Au Soudan, un économiste de l’ONU face à l’armée

Quatre mois après la chute d’Omar el-Béchir, un premier ministre quasiment inconnu de ses compatriotes va prendre la tête d’un gouvernement de transition. Pas encore de quoi effrayer des militaires qui tiennent solidement le pays.

Pressenti depuis plusieurs semaines pour mener le nouveau gouvernement de transition du Soudan, Abdallah Hamdok a prêté serment en tant que premier ministre, jeudi, à Khartoum. Cet économiste passé par les Nations unies représente un espoir pour des millions de Soudanais, quatre mois après le soulèvement populaire qui a chassé du pouvoir le dictateur Omar el-Béchir. Hamdok s’est donné comme objectif d’installer «une paix durable, de faire face à la sévère crise économique et de mettre en place une politique étrangère équilibrée». Quelques heures avant sa nomination, un Conseil souverain, chargé de superviser la transition démocratique du pays pour les vingt et un prochains mois, avait été mis en place pour remplacer le Conseil militaire en vigueur depuis avril.

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Sur le papier, la double annonce sonne comme un aboutissement pour l’opposition civile, concentrée dans la capitale, Khartoum, et les grandes villes. Reste la réalité du terrain dans un pays aux 40 millions d’habitants où la junte militaire est bien plus qu’une institution. Pour Marc Lavergne, spécialiste du monde arabe et de la Corne de l’Afrique au Centre national de recherche scientifique (CNRS) à Paris, la nomination d’Abdallah Hamdok «fait du bien sur la photo, mais c’est un parfait inconnu sur la scène intérieure. C’est le profil typique d’apparatchik onusien, quelqu’un qui va rassurer les investisseurs et l’Occident.»

Bouche-trou

 

A 61 ans, le nouveau premier ministre incarne l’intelligentsia soudanaise, privée de tout rôle majeur à Khartoum après le coup d’Etat d’Omar el-Béchir en 1989. Sa nomination pourrait certes pousser les Etats-Unis à retirer le Soudan de sa liste noire des Etats soutenant le terrorisme, cet «axe du mal» comprenant également l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord. Pour le reste, Marc Lavergne voit le verre à moitié vide. «Hamdok n’est pas un leader politique, même pas vraiment un opposant. Il ne renversera pas la table. Il sert juste à boucher les trous jusqu’à ce que l’armée décide de reprendre les commandes.»

Car le Conseil souverain désigné mercredi peut être vu de deux façons. D’un côté, l’opposition est majoritaire au sein de l’instance: six civils contre cinq militaires. De l’autre, le leadership reste l’apanage d’un général, Abdel Fattah al-Burhane, longtemps homme de confiance d’Omar el-Béchir. Celui, aussi, qui a mené une répression sanglante face aux manifestations anti-militaires au printemps.

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«Général terreur»

Derrière Al-Burhane, l’influence du véritable homme fort de l’armée, Mohamed Hamdan Dogolo, également nommé au Conseil souverain mercredi, inquiète encore plus. «Le général terreur», titrait en juin le journal La Croix, est un chef de guerre au réseau de mercenaires fourni connu pour sa cruauté. Ses Forces de soutien rapide, les RFS, ont été en première ligne dans la répression des manifestants depuis avril. «Il peut poignarder Al-Burhane à n’importe quel moment et prendre le pouvoir», estime Marc Lavergne.

L’accord entre l’armée et l’opposition civile laisse vingt et un mois au Conseil souverain pour dégager des réformes économiques, dans un pays miné par les pénuries et la violence. Au début des années 2000, le conflit ethnique au Darfour, région de l’Ouest soudanais, a créé une situation humanitaire chaotique. Une crise prolongée par la sécession, en 2011, de ce qui est aujourd’hui le Soudan du Sud. Un coup dur pour Khartoum, qui a perdu là le cœur pétrolifère du Soudan.

Métaux rares

Le pays a d’autres atouts pour attirer les investisseurs. Son sous-sol est riche en métaux rares, notamment l’or. Chinois et Américains en sont bien conscients, rappelle Marc Lavergne. Difficile pour autant d’imaginer le lancement d’une vraie politique économique, selon lui. Il pointe du doigt la préservation par la junte militaire d’une forme de «dépendance coloniale» héritée de l’Empire britannique. Et entretenue par le Fonds monétaire international (FMI), dont «les directeurs successifs ont toujours signé des chèques en blanc à Omar el-Béchir» sans que les réformes économiques nécessaires soient entreprises.

Denis Blin

Source : Le Temps (Suisse)

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