Art scénique : les marionnettes « vivantes » de Yaya Coulibaly exposées à Paris

A l’Echomusée, dans le 18e arrondissement, le grand marionnettiste malien présente une vingtaine de pièces de son immense collection jusqu’au 26 mars.

Le Monde – Au cœur de la Goutte-d’Or, dans le 18arrondissement de Paris, les marionnettes de Yaya Coulibaly se reposent un moment, suspendues et immobiles, avant leur entrée en scène. L’Echomusée, galerie associative, en présente une vingtaine de tous formats et de toutes couleurs. Elles ne sont qu’un aperçu des quelque 25 000 pièces que possède le maître malien, né à Koula le 26 avril 1959, dans le cercle de Koulikoro, à près de 100 km au nord-est de Bamako.

Bien qu’il ne soit pas l’aîné de la fratrie, c’est à lui qu’a été transmis le pouvoir des ancêtres car il est venu au monde le jour de la cérémonie du Jo, un rite d’initiation d’une société secrète en milieu traditionnel bambara au Mali qui passe notamment par le jeûne et « l’épreuve de fer », la circoncision sans anesthésie.

Depuis le XIsiècle

Très tôt initié aux savoirs occultes dont il ne peut parler, secret oblige, descendant du roi du royaume animiste bambara (familles Coulibaly puis Diarra) de Ségou (1712-1861), il hérite de son père la maîtrise du théâtre de marionnettes, une tradition familiale qui remonte au XIsiècle.

« Les marionnettes, c’est la victoire de la vie sur la mort. A travers elles, nous pouvons exprimer nos sentiments les plus vifs, les plus profonds », souligne Yaya Coulibaly, heureux de pouvoir partager son art en Europe. « Toute culture qui ne vit pas est appelée à disparaître. On a eu la chance d’aller hors du Mali, dans le monde entier, et voir le travail des autres marionnettistes. Nous sommes tous aujourd’hui considérés comme des métis culturels », précise-t-il dans le documentaire de Christian Lajoumard (Acrobates Films) qui lui est consacré.

Après avoir étudié à l’Institut national des arts de Bamako de 1975 à 1977, il fréquente l’Ecole supérieure nationale des arts de la marionnette (Esnam) de Charleville-Mézières (Ardennes) de 1988 à 1990. En France et en Afrique, il côtoie régulièrement dans les années 1980 et 1990 les ethnologues Germaine Dieterlen et Youssouf Tata Cissé ainsi que Jean Rouch, considéré comme le père de l’ethnofiction, participant ainsi à l’élaboration des savoirs occidentaux sur les sociétés traditionnelles d’Afrique de l’Ouest.

Parallèlement, en 1980, Yaya Coulibaly fonde la compagnie Sogolon, (« la femme-buffle »), prénom de la mère aux pouvoirs magiques de Soundjata Keïta, le souverain mandingue du royaume du Mali (XIIIsiècle). Son théâtre de marionnettes s’inspire des traditions des communautés bambara, somono et bozo, de contes, de fables sociales et de ce qu’il nomme des « gangrènes contemporaines », comme les guerres et les extrémismes.

« Comme des papillons »

Trois catégories de marionnettes sont présentées à l’Echomusée. La première est constituée de petits pantins à fil, à l’effigie humaine ou animale, très articulés, qui apparaissent généralement dans un castelet. La deuxième montre des pièces dont les bras peuvent bouger grâce à des tiges, « très agiles comme des papillons », mentionne le maître malien. Enfin, la troisième regroupe celles qui sont « habitées », car portées par des personnes cachées sous un long tissu et représentant des êtres humains ou des animaux.

 

« Au Mali, la marionnette est considérée comme un être vivant. Si elle est trop abîmée pour être réparée, elle a droit à des funérailles. Chacune a sa musique, sa danse, son chant. Elle est comme un historien, un sorcier, un guérisseur, un enseignant. Prenez par exemple celle qui représente la hyène, seul animal à connaître les mystères du jour et de la nuit et emblème des sociétés secrètes. Elle est très importante car elle doit être la première marionnette à apparaître pour purifier l’espace de jeu », aime à expliquer le père de la compagnie Sogolon.

Une grande marionnette portée par une personne cachée par la robe de la pièce, à l’Echomusée.

Pour faire vivre les marionnettes, quatre types de théâtre traditionnel existent. Le premier se déroule tous les sept ans, uniquement dans le bois sacré autour du conseil des anciens. La deuxième forme théâtrale se produit sur la place du village où les marionnettes ne sont manipulées que par des personnes âgées pour des cérémonies comme les mariages ou les funérailles. La troisième annonce l’arrivée des pluies. C’est le moment du carnaval des fêtes des semailles, selon un calendrier dicté par le conseil des anciens. La dernière, dite populaire, peut être jouée à tout moment.

Pour Jean-Marc Bombeau, fondateur de l’Echomusée qui fête cette année ses trente ans d’existence, « cet art traditionnel prolonge l’oralité au niveau visuel en empruntant les symboliques de chaque marionnette pour perpétuer les cultures du Mali. Les marionnettes de Yaya Coulibaly deviennent comme des griots passeurs de l’histoire, des traditions, des contes et légendes de cette mémoire multiséculaire ».

« Jusqu’à mon dernier souffle »

Un projet de musée de 320 m2 – dans le quartier de Magnambougou à Bamako, « rue 326, porte 33, sur un terrain acquis sur fonds propres », annonce fièrement Yaya Coulibaly – avance doucement, freiné notamment par la situation politico-sécuritaire du pays et « les conflits qui rongent nos sociétés et la pauvreté ». Un programme de sauvetage des marionnettes soutenu par l’Union européenne est plus abouti : il s’agit d’inventorier l’immense collection, de la photographier et de la documenter.

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Source : Le Monde

 

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