La Chine se dit « profondément attristée » par « l’aggravation » du conflit en Ukraine

Pékin semble avoir été pris au dépourvu par le déclenchement de la guerre. Si la Chine condamne « l’extension de blocs militaires », allusion à l’OTAN, elle se dit prête à « soutenir tous les efforts » permettant d’aboutir à une solution.

Le Monde – La Chine aurait-elle été prise de court par la guerre lancée le jeudi 24 février par la Russie contre l’Ukraine ? Plusieurs éléments accréditent cette hypothèse. D’abord le silence de Xi Jinping toute la journée du jeudi. Alors que plusieurs dirigeants occidentaux ont cherché à le joindre, le numéro un chinois n’a pas daigné répondre, faisant passer le message qu’il était occupé à préparer la session annuelle du Parlement chinois, qui démarre le 4 mars. Le président chinois n’a parlé qu’à un seul dirigeant : Vladimir Poutine. Et seulement le vendredi après-midi.

Autre indice : le communiqué à l’issue de cette discussion, tout comme les « précisions » sur la position chinoise, publiées vendredi 25 février en fin de journée par le ministère des affaires étrangères, diffère sensiblement du communiqué publié la veille par le même ministère. Jeudi, celui-ci, rendant compte d’un échange téléphonique entre Wang Yi et Sergueï Lavrov, les ministres chinois et russe des affaires étrangères, indiquait que Pékin « comprend les préoccupations légitimes de la Russie » pour sa sécurité et qu’« une histoire compliquée et spéciale » se trouvait « derrière la question ukrainienne ». Comme si la Chine faisait une entorse à son sacro-saint principe de respect de la souveraineté et de l’intégrité des Etats.

Troisième indice de cette impréparation : jeudi 24 février, l’ambassade de Chine à Kiev enjoignait aux ressortissants chinois qui avaient besoin de sortir de chez eux de mettre bien en évidence le drapeau chinois sur leur voiture, avant de conseiller, deux jours plus tard, de se faire au contraire les plus discrets possible. Par ailleurs, dans les jours qui précédaient le 24, la presse chinoise n’a cessé de se moquer de Joe Biden, qui avait alerté l’opinion mondiale sur le déclenchement d’une invasion, le 8 février. Quant au représentant de la Chine à l’ONU, l’extrême brièveté de ses interventions devant le Conseil de sécurité, notamment le lundi 21 février, incite des diplomates occidentaux à envisager qu’il n’avait reçu aucune consigne de Pékin.

« Déplorer » sans « condamner »

 

En fait, la position de la Chine a été, semble-t-il, définie par le président Xi Jinping lui-même le vendredi 25 février en fin de matinée, avant son coup de téléphone avec le président russe. Le « respect et la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays » en constituent la clé de voûte. Au cours d’échanges téléphoniques avec plusieurs diplomates européens vendredi, Wang Yi a été, selon l’un d’eux, très ferme sur un point : « La Chine ne veut pas la guerre. » Le communiqué indique : « La situation actuelle est quelque chose que nous ne voulons pas voir. »

Le même jour, à New York, la Chine s’est d’ailleurs abstenue au Conseil de sécurité. Contrairement à Moscou, elle ne s’est pas opposée à une résolution dont elle avait – il est vrai – réussi à atténuer la portée, puisqu’il ne s’agissait plus de « condamner » mais simplement de « déplorer l’agression contre l’Ukraine ».

Trois semaines après avoir célébré, le 4 février à Pékin, leur « partenariat stratégique renforcé » et leur « amitié sans limite », Vladimir Poutine et Xi Jinping ne semblent déjà plus tout à fait sur la même longueur d’onde. La plupart des observateurs sont convaincus que, lors de leur rencontre à Pékin, le premier n’a pas fait part au second de son intention d’envahir toute l’Ukraine. Il est vrai qu’exactement un mois plus tôt, le 4 janvier, Xi Jinping avait envoyé au président ukrainien Volodymyr Zelenski un message à l’occasion du 30anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays. Il indiquait « attacher la plus grande importance au développement du partenariat stratégique Chine-Ukraine » et se disait prêt à « travailler avec le président Zelensky pour faire de ce trentième anniversaire (…) une opportunité pour que les relations entre la Chine et l’Ukraine et la coopération bilatérale produisent plus de résultats ».

 

Enseignements sur Taïwan

 

La coopération entre la Chine et l’Ukraine est importante. Comme le rappelle Jean-Pierre Cabestan, enseignant à l’Université baptiste de Hongkong, « le porte-avions chinois, le Liaoning, était à l’origine un porte-avions ukrainien ». Il semble que le président ukrainien ait cherché, lui aussi, à joindre Xi Jinping, en vain, jeudi 24 février.

Néanmoins, mercredi 1er mars, Wang Yi a téléphoné à son homologue ukrainien, Dmytro Kuleba, lui disant qu’il était « profondément attristé » par « l’aggravation de la crise » et que « la Chine soutiendra tous les efforts constructifs internationaux destinés à trouver une résolution politique ». Il a rappelé que pour Pékin « la sécurité d’un pays ne peut pas être réalisée aux dépens d’autres pays ». Ce qui pourrait apparaître comme une critique de Moscou ne l’est pas forcément car, selon le Global Times, le ministre a poursuivi : « Et la sécurité régionale ne peut pas être réalisée à travers l’expansion de blocs militaires ». Une critique implicite de la volonté de l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN.

 

C’est que, si la Russie n’est qu’un partenaire économique de second rang pour la Chine, elle reste un Etat avec lequel elle partage plus de 4 200 kilomètres de frontière commune. Surtout, la Russie est un partenaire indispensable à la Chine pour faire entrer les relations internationales « dans une nouvelle ère » selon les termes du communiqué conjoint publié le 4 février. « Pékin a compris que sur les deux dossiers les plus importants à ses yeux, Taïwan et la montée en puissance de la technologie chinoise, il n’y aurait pas de compromis possible avec Washington », juge un ambassadeur occidental.

La Chine a donc besoin d’un partenaire dans sa rivalité avec les Etats-Unis, et cela ne peut être que Moscou. Pour ne pas s’aliéner les nombreux pays qui soutiennent l’Ukraine, notamment les pays européens, la Chine va donc essayer de tout faire pour faire pour ne pas paraître alignée sur Moscou, sans désavouer publiquement Vladimir Poutine. De même, sur le plan économique, la Chine pourrait discrètement aider la Russie à contourner les sanctions économiques occidentales, en prenant soin de ne pas se mettre à dos les pays occidentaux dont dépend sa croissance économique.

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Source : Le Monde

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