L’ «icône fragile»/ Par Tijane Bal

(Titre piqué à Sophie Coignart pour son livre sur Michelle Obama)

A priori, les raisons qui ont conduit à l’incarcération malheureuse de Rokiya Traoré sont d’ordre privé. Souhaitons-lui en tout 1er lieu la fin la plus rapide de ce cauchemar.

Pour des raisons différentes, d’autres célébrités africaines de la chanson comme Papa Wemba ou Koffi Olomide ont connu des démêlés avec les tribunaux. Avec un retentissement différent toutefois.

A l’exception de quelques initiatives, les déconvenues de la malienne semblent avoir été accueillies avec une relative indifférence. Pourquoi ? En raison de sa démarche artistique.

Jean-Paul Sartre distinguait « atteindre un large public ou le toucher». La chanteuse a choisi (et c’est son droit) de s’affranchir d’un cadre qu’elle a dû trouver étriqué.

Du coup, sans préjudice de son talent, son « œuvre » touche moins son public réputé naturel. Il en va différemment de la plupart de ses compatriotes artistes. Dieu sait si le Mali en regorge. Il suffit de penser à Salif Keita. (Il est à noter que par contraste les récentes déconvenues de ce dernier à l’aéroport de Conakry ont eu un bien plus grand battage).

A la différence d’une Sona Jobarteh, pourtant de mère blanche et anglaise, qui prône le retour aux racines musicales traditionnelles, Rokiya Traoré donnait le sentiment d’avoir opté pour une africanité en pointillés tant dans les domaines artistiques que dans d’autres. Elle semblait trop soucieuse de se ménager un public autre. Auditoire qui le lui rendait bien. S’est installé dès lors le sentiment, justifié ou non, qu’elle devait sa bonne fortune davantage au public occidental. D’où le fameux « ce n’est pas une musique pour Africains ».

Des critiques y sont pour beaucoup. Certains en étaient à fantasmer sur son apparence physique, sa beauté et sa plastique à rebours des canons africains. « Canon pour les Africains, boudin pour nous » écrivait finement il y a quelques années un critique à propos de la regrettée Abeti Masikini.

Un autre parallèle vient à l’esprit mais foin de considérations physiques cette fois. Un critique est allé jusqu’à différencier la musique des 2 rejetons de Féla Kuti par le fait que l’œuvre plus sophistiquée de Fémi s’adressait au public occidental alors que Seun qui jouait avec certains musiciens de son père (encore vivants) produisait une musique brute, conforme somme toute au standard africain.

Rokiya Traoré n’est pas la seule artiste africaine à avoir concédé à la world music. Angélique Kidjo en est même devenue une figure planétaire. A cette différence près que chez Kidjo, l’africanité est revendiquée et expressive. De plus, celle-ci se traduit en engagements qui valent toutes les pétitions de principe. Baaba Maal, Youssou Ndour sont au diapason.

A l’image d’une autre Rokaya, Diallo celle-là, Traoré s’est vue accoler, peut-être à son corps défendant, cette étiquette ambiguë d’afro-féministe. Ce «label » est souvent associé à une posture de surplomb. Il décrit l’africaine un tantinet arrogante qui, depuis l’étranger et du haut de son statut, donne des leçons et cherche à repenser l’Afrique à son image: hybride.

Rien ne dit que cette description caractérise Traoré ou Diallo. Elle renvoie cependant plus généralement à la réception de la thématique « féministe» sur le continent africain. (Ce sera peut-être l’objet d’un prochain post).

Bref, perçue en africaine ne l’étant pas tout à fait, (à tort peut-être), Rokia Traoré a toujours pâti d’une image trouble.

Sa propre ambivalence, son ouverture au monde préféreront d’autres, l’ont fait passer pour une pièce rapportée voire importée. Il est possible aussi que sans en avoir conscience et sans réellement l’avoir voulu, la fille de diplomate ait pu renvoyer une image d’une personne distante voire condescendante. « Soyez vous-même. Les autres sont déjà pris », conseillait un orfèvre en provocation.

 

 

Tijane Bal

Facebook – Le 16 mars 2020

 

 

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