« L’horrible réalité, c’est qu’il reste si peu de gens à sauver » : le Mozambique meurtri par des inondations

Le bilan du cyclone Idai s’alourdit en Afrique australe, qui doit faire face à des inondations catastrophiques.

« Toute ma famille est encore là-bas ! Mon mari, ma famille, ils sont tous là-bas ! » Tout juste sortie de l’hélicoptère de l’armée sud-africaine qui vient de la sauver des eaux avec ses deux enfants, mardi 19 mars, cette Mozambicaine de 20 ans éclate en sanglots avant même de pouvoir donner son nom. Surprise par le débordement subit de la rivière, elle vient de passer quatre jours sur le toit de sa maison, complètement immergée. Son village, Buzi, a été rayé de la carte, ses voisins, emportés par les flots. « L’eau, l’eau est partout. C’était absolument horrible », lâche-t-elle, encore sous le choc.

Le passage du cyclone tropical Idai, qui a frappé de plein fouet la ville mozambicaine de Beira, qui compte plus de 400 000 habitants, dans la nuit du 14 au 15 mars avec des vents allant jusqu’à 200 km/h, a provoqué une série d’inondations meurtrières dans la sous-région. Le premier désastre, qui a détruit ou endommagé près de 90 % de la ville portuaire, s’est mué en catastrophe généralisée, la plus importante de l’histoire récente du Mozambique, l’un des pays les moins avancés du monde selon l’ONU.

Selon le dernier bilan, 202 victimes et plus de 1 300 blessés ont été comptabilisés dans le pays depuis jeudi. Mais le président mozambicain, Filipe Nyusi, qui a décrété trois jours de deuil national au terme d’un conseil des ministres organisé à Beira mardi après-midi, craint que le nombre de morts puisse dépasser le millier. Au Zimbabwe, où Idai a poursuivi son périple destructeur, le cyclone a déjà fait plus de 100 morts, alors qu’une première dépression tropicale début mars avait fait des dizaines de victimes et près de 1 million de sinistrés au Malawi. C’est un désastre aux proportions inégalées pour cette contrée d’Afrique depuis 2000, lorsque le cyclone Eline avait fait 800 morts au Mozambique.

Coupée du monde

 

Les humanitaires ont été totalement pris de court. « Dans les premières heures après le cyclone, on pensait qu’on avait traversé le pire, que les dommages étaient essentiellement matériels », explique Pedro Matos du Programme alimentaire mondial (PAM), qui coordonne l’action humanitaire depuis Beira. Le point de bascule s’est produit lundi matin, lorsque les premiers secouristes sont descendus livides des vols de reconnaissance en hélicoptère. Parce que la ville a été complètement coupée du monde après le passage d’Idai, que toutes les communications – terrestres, aériennes et téléphoniques – ont été impossibles jusqu’à dimanche, personne n’avait conscience du drame qui se déroulait à plusieurs kilomètres de là.

« Sur deux zones, autour des rivières Pungue et Buzi, on voit depuis les airs deux immenses étendues d’eau : la première couvre une surface de 50 km par 50 km, et la deuxième, où le niveau d’eau doit bien atteindre les 6 mètres si l’on se fie à la cime des arbres, fait 60 km de large pour une longueur qu’on n’a même pas réussi à mesurer, explique Pedro Matos. C’est comme si un nouvel océan s’était créé à l’intérieur même du Mozambique. »


De fait, de part et d’autre de l’unique route sortant de Beira et qui est censée la relier au reste du pays, les champs sont immergés à perte de vue aux alentours de la rivière Pungue. Sur le bord de la route, quelques personnes ont fabriqué des abris de fortune. Les pieds dans l’eau, des hommes grelottent, tentant tant bien que mal leur chance à la pêche. « Ma maison a été détruite par le cyclone puis inondée. Huit personnes sont mortes rien que dans mon quartier », dit Joao, 23 ans. « On n’a plus rien à manger, donc on fait ce qu’on peut pour pêcher », enchérit Inacio, 21 ans. Dans son filet bleu, quelques minuscules poissons frétillent.

