Après l’assassinat du général Soleimani par les Etats-Unis, l’Iran s’interroge sur ses représailles

La République islamique a annoncé une « vengeance ». Mais celle-ci peut prendre de nombreuses formes, d’une attaque directe des forces iraniennes à une riposte par le biais des alliés de Téhéran dans la région.

Comment la République islamique pourra-t-elle répondre à un pareil coup ? Après des mois de tensions renouvelées avec Washington et ses alliés, un drone américain a privé l’Iran d’un de ses officiers les plus précieux. Ghassem Soleimani, mort vendredi 3 janvier à 62 ans, avait creusé le sillon de l’influence iranienne de Bagdad à Beyrouth en passant par Damas, et jusqu’au Yémen. Il n’est plus, et dans les rues de Téhéran, de longs cortèges de partisans du régime drapés de noir ont salué son « martyre », tandis que trois jours de deuil national ont été décrétés vendredi. Le lendemain, ses funérailles irakiennes ont réuni des milliers de ses partisans, scandant « Mort à l’Amérique ! ».

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Samedi matin, la réponse de Téhéran, elle aussi tenait toujours du slogan : « Vengeance. » C’est le terme employé par le Conseil national de sécurité iranien, qui s’est réuni en urgence et, fait exceptionnel, en présence du guide suprême Ali Khamenei après l’attaque. La vengeance sera mise en œuvre « au bon moment et au bon endroit », et le « régime des Etats-Unis » sera tenu responsable de toutes les conséquences de l’assassinat.

Des manifestants iraniens se sont rassemblés pour pleurer la mort du général Ghassem Soleimani, à Téhéran, le 3 janvier.
Des manifestants iraniens se sont rassemblés pour pleurer la mort du général Ghassem Soleimani, à Téhéran, le 3 janvier. WANA NEWS AGENCY / VIA REUTERS

 

La République islamique temporise-t-elle ? Pour Téhéran, ne rien faire reviendrait à perdre toute crédibilité auprès de ses alliés et donner raison à Washington. « C’est une déclaration de guerre. La question n’est pas de savoir s’il y aura des représailles, mais quand », estime Ali Vaez, chargé du dossier iranien à l’ONG International Crisis Group : « On peut aussi se demander si elles seront directes ou indirectes, contre des intérêts américains ou contre des alliés de Washington ? Directement par les forces iraniennes ou par le biais des alliés de Téhéran ? En Irak ou ailleurs dans la région ? »

Un tournant

 

Le chercheur souligne que les risques d’erreurs d’appréciation sont extrêmement élevés de part et d’autre. L’Iran peut estimer qu’une réaction modérée évitera une nouvelle escalade américaine ou au contraire frapper plus fort encore en misant une dernière fois sur l’aversion affichée du président américain envers les conflits lointains. Tout dépendrait alors de la réaction américaine : réduction des tensions ou conflit ouvert aux implications incalculables ? Les Etats-Unis ont déjà annoncé l’envoi de 3 500 soldats supplémentaires au Moyen-Orient.

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Quoi qu’il advienne, l’assassinat marque un tournant dans la confrontation qui s’est installée entre les Etats-Unis, leurs alliés et Téhéran depuis la sortie américaine, en 2018, de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015. La politique de « pression maximale » contre l’Iran alors décidée par Washington, durcie au printemps 2019 par le renforcement de sanctions économiques contre la République islamique, s’était trouvée confrontée à une politique de « résistance maximale » de la part de Téhéran dans la région, doublée d’un désengagement progressif et régulier de la République islamique vis-à-vis de ses obligations au titre de l’accord nucléaire.

 

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Téhéran avait alors semblé sortir vainqueur de son bras de fer avec Washington et les monarchies du Golfe autour du détroit d’Ormuz. Ses attaques contre des pétroliers étaient restées globalement sans conséquences. En juin 2019, le président Trump avait même renoncé au tout dernier moment à lancer une riposte militaire après la destruction par les forces iraniennes d’un drone américain.

Des soldats américaines embarquent à bord d’un avion, en Caroline du Nord, pour être déployés au Moyen-Orient, le 1er janvier.
Des soldats américaines embarquent à bord d’un avion, en Caroline du Nord, pour être déployés au Moyen-Orient, le 1er janvier. MELISSA SUE GERRITS / AP

 

Les responsables sécuritaires de la République islamique s’étaient-ils trouvés enhardis par un tel manque de répondant ? Le 14 septembre 2019, une opération sophistiquée, orchestrée au moyen de missiles et de drones, dévastait des sites pétroliers saoudiens stratégiques.

