Face au coronavirus, le flegme des dirigeants africains

Même si aucun cas n’a encore été déclaré en Afrique, les systèmes de santé risquent d’être submergés en cas d’épidémie, prévient l’OMS. Mais les dirigeants africains sont surtout soucieux de ménager la Chine.

L’alerte mondiale autour du coronavirus ne fait pas paniquer l’Afrique. Sur le continent, où aucun cas n’a été déclaré, l’heure n’est pas encore à la mobilisation générale. Pourtant, les systèmes de santé africains apparaissent vulnérables et le continent entretient des relations économiques étroites avec la Chine, épicentre de l’épidémie qui inquiète tant la planète.

Après avoir décrété l’urgence internationale la semaine dernière, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), basée à Genève, a conseillé à tous les pays de se préparer. En Afrique, l’OMS a identifié 13 pays en première ligne en raison de leurs liens avec la Chine: l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, le Ghana, le Kenya, l’île Maurice, le Nigeria, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la Tanzanie et la Zambie.

«Un nouveau virus est toujours un défi et la plupart des laboratoires en Afrique ne disposent pas du matériel essentiel dont ils ont besoin pour effectuer des tests sur un nouvel agent pathogène», déclarait mercredi Matshidiso Moeti, la directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Et de mettre en garde: «Il est essentiel que les pays de la région puissent détecter et traiter les cas graves au stade précoce, afin d’éviter une épidémie généralisée qui pourrait submerger les systèmes de santé fragiles.»

Sur le même thème: Coronavirus: alerte orange pour les voisins de la Chine

Deux laboratoires

 

Selon l’OMS, il n’existe que deux laboratoires en Afrique qui disposent des produits pour tester des échantillons et confirmer ou infirmer des cas de coronavirus. «Tout le monde est sur le pied de guerre, mais ça se passe dans la sérénité», explique à l’AFP le docteur Amadou Alpha Sall, administrateur de l’Institut Pasteur de Dakar, l’un des deux laboratoires outillés pour dépister le nouveau virus, le second étant en Afrique du Sud. L’institution organise un colloque en fin de semaine avec des experts venus de toute l’Afrique. «Nous sommes prêts. Et si les autres pays sont prêts aussi, cela protège tout le monde», relève le Dr Sall.

L’OMS est aussi en train d’envoyer des kits de dépistage dans une vingtaine de pays, pour qu’ils puissent tester les cas suspects. Mercredi, la fondation du milliardaire américain Bill Gates et de son épouse Melinda a annoncé le déblocage de 100 millions de dollars contre le coronavirus, dont 20 millions iront aux efforts de préparation en Afrique.

La plupart des pays africains identifiés à risque par l’OMS disent avoir pris des précautions. Ils contrôlent la fièvre des passagers en provenance de Chine dans les aéroports ou les ports. La plupart des compagnies aériennes africaines avec des liaisons vers la Chine, comme Royal Air Maroc ou Kenya Airways, ont suspendu leurs vols vers l’Empire du Milieu. Les autres, à l’instar d’Air Algérie ou d’Ethiopian Airlines, sont sous pression des opinions publiques de leur pays pour le faire.

Peu d’évacuations

 

En revanche, les autorités politiques restent très discrètes sur cette épidémie. Les dirigeants africains sont pourtant contraints de sortir du silence sur le sort de leurs compatriotes bloqués en Chine. «Nos compatriotes de Wuhan, épicentre de l’épidémie, vivent dans des conditions très difficiles, avec un risque de contagion constant et leur liberté confisquée», alertait le week-end dernier l’association des étudiants sénégalais en Chine, un appel relayé sur les réseaux sociaux.

Lundi, à Dakar, à des milliers de kilomètres de là, le président Macky Sall avouait son impuissance: «Même les grands pays qui ont pu faire des rapatriements l’ont fait avec beaucoup de difficultés. Cela requiert une logistique tout à fait hors de portée du Sénégal.» Et d’assurer qu’il continuerait à suivre la situation en collaboration avec la Chine. Les déclarations présidentielles sont très critiquées au Sénégal. «Nos enfants exigent un minimum, leur droit d’être secourus par leur mère-patrie», dénonçait mercredi à Dakar la mère de l’un de ces étudiants.

D’autres pays africains avec des ressortissants bloqués en Chine, comme le Rwanda, la Guinée ou la Zambie, se sont bornés à affirmer leur confiance à Pékin pour venir rapidement à bout de l’épidémie. Seuls le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ont réussi à rapatrier des ressortissants depuis les zones de quarantaine, au risque de froisser la Chine.

«D’autres soucis de santé publique»

 

Maître d’enseignement à l’Université de Lausanne et spécialiste de la Chinafrique, le chercheur Antoine Kernen ne croit pas que la prudence des dirigeants africains soit liée aux investissements chinois massifs sur le continent. «Le coronavirus est vu en Afrique comme un problème de riches. Les pays africains ont des soucis de santé publique bien plus urgents, il n’y a qu’à voir les ravages causés par le paludisme.»

«Le sentiment d’urgence est renforcé par la propagande chinoise. Le pouvoir veut montrer qu’il fait tout pour surmonter la situation, construisant des hôpitaux en quelques jours ou imposant la quarantaine à des millions de personnes. Ce message énergique passe à merveille en Chine, où je ne vois pas de critiques sur la gestion de l’épidémie. En revanche, il est moins efficace à l’étranger», poursuit Antoine Kernen. Les Africains sont immunisés, pour l’instant en tout cas.

Simon Petite

Source : Le Temps (Suisse)

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page