Mamoudou Barry, agressé mortellement près de Rouen, « était quelqu’un de très pacifiste, de conciliateur »

L’enseignant de 31 ans, d’origine guinéenne, est mort sous les coups d’un homme qui l’avait insulté. Ses amis se souviennent de quelqu’un d’engagé.

« Ton ami est mort, ton ami est mort. » C’est l’une des seules phrases que, paniquée, la femme du chercheur guinéen Mamoudou Barry répète au téléphone à Kalil Aissata Kéita, juste après l’agression mortelle de son mari, vendredi 19 juillet au soir, à Canteleu, en Seine-Maritime.

Au début, Kalil Aissata Kéita ne l’a pas crue. C’était « impossible à concevoir », affirme le chercheur à l’université de Rouen-Normandie. Il attendait son confrère et ami proche pour regarder la finale de la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN). « Je l’avais eu au téléphone à peine une heure avant », raconte-t-il.

Quand il arrive sur le lieu de l’agression, les secours sont déjà là. Mamoudou Barry est dans un état critique. Insulté par un homme qui aurait dit vouloir « niquer » des « Noirs », le jeune enseignant-chercheur de 31 ans serait, selon des témoins ayant raconté la scène à Kalil Aissata Kéita, sorti de sa voiture pour demander une explication. Mais il est roué de coups. Plongé dans un coma artificiel, ce père d’une petite fille de 2 ans décède le lendemain.

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Arrivé en France il y a sept ans

 

« C’était quelqu’un de très pacifiste, de conciliateur », se désole son ami, la voix étranglée. Il a remplacé la photo de profil de son propre compte Facebook par celle de celui qui était « bien plus qu’un ami » à ses yeux. On y distingue un homme mince, souriant.

C’est l’image d’un trentenaire qui a déposé ses valises à Rouen il y a sept ans, en 2012, pour poursuivre ses études de droit, après une licence décrochée comme major de promotion en Guinée. « J’étais allé le chercher à la gare », raconte Kalil Aissata Kéita. Alors président de l’association des étudiants guinéens à Rouen, il héberge le jeune homme deux semaines dans sa chambre d’étudiant de 14 mètres carrés.

Une longue et profonde amitié commence : ce sont des années d’échanges, de conseils respectifs sur leurs recherches et de boulots alimentaires effectués ensemble, pour financer leurs études. Jusqu’à l’aboutissement : le 27 juin, Mamoudou Barry est officiellement devenu docteur avec les félicitations du jury, pour sa thèse qui porte sur les « politiques fiscales et douanières en matière d’investissements étrangers en Afrique francophone », notamment « le cas du secteur des ressources naturelles extractives ».

Comme Kalil Aissata Kéita, il avait commencé pendant ses études à aider de jeunes étudiants étrangers. Mamadou Oury Diallo, en master, est de ceux-là. A son arrivée à Rouen, Mamoudou Barry lui déclare de sa voix calme, si basse que ses interlocuteurs ont parfois du mal à l’entendre : « Il faut vraiment vous donner à fond, il faut vous concentrer sur vos études. »

Il explique au jeune Guinéen que le système français est différent, qu’il va falloir s’adapter et travailler dur. « Il vient de loin, il s’est battu, il est né dans un village sans électricité ni grandes écoles, raconte Mamadou Oury Diallo. Alors, son credo, c’était la réussite et la persévérance. »

La défense des droits et de l’égalité, aussi. L’augmentation des droits d’inscription réglés par les étudiants étrangers, prévue pour la rentrée 2019, l’indignait. A son ami Kalil Aissata Kéita, il disait qu’il fallait « regarder le préambule de la Constitution de 1946 », qui mentionne « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés » comme un « devoir de l’Etat ».

« Il considérait que la France lui avait beaucoup donné »

 

Ses proches racontent qu’« il aimait beaucoup la France ; il considérait qu’elle lui avait beaucoup donné ». Le jeune enseignant-chercheur panafricain, d’une certaine façon, voulait lui rendre la pareille. Alors il multipliait les activités : engagements associatifs, missions de consultant, organisation de colloques, travaux pour l’institut de recherche et d’enseignement sur la paix Thinking Africa… L’un des articles de ce spécialiste des problèmes juridiques liés aux extractions minières avait d’ailleurs été publié sur le site du Monde, en 2016.

Sa thèse terminée, Mamoudou Barry avait « des projets un peu partout », confie Kalil Aissata Kéita. Il avait notamment décidé de prêter serment en Guinée afin de devenir avocat.

A la faculté où il enseignait depuis 2014, plusieurs de ses étudiants le qualifient de professeur « brillant », « pédagogique » et « disponible ». En début d’année, c’est d’ailleurs le « premier enseignant » que plusieurs d’entre eux vont voir pour combler un poste vacant dans le jury d’un concours d’éloquence.

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« Même quand il y avait des gens bruyants, en cours, il allait les voir pour leur expliquer des choses », ajoute Geoffroy, l’un de ses anciens élèves. « C’était un homme très prévenant, très présent, qui écoutait beaucoup. Il aurait dû avoir un bel avenir », a réagi le président de l’université de Rouen-Normandie, Joël Alexandre, lundi 22 juillet. L’université « participera en tant qu’institution à la marche blanche prévue vendredi », a-t-il indiqué, précisant attendre que les conditions du décès de Mamoudou Barry « soient clarifiées au plus vite ».

L’avocat de la famille, Jonas Haddad, dénonce « une agression à caractère raciste » et l’association SOS-Racisme a annoncé, lundi soir, se constituer partie civile dans cette affaire.

Le suspect interné en hôpital psychiatrique

Un homme de 29 ans, « Français d’origine turque » selon une source policière, a été interpellé dans la matinée du lundi 22 juillet, dans un hôtel de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime). Identifié « grâce au témoignage d’une amie et sur la base d’images de vidéosurveillance », il est suspecté d’avoir frappé mortellement Mamoudou Barry, vendredi soir, à Canteleu. D’après les forces de police, il portait « un maillot du club de foot de Galatasaray » au moment des faits. « C’est un petit délinquant souffrant de troubles psychiatriques et connu pour des faits de violences et des infractions à la législation sur les stupéfiants », précise une source policière. Suite à un examen médical, la garde à vue a été levée en début d’après-midi. Et le mis en cause a été interné en hôpital psychiatrique, confirme le Parquet de Rouen.

 

Léa Sanchez et Gilles Triolier (Rouen, correspondance)

Source : Le Monde

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