Au Sénégal, le président Macky Sall appelle à l’apaisement face aux troubles

Son opposant Ousmane Sonko, dont l’arrestation a déclenché une vague de contestation inédite, a réclamé une mobilisation « beaucoup plus importante ».

Quelle direction va prendre le mouvement social qui agite le Sénégal avec une virulence inédite depuis au moins une décennie ? Lundi 8 mars au soir, le président, Macky Sall, est sorti de son silence pour exhorter au « calme et à la sérénité » et réclamer d’éviter « la logique de l’affrontement qui mène au pire ».

Un peu plus tôt dans la journée, son principal opposant, Ousmane Sonko, dont l’arrestation mercredi 3 mars a déclenché cette vague de contestation, appelait à une mobilisation « beaucoup plus importante » mais « pacifique », parlant d’une « révolution en marche ». « Le seul qui porte la responsabilité de cette situation s’appelle Macky Sall, il a trahi le peuple et il n’est plus légitime à diriger le Sénégal », a-t-il clamé, tout en demandant à ce que le chef de l’Etat déclare sans ambiguïté qu’il ne serait pas candidat à la prochaine élection présidentielle.

Le président du parti Les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), arrivé troisième à la présidentielle de 2019 et pressenti comme l’un des favoris pour l’élection prévue en 2024, a été arrêté – officiellement pour trouble à l’ordre public –, alors qu’il se rendait en cortège au tribunal, où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d’un salon de beauté. Une affaire qu’il n’a cessé de dénoncer comme un complot destiné à l’écarter du jeu politique.

 

Vives tensions

 

Lundi, l’opposant, inculpé pour viols et menaces de mort, a été relâché après quatre jours de garde à vue et placé sous contrôle judiciaire. « C’est un pas pour apaiser la situation », analyse Maurice Soudieck Dione, politologue à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.

Il faut dire que le Sénégal, d’ordinaire considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, a été littéralement saisi par la fièvre ces derniers jours. Des manifestations violentes et des émeutes ont fait cinq morts sur le territoire, selon les chiffres officiels, huit selon Amnesty international. La Croix-Rouge sénégalaise a compté 590 blessés entre le 3 et le 8 mars dans quatre régions. Dakar et d’autres grandes villes du pays ont été le théâtre de scènes de pillages et de saccages.

 

Lundi, les tensions demeuraient vives. Une nouvelle coalition, baptisée Mouvement pour la défense de la démocratie, composée de plusieurs partis politiques d’opposition et de mouvements de la société civile, a appelé à manifester pendant trois jours, jusqu’à mercredi. Dès la matinée, une foule compacte de manifestants circulait aux abords du palais de justice de Dakar, brandissant à bout de bras des drapeaux sénégalais vert-jaune-rouge.

Le long des boulevards qui mènent à la place de la Nation, les rangs ont rapidement grossi. Aminata Tall est venue avec sa sœur pour « défendre un pays social et démocratique ». « Ça me fait mal au cœur de voir les enfants des rues non pris en charge qui pillent les supermarchés en marge des manifestations. Ils avaient faim », explique cette fonctionnaire, pour qui les manifestations ne se termineront pas tant que tous les prisonniers politiques ne seront pas libérés et que M. Sonko ne sera pas lavé de toutes les charges.

 

« Malaise de la jeunesse »

 

« On veut qu’il obtienne une liberté totale, pour qu’il puisse préparer la campagne présidentielle de 2024 », affirme Papa Ismaila Mané, étudiant présent dans les rues depuis le début de la contestation. Mais les revendications dépassent maintenant l’affaire autour de l’opposant politique : elles sont devenues l’expression d’une frustration sociale dans un pays dont l’économie, longtemps dynamique, a été durement frappée par la pandémie de Covid-19 et les mesures prises pour la freiner.

« La figure d’Ousmane Sonko a permis de fédérer l’expression des frustrations, mais le contexte de cette affaire a été déterminant, confirme le politologue Maurice Soudieck Dione. Le malaise de la jeunesse, la pauvreté, le chômage, les rescapés et rapatriés de l’immigration clandestine qui a causé beaucoup de morts, les restrictions de libertés liées à la pandémie ont donné une virulence et une violence particulières à cette vague de contestation. »

 

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Partout dans les cortèges, les difficultés du quotidien s’expriment. « Je suis diplômé et j’ai du mal à avoir du travail. Nous, les jeunes, nous manifestons aussi car nous voulons manger à notre faim et nous soigner », explique Djibi Pierre Diakité, un manifestant. Zak Diaw, jeune infographiste sans emploi, a, lui, marché plus d’une heure depuis une banlieue dakaroise pour atteindre le siège du Pastef et entendre le discours de son idole Ousmane Sonko, diffusé par des baffles grésillants. Il se dit prêt à ressortir dans la rue et à jeter des pierres si nécessaire. « Nous sommes fatigués. Depuis 2012, Macky Sall n’a rien fait de ce qu’il avait promis. Nous, on veut juste la paix, travailler et avoir une vie stable », déplore-t-il, en colère.

 

Gestes d’apaisement

 

Lors de son intervention solennelle lundi, retransmise à la télévision publique, le président sénégalais a affiché sa compréhension envers cette jeunesse inquiète. « La colère qui s’est exprimée ces derniers jours est aussi liée à l’impact d’une crise économique aggravée par la pandémie de Covid-19 », a constaté le chef de l’Etat. Pour tenter de calmer la colère, il a annoncé que le couvre-feu tant contesté, en vigueur dans les régions de Dakar et Thiès (ouest), serait allégé. Au lieu de commencer à 21 heures, il aura désormais cours de minuit à 5 heures du matin.

Ces gestes d’apaisement seront-ils suffisants pour désamorcer les tensions ? Lundi après-midi, les jeunes manifestants ont été dispersés par les forces de l’ordre avec gaz lacrymogène et grenades assourdissantes. L’agitation n’a pas atteint le niveau de la semaine précédente, mais des émeutes ont gagné la commune de Parcelles Assainies, dans la banlieue de Dakar : des affrontements violents ont opposé des jeunes, qui ont brûlé des pneus, aux forces de l’ordre.

Devant le risque d’escalade, des blindés de l’armée surmontés de mitrailleuses ont été positionnés en différents points de la ville, sur la place de l’Indépendance par exemple, dans le quartier du Plateau, centre névralgique du pouvoir où siègent les grandes institutions – dont le palais de la République, résidence du chef d’Etat, placé sous haute protection.

Assis en tailleur au milieu de la place de la Nation, le rappeur et activiste Abdou Karim Gueye, alias K-rim Xrum Xax, explique que le combat continue. « Nous sommes là pour nos frères qui sont morts, mais aussi pour ceux qui doivent sortir de prison », explique-t-il, voyant la démission de Macky Sall comme seule possibilité de clore cette crise.

Salma Niasse Ba (Dakar, correspondance) et Théa Ollivier (Dakar, correspondance)

Source : Le Monde

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