour, les estimations calculées à partir des premiers dépouillements et diffusées par les médias étrangers se sont révélées trop précoces puisque, à 19 h 30, elles donnaient Marine Le Pen légèrement en tête devant Emmanuel Macron (24 % à 25 % contre 23 % à 24 %). Certains médias ont utilisé le conditionnel et précisé que « ces projections seront certainement inversées par les dépouillements dans les grandes villes, qui devraient être davantage favorables à Macron ».

A 20 heures, des estimations fiables

Comment peut-on alors avoir le résultat d’une élection à l’instant précis où le dernier bureau ferme ? Il s’agit en fait d’une estimation réalisée à partir des résultats de bureaux soigneusement choisis par les instituts, qui ont analysé les précédents scrutins. Ils constituent ainsi un échantillon représentatif du vote des Français. Les particularités géographiques (communes rurales, petites ou grandes villes…) et politiques (bureaux à gauche ou à droite, renversement ou consolidation des tendances observées au précédent scrutin…) sont prises en compte pour construire un modèle statistique qui produira une estimation à partir des résultats.

Frédéric Dabi, directeur général du pôle « Opinion » à l’IFOP, qui utilise cette méthode depuis 1965 avec 300 bureaux, rappelle que « ces estimations données à 20 heures ne sont en aucun cas des sondages, mais des estimations de résultats qui se basent sur un échantillon de bureaux de vote » où le dépouillement a commencé depuis 19 heures.

Ipsos, qui produit l’estimation Ipsos-Sopra Steria pour divers médias, utilise les mêmes méthodes. Chaque enquêteur situé dans l’un des 500 bureaux de l’échantillon assiste au dépouillement et transmet :

  1. à la fermeture du bureau, l’information du nombre de votants, pour estimer l’abstention ;
  2. au bout des deux cents premiers bulletins dépouillés, un résultat partiel avec les scores obtenus pour chaque candidat ;
  3. à la fin du dépouillement du bureau de vote, l’ensemble des résultats.

L’institut centralise toutes ces remontées et calcule l’estimation du résultat final. Il ne s’agit donc pas d’un simple comptage : dans le cas d’Ipsos, 80 % des bureaux de l’échantillon ferment à 19 heures et 20 % à 20 heures. Sachant qu’il faut entre une heure et une heure et quart pour dépouiller l’intégralité des bulletins d’un bureau, les instituts ne disposent à 20 heures ni des résultats partiels des bureaux qui viennent de fermer, ni même des résultats complets de ceux de 19 heures.

 

Pour produire une estimation, il leur faut projeter les remontées des bureaux de vote grâce à des algorithmes qui tiennent compte des élections précédentes. Ensuite, à chaque fois que les informations partielles puis définitives s’ajoutent, les algorithmes affinent les estimations.

Ce système repose sur la particularité française des horaires de fermeture différents. « Si tous les bureaux de vote fermaient à 20 heures, aucun institut ne serait en mesure de donner une estimation avant 20 h 50 ou 21 heures », complète Jean-François Doridot. Il comporte toutefois une faiblesse : « Dans les bureaux qui ferment à 20 heures, le système projette que les évolutions vont être similaires à l’ensemble des bureaux pour lesquels vous avez déjà des données. Or ce n’était pas le cas au premier tour en 2022, ce qui explique pourquoi les estimations, qui sont d’habitude proches du résultat à moins d’un point, ont placé Jean-Luc Mélenchon autour de 20 % à 20 heures, et qu’il a fallu attendre que les bureaux des grandes métropoles fournissent des résultats partiels pour que l’estimation remonte progressivement à 22 %. »

A l’IFOP, la première estimation était prête aux alentours de 19 h 35, consolidée à 19 h 45 et donnée à l’antenne à 20 heures. « La plupart du temps, elles sont extrêmement précises ; par exemple en 2002, malgré l’écart ténu entre Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen (194 000 voix, soit trois voix par bureaux de vote), aucune estimation de l’époque n’a donné Lionel Jospin deuxième ou à égalité », se souvient Frédéric Dabi.

Que se passe-t-il en cas de trop faible écart entre les deux finalistes ? « C’est notre responsabilité, mais on travaille avec des médias avec lesquels on est d’accord au préalable sur le fait de rester prudent et de donner une égalité en cas d’incertitude plutôt que d’inverser l’ordre en cours de soirée », assure Jean-François Doridot.

 

Lors du premier tour de 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen avaient été annoncés en tête à 20 heures avec certitude, mais l’écart entre les suivants, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, estimé par l’Ipsos entre 0,2 et 0,4 point, était trop faible. Ils ont donc été donnés à égalité à 19,5 % à 20 heures avant d’être départagés autour de 20 h 40. Cela correspondait aux résultats définitifs : François Fillon a obtenu 20,01 % des suffrages contre 19,58 % pour Jean-Luc Mélenchon.

Depuis la première élection présidentielle au suffrage universel en 1965, l’ordre d’arrivée des premiers candidats estimé par les instituts de sondages à 20 heures n’a jamais été contredit par les résultats complets du ministère.

Des résultats officiels qui arrivent au compte-gouttes après 20 heures

Le ministère de l’intérieur, chargé de l’organisation des élections, commence à diffuser les résultats par commune à partir de 20 heures, puis il met à jour ses publications en continu. En début de soirée, seuls les résultats des plus petits villages, vite dépouillés, sont disponibles.

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Source : Le Monde

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