Basket au Mali : « Si tu couches avec moi, je te sélectionne »

Des dizaines de joueuses, adolescentes pour la plupart, auraient été abusées par une douzaine d’entraîneurs. Et ce, depuis le début des années 2000, en toute impunité.

Elle avait 18 ans et des rêves de matchs plein la tête. En 2000, Roseline Dakouo, engagée depuis plusieurs années dans l’équipe de basket régionale de Sikasso, une ville du sud du Mali, se fait repérer par la puissante équipe de Kati. La jeune sportive pense alors que sa carrière professionnelle est sur le point de décoller. Kati sera à coup sûr la porte d’entrée qui lui permettra de revêtir, un jour, le maillot rouge de l’équipe nationale.

Mais Roseline Dakouo ne s’était pas doutée que le prix à payer pour faire du basket son métier serait si grand. A la fin de l’an 2000, la jeune joueuse part en déplacement à Kati pour rencontrer ses futures coéquipières. A l’issue de l’entraînement, le coach lui aurait proposé de la ramener chez elle. Gentille attention, pense-t-elle.

« Il a voulu qu’on passe par chez lui, pour déposer du matériel. Quand on est arrivé, il m’a demandé de coucher avec lui en me disant que, si je le faisais, il ferait en sorte que j’intègre facilement l’équipe », glisse-t-elle. La basketteuse en devenir, « désabusée et choquée », aurait tenté de s’enfuir avant d’être rattrapée par l’entraîneur : « Il était en colère. Il a tellement insisté… Coûte que coûte, il voulait que je couche avec lui. »

Face à la persistance du refus de la jeune femme, le coach finit par la laisser partir, explique-t-elle. Roseline Dakouo, elle, a dû faire ses adieux aux ballons rouges et aux paniers, préférant abandonner une carrière dont elle avait certes toujours rêvé, mais pour laquelle elle n’était pas prête à tout donner. A commencer par son corps.

 

« Les pressions des entraîneurs »

 

Pendant plus de vingt ans, elle garde ce traumatisme enfoui. Le 14 juin, l’affaire lui « remonte à la gorge ». Ce jour-là, le quotidien américain The New York Times et l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW) brisent l’omerta autour des violences sexuelles dans le milieu du basket malien. Leurs enquêtes révèlent que des dizaines de joueuses de basket, adolescentes pour la plupart, auraient été abusées par une douzaine d’entraîneurs. Et ce, depuis le début des années 2000, en toute impunité.

Le 28 juin, le procureur près le tribunal de grande instance de la commune 4 de Bamako a ouvert une enquête. Elle vise pour l’instant deux coachs et Harouna Maïga, le président de la Fédération malienne de basketball (FMBB). « Ce n’est qu’un début », précise une source judiciaire.

L’affaire semble en effet bien plus tentaculaire. « Au Mali, les pressions des entraîneurs sur les joueuses pour avoir des relations sexuelles ont été la norme pendant de nombreuses années dans le basket. Ces abus ont été dissimulés », dénonce Minky Worden, directrice des Initiatives mondiales de HRW. Ils ont ainsi pu continuer.

Comme en 2020, quand l’entraîneur principal de l’équipe nationale féminine de basketball des moins de 18 ans aurait agressé sexuellement une joueuse de 17 ans lors d’un déplacement. Selon nos informations, le coach se serait introduit dans la chambre de la mineure en pleine nuit, la forçant à le toucher tout en « glissant sa main dans sa culotte ». Suite au refus de la joueuse d’avoir des rapports sexuels avec son entraîneur, ce dernier aurait considérablement réduit son temps de jeu, lors des matchs.

 

L’omerta persiste dans le pays

 

Cette année-là, le Mali, dont les équipes de basketball brillent souvent sur les terrains internationaux, dispute le championnat d’Afrique des moins de 18 ans. Les juniors se hissèrent à la deuxième place sur le podium mais, dans les vestiaires, combien de jeunes filles ont été abusées en silence ?

Plusieurs témoins interrogés par Le Monde Afrique estiment qu’il pourrait y avoir eu plus d’une centaine de victimes présumées dans le milieu du basket depuis le début des années 2000, confirmant les chiffres avancés par The New York Times.

