Vu de Guinée – Enlèvement d’Olivier Dubois au Mali : éviter les zones dangereuses “n’est pas une solution”

Avec l’enlèvement d’Olivier Dubois, rendu public le 5 mai, la France compte à nouveau un otage au Mali. Une semaine plus tôt, deux journalistes espagnols avaient été assassinés au Burkina Faso. Ces zones sont devenues extrêmement dangereuses, et cet éditorialiste du site guinéen Le Djely se demande si la presse doit arrêter de s’y rendre devant la menace terroriste.

C’est par une courte vidéo publiée sur les réseaux sociaux et dans laquelle Olivier Dubois lui-même révèle son enlèvement que le grand public en a été informé, dans la nuit de mardi 4 à mercredi 5 mai. Le journaliste indépendant ne donnant plus de nouvelles depuis le 8 avril dernier, les premières enquêtes avaient déjà permis d’envisager la piste de l’enlèvement. Mais on avait jugé peu prudent d’ébruiter la nouvelle, avec l’espoir que la discrétion faciliterait des négociations pouvant déboucher sur sa libération. Hélas ! Via la vidéo rendue publique la nuit d’avant-hier, ce sont les ravisseurs eux-mêmes qui décident de révéler la nouvelle au monde entier, sans doute pour s’en vanter ou pour mettre la pression en vue du paiement d’une rançon.

Quoi qu’il en soit, l’enlèvement d’un journaliste dans ce no man’s land sahélien n’a rien de rassurant. Ça a même de quoi sérieusement inquiéter. D’autant que les précédents cas ont souvent eu des issues tragiques. On se rappelle à ce propos de l’enlèvement suivi de l’exécution de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, nos confrères de RFI, le 2 novembre 2013 [à Kidal, dans le nord-est du Mali]. Plus récemment encore, deux journalistes espagnols et un autre, irlandais, ont été enlevés dans l’est du Burkina Faso. Là aussi, on s’en rappelle, ils avaient été tués par les preneurs d’otages.

Interviewer un terroriste

 

C’est le 8 avril que le journaliste français, qui écrivait notamment pour [les médias français] Libération et Le Point Afrique, est parti de Bamako, la capitale malienne, pour Gao, dans le centre du pays, avec l’objectif d’aller interviewer Abdallah Ag Albakaye, un responsable du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

 

Quelques jours plus tôt, par l’intermédiaire d’un fixeur natif de cette ville, il avait obtenu le rendez-vous avec le responsable du groupe terroriste. Il est d’autant plus rassuré que les moindres détails des conditions de l’entretien sont discutés et arrêtés à la satisfaction de tout le monde. Ainsi, il est exigé de notre confrère qu’en allant à la rencontre d’Albakaye, il ne devait porter sur lui aucun dispositif pouvant aider à le localiser. Soucieux de respecter sa part du contrat, il laisse donc son téléphone et même son passeport dans la chambre d’hôtel qu’il avait réservé en prévision du rendez-vous. Hélas, depuis qu’il y est allé, personne ne l’a plus revu.

Imprudence ou devoir d’informer ?

 

Bien sûr, le débat sur l’imprudence dont pourrait avoir fait montre le journaliste français va se poser. Connaissant lui-même le contexte sécuritaire qui prévaut dans la région, n’a-t-il pas pris des risques inconsidérés en se rendant dans cette zone, qui plus est pour un rendez-vous avec un responsable d’un groupe djihadiste ? A-t-il été naïf ou simplement imprudent ? Ces questions, et bien d’autres du même genre, peuvent paraître légitimes. Surtout si on les met en rapport avec le fait que, par le passé, d’autres journalistes y ont été enlevés et mêmes tués.

Mais pour autant, les journalistes peuvent-ils et doivent-ils se détourner du martyre que vivent les populations dans ces zones ? Au nom du principe de précaution, devons-nous ne plus nous intéresser aux assauts sanglants que les hordes djihadistes imposent à un rythme infernal à ceux qui ont le malheur de se retrouver dans ces localités de non-droit ? Si l’on cède à cette peur ambiante, comment l’opinion publique sera-t-elle informée des nombreuses dérives et exactions auxquelles se livrent tout aussi bien les armées régulières et les troupes internationales qui prétendent lutter contre le terrorisme ?

 

Comme on le voit, abdiquer n’est pas une solution. De même qu’il est du devoir des États du Sahel et de la communauté internationale de garantir la sécurité à chacun et à tous, il est de celui des journalistes de continuer à informer le monde sur ce qui s’y passe. Et c’est au nom de ce devoir que le monde entier doit pouvoir œuvrer en faveur de la libération d’Olivier Dubois. Certes, il faut y aller avec prudence, car les risques ne sont pas à nier non plus. Mais ne pas y aller ne doit même pas être une option.

Boubacar Sanso Barry
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