Ousmane Sonko, l’opposant antisystème qui soulève la rue sénégalaise

Démagogue pour les uns, incorruptible pour les autres, le député est la cible d’accusations de viols et dénonce un complot politique.

« Si Macky Sall veut me liquider, il doit savoir qu’il n’a affaire ni à un peureux, ni à un poltron. Il faudra qu’il se salisse les mains lui-même », lançait l’opposant Ousmane Sonko le 25 février, attaquant de front le président sénégalais. Son arrestation, quelques jours plus tard, pour « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée » a plongé le pays d’Afrique de l’Ouest dans une crise politique d’une rare intensité.

Lundi 8 mars, le principal opposant politique sénégalais a été relâché, mais placé sous contrôle judiciaire. Il est inculpé dans une affaire de viols présumés à la suite des accusations portées contre lui par une employée d’un salon de massage. Si le ministre de l’intérieur, Antoine Félix Diome, affirme qu’il s’agit d’un « contentieux judiciaire qui implique deux citoyens sénégalais », l’opposant dénonce un complot destiné à l’écarter du jeu politique et de la prochaine présidentielle.

« Ousmane Sonko a tout intérêt à politiser cette affaire pour ne pas laisser prospérer le débat sur une accusation de viol qui n’arrange pas son image », analyse le politologue Papa Fara Diallo, enseignant-chercheur à l’université Gaston-Berger, à Dakar. Ce parlementaire de 46 ans s’est façonné avec un certain succès, tout au long de sa carrière politique, une réputation d’homme intègre et iconoclaste, au point d’arriver en troisième position lors de la présidentielle de 2019, avec 15 % des voix.

Originaire de Casamance, région enclavée du sud du pays où il a grandi auprès de ses huit frères et sœurs et de ses parents, fonctionnaires d’Etat, Ousmane Sonko a débuté comme inspecteur principal des impôts et des domaines. Passé par l’Ecole nationale d’administration du Sénégal, il commence à se faire remarquer en créant, en 2005, le premier syndicat dans l’administration publique.

 

Un discours antisystème

 

« Cela a révolutionné nos conditions de travail », se souvient Bassirou Diomaye Faye, l’un de ses collègues de l’époque, en compagnie duquel il fonde, en 2014, le nouveau parti d’opposition Les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), dont Ousmane Sonko est encore le président. « C’était un défi de faire notre place, car nous étions, pour la plupart, des inconnus dans le paysage politique », se rappelle Bassirou Diomaye Faye.

Ousmane Sonko gagne vite en notoriété lorsqu’il est radié de la fonction publique en 2016 pour « manquement au devoir de réserve », après avoir accusé plusieurs personnalités – dont Aliou Sall, le frère du chef de l’Etat –, d’avoir illégalement bénéficié d’avantages fiscaux. Le Pastef et son président, élu député de l’Assemblée nationale en 2017, misent sur un discours antisystème : défense de la souveraineté économique, plaidoyer pour une sortie du franc CFA, présenté comme un symbole postcolonial, dénonciation de la fraude fiscale, critique du train de vie de l’Etat et de l’endettement… « Il était conscient que dénoncer l’Etat corrompu pourrait le mener en prison », affirme, aujourd’hui, son jeune frère Amadou Malick Sonko.

 

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Si ses partisans le considèrent comme un lanceur d’alerte, d’autres l’accusent, cependant, de démagogie. « Son discours est populiste », estime ainsi Papa Fara Diallo, tout en notant que son positionnement s’est adouci à mesure qu’il se rapprochait du pouvoir. Ainsi, « sur le franc CFA, les prises de position d’Ousmane Sonko ne sont plus aussi radicales que dans ses premières années d’opposition », précise-t-il.

 

Souverainiste et anticolonialiste

 

Certains estiment que sa ligne souverainiste et anticolonialiste contribue à nourrir un sentiment antifrançais. Durant les manifestations violentes ayant suivi son arrestation, les locaux d’enseignes comme Auchan, Orange ou Total ont notamment été saccagés – mais également d’autres entreprises privées sénégalaises et des bâtiments publics.

Ces discours de rupture, associés à une image d’homme politique incorruptible et orthodoxe, séduisent la jeunesse urbaine, les milieux intellectuels, la classe moyenne et la diaspora. Mais dans la classe politique sénégalaise, la rapide montée en puissance d’Ousmane Sonko a surpris. Son ascension est d’autant plus notable que les autres grandes figures de l’opposition sénégalaise ont été peu à peu écartées. Ainsi Karim Wade, fils et ancien ministre de l’ancien président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, maire déchu de Dakar, ont tous deux été frappés par des condamnations pour des malversations financières et restent désormais en retrait. Et Macky Sall a fait rentrer dans sa majorité l’ancien premier ministre Idrissa Seck, arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2019.

Les origines casamançaises d’Ousmane Sonko sont un autre trait caractéristique du personnage. Il compte de nombreux soutiens dans cette région reculée où les rebelles indépendantistes et l’armée se sont longtemps affrontés. « Qu’il porte un programme soutenu par tous les Sénégalais, c’est le symbole de l’exception sénégalaise », remarque l’ancien ministre et député Moustapha Guirassy, rappelant que Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal après l’indépendance, était chrétien dans un pays à 95 % musulman. Les adversaires de l’opposant l’ont parfois accusé de liens avec les rebelles, ce qu’il a toujours nié. Ses proches répètent qu’Ousmane Sonko n’est ni régionaliste ni séparatiste, mais partisan d’une décentralisation du pays.

 

 

 

 

 

 

Théa Ollivier (Dakar, correspondance) et Salma Niasse Ba (Dakar, correspondance)

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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