Vingt kilomètres plus loin, impossible de continuer : un tronçon de route d’une centaine de mètres a tout simplement été arraché. Des dizaines de personnes sont amassées de chaque côté. Certains attendent de pouvoir traverser, d’autres restent là, sans rien d’autre à faire. « L’eau est montée d’un coup vendredi soir. On s’est réfugiés sur le toit du voisin, et on a dû attendre que le niveau baisse pour pouvoir s’échapper », raconte José, 28 ans. Il n’en revient toujours pas : « Cette rivière n’était pas là il y a une semaine », relève-t-il. Dans le ciel, les quelques éclaircies sont vite chassées par de nouvelles pluies torrentielles.

« Triple situation d’urgence »

 

Dans le district de Nhamatanda, touché en plein fouet par le cyclone Idai, le 19 mars 2019.
Dans le district de Nhamatanda, touché en plein fouet par le cyclone Idai, le 19 mars 2019. ADRIEN BARBIER / AFP

 

D’heure en heure, la situation se tend. « On se retrouve désormais avec une triple situation d’urgence : les conséquences du cyclone à Beira, les inondations dans la province, et de potentielles inondations qui pourraient survenir à tout moment dans l’un des deux autres bassins hydrographiques majeurs du pays, au sud et au nord d’ici », résume le coordinateur de l’aide humanitaire, qui estime l’ampleur de la catastrophe plus importante encore que l’ouragan Katrina, à La Nouvelle-Orléans en 2005. Les fortes pluies provoquées par Idai jusqu’au Zimbabwe ont rempli les barrages qui ont atteint les niveaux d’alerte. Pour éviter de se briser, ceux-ci doivent désormais procéder à des lâchers d’eau, qui peuvent provoquer autant de vagues potentiellement dévastatrices et mortelles.

« L’horrible réalité, c’est qu’il reste si peu de gens à sauver », une humanitaire

Dans le hangar de l’aéroport de Beira transformé en centre d’opérations, tout s’est accéléré. Dans un brouhaha permanent, les équipes de sauvetage s’activent aux côtés des agences de l’ONU chargées de l’aide humanitaire et les ingénieurs télécoms chargés d’assurer un semblant de connexion Internet par satellite, seule voie d’échanges avec l’extérieur. Les chargés de communication répondent coup sur coup aux demandes d’interview venues de partout alors que l’attention du monde entier s’est braquée sur le Mozambique.

Le PAM a déjà reçu 22 tonnes de biscuits « à haute valeur énergétique », et se prépare à devoir nourrir 600 000 personnes. L’accès reste la principale des difficultés qui complique sérieusement l’arrivée de l’aide, toute comme la continuation de fortes précipitations qui ralentit le travail des secouristes, complètement sous-équipés face à l’ampleur du désastre. « La priorité immédiate est le sauvetage des vies humaines et tous les efforts sont concentrés sur cet objectif. L’horrible réalité, c’est qu’il reste si peu de gens à sauver », annonce une humanitaire lors d’un briefing de coordination. Le gouvernement estime que 350 000 personnes se trouvent en zones inondées et potentiellement en danger imminent de mort.

L’arrivée, mardi en milieu de journée, des hélicoptères de l’armée sud-africaine a néanmoins permis d’accélérer les efforts de sauvetage. Dans le premier groupe de 160 personnes évacuées, les femmes et les enfants ont été priorisés. « On se retrouve à devoir choisir entre quelqu’un qui a l’eau aux genoux et quelqu’un qui a l’eau au cou », lance une autre humanitaire. A l’aéroport de Beira, tout le monde en a tragiquement conscience : le nombre de personnes sauvées sera minime.

Adrien Barbier

(Beira, Nhamatanda – Mozambique – envoyé spécial)

Source : Le Monde

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