Son successeur, « un dur, un vrai »

 

En l’absence de représailles américaines à cette attaque majeure, on peut alors penser, à Téhéran, que le chantage au chaos porte ses fruits. Car les adversaires de l’Iran auraient toujours plus à perdre d’une confrontation directe. Et la crainte d’une guerre allait peut-être contraindre les riches alliés de Washington à rechercher une détente, puis les Etats-Unis eux-mêmes à revenir à l’accord sur le nucléaire ou à limiter les sanctions.

Tout au long de l’automne 2019, la République islamique, par l’intermédiaire des gardiens de la révolution et en particulier de leurs forces spéciales Al-Qods, dirigées par le général Soleimani, continue de transférer missiles et roquettes à ses alliés régionaux en Irak, en Syrie et jusqu’au Hezbollah libanais. Ce qui préoccupe Israël, qui revendique ou se voit attribuer des frappes contre les intérêts iraniens dans ces trois pays. Mais en Irak, alors que le pays est secoué par une large contestation populaire contre la corruption des élites politiques et les ingérences étrangères, en particulier iraniennes, des milices affiliées à Téhéran prennent épisodiquement pour cible des installations militaires américaines.

Le 27 décembre 2019, un ressortissant américain, civil, meurt lors d’une de ces attaques. Fait inédit, l’aviation américaine frappe deux jours plus tard des positions du groupe incriminé en Irak et en Syrie. C’est dans la rue que le camp pro-iranien riposte. Dans les jours qui suivent, une foule non armée de partisans des milices liées à Téhéran tente de prendre d’assaut l’ambassade américaine à Bagdad. La réplique des Etats-Unis sera d’une gravité sans commune mesure avec les développements précédents en décapitant le réseau d’influence de l’Iran en la personne du général Soleimani. La mort d’un homme peut-elle toutefois à elle seule mettre en péril la volonté de puissance de Téhéran ?

Un garçon porte un portrait du général Ghassem Soleimani, avant les prières du vendredi, à Téhéran, le 3 janvier.
Un garçon porte un portrait du général Ghassem Soleimani, avant les prières du vendredi, à Téhéran, le 3 janvier. VAHID SALEMI / AP

 

Moins connu et ne jouissant pas de l’aura presque mystique qui entourait la figure de Ghassem Soleimani pour certains de ses partisans, le nouveau chef des opérations extérieures de la République islamique, son ancien adjoint Esmaïl Ghani, n’en reste pas moins issu du même moule. « C’est un dur, un vrai, encore plus religieux que Soleimani, très connecté avec le Hezbollah et la Syrie, mais moins connu par les Irakiens que ne l’était Soleimani », estime une source régionale.

Les divergences mises en sourdine

 

« Les gardiens de la révolution et les forces Al-Qods sont assez charpentés pour supporter ce coup, qui reste toutefois le plus dur depuis des années, relève Ariane Tabatabai, chercheuse à la RAND Corporation et spécialiste de l’appareil sécuritaire iranien. La culture des gardiens de la révolution est celle d’une guérilla, ce qui leur donne une grande adaptabilité et une grande flexibilité suite à une perte aussi sérieuse. »

Pour l’heure, le régime iranien, qui écrasait en novembre 2019 un mouvement de contestation interne au prix de centaines de morts, fait bloc. L’assassinat du général Soleimani a uni toutes les factions, allant de l’aile dure jusqu’aux plus réformateurs, pourtant mis au ban du régime. Toutes les divergences au sein du pouvoir sont pour quelque temps au moins mises en sourdine.

Photographie fournie par le bureau du guide suprême iranien, le montrant auprès de la famille de Ghassem Soleimani, à Téhéran, le 3 janvier.
Photographie fournie par le bureau du guide suprême iranien, le montrant auprès de la famille de Ghassem Soleimani, à Téhéran, le 3 janvier. – / AFP

Dans la région, les groupes alignés sur la République islamique ont repris en chœur les menaces de vengeances formulées par le Guide suprême iranien. Au Liban, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a promis un « juste châtiment » aux responsables de la mort du général Soleimani. « Les Américains ont commis une erreur gigantesque, une faute impardonnable », affirme au Monde Anouar Jomaa, député du bloc parlementaire du Hezbollah.

Dimanche, le Parlement de Bagdad doit se réunir pour voter sur l’accord qui organise la présence des forces américaines en territoire irakien. Les milices chiites du pays ont appelé leurs membres à se « tenir prêts ». Et, au Yémen, les rebelles houthistes ont réclamé des « représailles directes et rapides ». Téhéran doit désormais en définir les contours, alors que la République islamique a annoncé qu’un nouveau palier devait être franchi le 6 janvier dans la reprise des activités nucléaires. Reste à savoir si, en réaction aux derniers événements, la République islamique utilisera cette échéance annoncée de longue date pour abandonner ses obligations vis-à-vis de la communauté internationale dans ce dossier.

 

 

Allan Kaval (avec Ghazal Golshiri et Laure Stephan)

 

Source : Le Monde

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