Crise – Face au virus, le patron de l’OMS en pleine tourmente

Sous influence chinoise, trop peu réactif, les critiques se multiplient contre Tedros Adhanom. S’il est la cible de Donald Trump, cet Éthiopien à la tête de la riposte mondiale contre le Covid-19 peut tout de même compter sur le soutien des Africains. Portrait.

“Il n’y a pas de secret à l’OMS parce qu’on parle de vies humaines”, assurait le 20 avril Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’homme aux cheveux grisonnants et aux lunettes à monture noire, désormais célèbre dans le monde entier, est accusé par le président des États-Unis, Donald Trump, d’inefficacité et de complaisance envers la Chine dans la gestion de la crise sanitaire liée au coronavirus.

Sur les réseaux sociaux, le hastag #NoTedros4WHO est réapparu. Un mauvais souvenir pour l’Éthiopien de 55 ans, devenu le premier Africain à la tête de l’OMS. Avant son élection en mai 2017, ce père de famille suscitait déjà la réprobation de certains de ses compatriotes jusqu’au siège de l’organisation, à Genève, où des rassemblements avaient été organisés.

À l’époque, on lui reproche ses liens avec le gouvernement éthiopien, dominé par le Front de libération du peuple du Tigray, l’un des quatre partis de la coalition au pouvoir qui dirige d’une main de fer le pays depuis 1991. Des manifestations sont réprimées dans le sang, des opposants et des journalistes arrêtés en masse.

“Il ne faisait pas partie des combattants de la première heure qui se sont battus contre la dictature militaro-communiste dirigée par Mengistu Haïlé Mariam entre 1974 et 1991, tempère le chercheur indépendant René Lefort. Cet ancien membre du bureau politique (de 2008 à 2017 au moins) a toujours été considéré comme un bon technicien et non comme une figure politique importante.

Entre 2005 et 2012, le Dr Tedros, qui doit son titre à une thèse soutenue en 2000 au Royaume-Uni après un master en immunologie et maladies infectieuses, a été ministre de la Santé. “Beaucoup disent qu’il y a fait du bon travail”, reconnaît Befeqadu Hailu, un activiste qui a passé plus de cinq cent soixante jours en prison quand le Dr Tedros était membre du gouvernement éthiopien. Mais “il est difficile de savoir s’il a été nommé pour ses compétences ou parce qu’il était membre du parti”, précise-t-il.

Des épidémies minimisées

 

À ce poste, l’homme originaire d’Asmara [la capitale érythréenne], quand l’Érythrée n’avait pas gagné son indépendance, parfait son curriculum vitae en créant 3 500 centres de santé et 16 000 dispensaires. Il affirme avoir ainsi réduit la mortalité infantile de deux tiers et les infections au VIH de 90 %. Durant son mandat, le nombre de professionnels de santé est également multiplié par sept.

Reste une ombre au tableau. Dans ce deuxième pays le plus peuplé d’Afrique après le Nigeria, on l’accuse d’avoir minimisé trois épidémies de choléra. “Dans nos interviews avec les autorités de santé éthiopiennes à cette période, on continuait d’entendre parler de ‘diarrhée aqueuse’, même s’il existait des preuves cliniques qu’il s’agissait de choléra”, témoigne Ludger Schadomsky, responsable de la Deutsche Welle, la radio internationale allemande.

 

Les opposants au Dr Tedros dénoncent aussi des relations privilégiées avec la Chine, qui influenceraient sa gestion de la crise sanitaire actuelle. Lors de son passage à la tête du ministère des Affaires étrangères, de 2012 à 2016, le géant asiatique est déjà un partenaire de taille pour l’Éthiopie, qui abrite le siège de l’Union africaine, notamment dans le secteur de la construction. L’un des plus gros contrats qui lient les deux pays est signé en 2011 – 2,5 milliards de dollars de prêts chinois pour construire la ligne de chemin de fer entre la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, et Djibouti, sur la mer Rouge. Une porte d’entrée pour le projet de Pékin des nouvelles routes de la soie.

Défiance des États-Unis, soutien de l’Afrique

 

Face aux polémiques alimentées par les États-Unis, le directeur général a reçu de nombreux soutiens de dirigeants africains et européens mais aussi de politiques éthiopiens. “J’ai eu le privilège de travailler en étroite collaboration avec le Dr Tedros à différentes occasions, commentait le 9 avril l’actuelle ministre de la Santé éthiopienne, Lia Tadesse, et je peux attester de son dévouement, de ses principes de dirigeant et de son travail acharné.” Une pétition en ligne, lancée par l’ancien ministre de la Santé éthiopien Amir Aman (2018-2020), a recueilli un peu plus de 126 000 signatures le 22 avril. Bien loin des 985 000 signataires d’un autre manifeste réclamant sa démission.

Dans sa candidature au poste de directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus affichait une de ses priorités : en faire “une institution plus efficace et transparente, qui rende compte de son action, soit indépendante et réactive”. Mais certains restent sceptiques. “Son passé compte”, soutient l’activiste Befeqadu Hailu, citant “le fait qu’il ait travaillé pour un régime brutal ou qu’il ait caché l’épidémie de choléra”. Et de conclure :

Je ne le crois pas, mais je ne crois pas davantage Donald Trump.

Seule une enquête indépendante pourrait, selon lui, lever le doute sur une mauvaise gestion de cette crise.

Nathalie Tissot
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