« C’est un système installé depuis longtemps dans le basketball malien. Des coachs disent aux filles : si tu couches avec moi, je te sélectionne », raconte Cheick Camara, vice-président de l’association Aide et accompagnement physique, une structure qui défend les sportifs maliens victimes d’abus. Cet ancien basketteur a alerté le ministère des sports du Mali ainsi que la FMBB, en décembre 2020 : « Aucune réponse. » Face aux abus sexuels, l’omerta persiste dans le pays.

En 2020, une présumée victime dit avoir alerté la FMBB des tentatives de viol commises par un entraîneur. Selon elle, la fédération aurait proposé d’acheter son silence, en échange de son maintien dans l’équipe. « Ils ont plusieurs fois cherché à étouffer les affaires. Les coachs, eux, ont menacé des filles et leur famille de les mettre en prison si elles se mettaient à parler », souligne Ahmar Maïga, fondateur de l’association Protection des jeunes sportifs en Afrique.

 

« Les abus continuent »

 

Contactés par Le Monde Afrique, le ministère des sports, la FMBB ainsi que la Fédération internationale de basketball (FIBA) n’ont pas souhaité s’exprimer. Une enquête a été lancée par la FIBA qui a aussi suspendu trois coachs et officiels maliens, le temps des investigations. Les conclusions sont attendues peu après les Jeux olympiques qui auront lieu à Tokyo entre le 23 juillet et le 8 août.

Le président actuel de la FIBA, le Malien Hamane Niang, ex-président de la fédération malienne, s’est quant à lui temporairement retiré de ses fonctions, démentant avoir été informé de ces allégations d’abus sexuels. Mais Roseline Dakouo persiste : « Aucun des dirigeants ne peut dire qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait. C’était un système normalisé. »

Pour l’ancienne basketteuse de 39 ans, « il y a une sorte d’omerta et les abus continuent puisque les bourreaux s’en tirent toujours ». En août, la Coupe du monde de basket féminin des moins de 19 ans se tiendra en Hongrie. Le Mali fait partie des équipes qualifiées. Mais certaines joueuses s’inquiètent : seront-elles suffisamment protégées d’éventuels abus ou de potentielles représailles de la part de cadres, mécontents de voir ces accusations de violences sexuelles mises sur la place publique ?

En 2019, un des entraîneurs mis en cause dans cette affaire avait hissé ses joueuses en quart de finale de la Coupe du monde. Une première pour l’Afrique, mondialement saluée dans le milieu sportif. « Applaudir c’est bien, mais les gens devraient s’interroger : quel prix certaines d’entre nous payent pour pouvoir jouer et briller dans ces compétitions ? », glisse une basketteuse malienne.

 

« Dans presque tous les secteurs »

 

Pour Maïmouna Dioncounda Dembélé, spécialiste malienne des questions de genre, « on parle aujourd’hui des abus sexuels dans le milieu du basket. Mais la réalité est que c’est un phénomène répandu dans presque tous les secteurs, au Mali. A l’école, dans les partis politiques, la culture, au sein de l’administration… Dans notre société, il faut souvent payer pour faire avancer sa carrière. On demande des millions de francs CFA aux hommes et des faveurs sexuelles aux femmes. Pour beaucoup, les abus sexuels ne sont pas une violence mais une offre qu’on peut accepter ou refuser ».

Roseline Dakouo, elle, est restée pendant de longues années avec l’idée que ce qui lui était arrivé en cette fin de l’an 2000 était banal. « Dans notre éducation, on apprend aux filles que la grandeur d’une femme se mesure à sa capacité à résister aux pires souffrances, et en silence », souligne Maïmouna Dioncounda Dembélé.

Mais, au Mali, les langues commencent à se délier. En 2018, dans le cadre d’une enquête de l’Institut national de la statistique (Instat), une Malienne sondée sur huit a déclaré avoir déjà subi des violences sexuelles au cours de sa vie. Un ratio qui, en réalité, serait au moins cinq fois plus important, selon plusieurs organisations de défense des femmes au Mali.

Morgane Le Cam

Source : Le Monde (Le 03 juillet 2021)

 

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