Vu du Burkina Faso – Poutine “n’a pas le monopole de la dictature ni de l’impérialisme”

Courrier international Sur la guerre en Ukraine, plusieurs pays africains balancent entre neutralité inquiète et constatation du nouvel ordre mondial qui pourrait en résulter. Le Pays observe également que la prédation dont fait montre Vladimir Poutine rappelle aussi bien le comportement de certains dirigeants africains que la domination occidentale en Afrique.

L’intervention russe en Ukraine continue d’étaler à la face du monde entier toute la laideur de la guerre. On se croirait dans un remake de la Seconde Guerre mondiale, avec ses paysages apocalyptiques d’exodes massifs de populations, de pertes en vies humaines et de destructions d’infrastructures. On peut même être effrayé par le retour de certaines théories sur les races, que l’on croyait à jamais enfouies sous les décombres de la Seconde Guerre mondiale, avec la notion de races supérieures.

Et pour l’instant, rien ne semble pouvoir arrêter Vladimir Poutine, le président russe, qui, jusque-là, se montre inflexible à toutes les offres de médiation, donnant même au passage un tour de vis à son pouvoir, en interne, avec le musellement de la presse et la répression des manifestations hostiles à la guerre.

Il faut d’ailleurs craindre que l’exemple de Poutine en matière de gouvernance politique ne fasse des émules dans les pays africains, qui, pour la plupart, se sont retenus de toute condamnation de l’intervention musclée de la Russie. Et cela se comprend. Car, en matière de gouvernance, Vladimir Poutine n’a pas le monopole de la dictature ni de l’impérialisme. En effet, pendant des siècles et, dans une certaine mesure, jusqu’à nos jours, les Occidentaux se sont comportés en véritables prédateurs sur le continent africain, dans les domaines de l’économie et des libertés.

 

Responsabilités partagées

 

Face à cette tragédie humaine, les opinions s’expriment, en Afrique, avec passion, et elles sont parfois même très tranchées. Alors que les uns tiennent Poutine pour responsable de la guerre en lui déniant tout droit d’envahir un État souverain dont les frontières sont reconnues par l’Organisation des Nations unies (ONU), les autres accusent les Occidentaux d’avoir instrumentalisé et dressé le petit poussin ukrainien contre l’ogre russe.

Sans prendre parti pour les uns ou les autres, on pourrait, en toute objectivité, dire que les responsabilités sont partagées entre les acteurs internationaux, qui ont échoué à empêcher cette guerre fratricide et meurtrière en raison de leurs intérêts géostratégiques et économiques.

Et c’est encore le lieu, ici, de dénoncer l’inefficacité du Conseil de sécurité de l’ONU, pris au piège des intérêts des grandes puissances, et la variabilité géométrique du droit international, qui apparaît plus que jamais comme un instrument destiné uniquement à assouvir les velléités hégémoniques des uns et des autres.

 

Poutine, paranoïaque et imprégné de Grande Russie

 

En tout état de cause, on peut déplorer que les grandes nations aient fermé les yeux sur les signes avant-coureurs de cette guerre en refusant de tirer leçon de l’histoire. On sait, par exemple, que les régimes militaristes belliqueux apparaissent toujours à la suite de problèmes économiques, comme ce fut le cas de l’Allemagne hitlérienne au sortir de la grande crise économique de 1929.

Il était certain que les sanctions économiques contre la Russie et l’extension de l’Otan aux frontières russes finiraient par déclencher une sorte de paranoïa chez Vladimir Poutine, que l’on sait attaché à l’histoire de la Grande Russie. Maintenant, l’on peut se poser la question de savoir si c’est la bonne solution qui a été choisie par le président russe, qui joue vraiment gros sur ce coup-là.

Provoquer finalement ce que le Kremlin redoute

 

En effet, l’issue de la guerre est, pour l’instant, incertaine, comme pour confirmer cette pensée populaire africaine qui dit que “l’on connaît toujours qui peut te battre, mais l’on ne connaît pas qui peut te tuer”.

Si, contrairement à ses ambitions, la Russie ne parvient pas à atteindre ses objectifs stratégiques de dénazification et [de] démilitarisation” de l’Ukraine, ce sera sans nul doute la fin du mythe Poutine, dont l’image est déjà fortement ternie par ce conflit, qui rappelle, à bien des égards, les guerres impérialistes de la fin du XIXe siècle.

Il faut même craindre que la guerre déclarée à l’Ukraine n’accélère ce que Poutine lui-même redoute le plus, c’est-à-dire le basculement de toutes les anciennes républiques soviétiques dans le giron de l’Union européenne (UE) et de l’Otan, comme on le voit avec la Géorgie, qui, pour se protéger, a décidé d’accélérer son adhésion aux institutions européennes.

Vers un nouvel ordre mondial

 

Cela dit, l’on peut espérer avec les plus optimistes que cette guerre, qui redessine déjà la géographie des relations internationales, aboutisse à l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui mettra fin à la toute-puissance de la civilisation occidentale, qui s’est imposée au monde depuis le temps des grandes découvertes. On voit, en effet, un rapprochement entre les nations comme la Russie et la Chine et, dans une moindre mesure, avec la Corée du Nord et l’Iran.

Peut-être, avec ce nouvel ordre, le monde irait-il vers un nouvel équilibre, qui assurerait à la terre des hommes plus de stabilité et plus de paix. Mais rien n’est sûr, dans la mesure où la réalisation d’un tel scénario replongerait le monde dans une nouvelle guerre froide, avec d’inévitables escarmouches faisant planer la menace permanente d’une guerre nucléaire qui pourrait mettre fin à l’aventure humaine sur la Terre.

Mais en attendant l’avènement d’un tel monde, qui ressemble à un scénario de film de science-fiction, l’on ne peut que souhaiter que la communauté internationale, si prompte à donner des leçons à l’Afrique, trouve les moyens d’amener les belligérants à la raison pour mettre fin à la souffrance du peuple ukrainien. Et c’est maintenant qu’il faut le faire, non seulement en raison des risques de dérapage du conflit, qui ne sont jamais écartés, mais aussi et surtout en raison de la bêtise humaine, qui semble sans limites.

Le Pays (Ouagadougou)
Lire l’article original

Le Pays – Ouagadougou

Source : Courrier international

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page